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L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004


par Julien Carsantier
Université Paris Dauphine - DEA 122 2005
  

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b) La procédure des avantages particuliers

289. - Aux termes de l'article L. 228-15 du Code de commerce, « la création de ces actions donne lieu à l'application des articles L. 225-8, L. 225-14, L. 225-147 et L. 225-148 relatifs aux avantages particuliers lorsque les actions sont émises au profit d'un ou plusieurs actionnaires nommément désignés. Dans ce cas, le commissaire aux apports prévu par ces articles est un commissaire aux comptes n'ayant pas réalisé depuis cinq ans et ne réalisant pas de mission au sein de la société ».

Cette procédure consiste donc dans la nomination d'un commissaire aux avantages particuliers qui établit, sous sa responsabilité, un rapport sur l'évaluation de l'avantage afin d'en apprécier la consistance et les incidences éventuelles sur la situation des actionnaires528(*).

290. - Sous l'empire de la rédaction précédente de l'article L. 228-11 du Code de commerce, une controverse existait sur le fait de savoir si la création d'une catégorie d'actions dite de « priorité » nécessitait ou pas de suivre la procédure des avantages particuliers. Certains auteurs estimaient que la création d'actions « de priorité » constituait toujours un avantage particulier au motif qu'il s'agissait d'une rupture de l'égalité entre la totalité des actionnaires et par voie de conséquences, de l'attribution d'un avantage particulier. D'autres529(*) faisaient remarquer que la rupture d'égalité s'appréciait à l'intérieur d'une catégorie d'actions et qu'il y avait une différence de nature entre les actions de priorité et les avantages particuliers selon que le droit est attaché à l'action et donc transmissible ou attaché au titulaire et donc non transmissible. Il n'y avait donc lieu d'appliquer cette procédure que dans l'hypothèse où les droits attachés aux actions le sont uniquement en fonction de l'identité et de la qualité du titulaire desdites actions et que ces droits disparaissent lorsque le titulaire transfère ses actions ou perd la qualité qui avait justifié l'attribution de cet avantage particulier.

291. - S'agissant des actions de préférence, « pour lever les interrogations des praticiens »530(*) et éviter les chicanes inutiles, les rédacteurs de l'ordonnance ont donc « prévu explicitement que la procédure des avantages particuliers est applicable seulement lorsque les actions de préférence seront émises au profit de personnes identifiées »531(*).

L'ordonnance met donc fin à la controverse, accréditant au passage l'absence d'obligation d'observer la procédure considérée lorsque les avantages sont attribués intuitus rei. Ce n'est pas parce qu'il y avantage que la procédure doit être respectée mais seulement à cause du caractère particulier de ce privilège qui profite à une personne ou à un groupe de personnes déterminé532(*). Le texte a clairement vocation à protéger les actionnaires exclus de l'émission réservée et d'attirer leur attention sur les conséquences d'une émission d'actions de préférence.

292. - Ainsi, quel que soit le mode d'émission533(*) retenu, la procédure spéciale des avantages particuliers s'applique dès lors que ces actions sont émises « au profit d'un ou plusieurs actionnaires nommément désignés ». Cette formule a suscité quelques débats. L'expression pourrait en effet laisser penser que la procédure des avantages particuliers n'a pas à être suivie si l'émission a lieu en faveur d'un tiers non actionnaire.

Il n'en est rien. Comme dans la phase de constitution de la société où les fondateurs ne sont pas actionnaires mais le deviennent en souscrivant les actions, la création d'actions de préférence au profit d'un tiers désigné passe par la mise en oeuvre de la procédure et la nomination d'un commissaire aux avantages particuliers. Le Ministre de la Justice a en effet précisé que l'article L. 228-15 du Code de commerce vise les actionnaires déjà existants et les actionnaires qui le deviennent au moment de la souscription, à condition toutefois que ces actionnaires soient nommément désignés534(*). L'intervention du commissaire aux avantages particuliers s'impose en conséquence pour toute augmentation de capital réservée au profit d'un actionnaire ou d'un tiers par voie d'émission d'actions conférant une préférence pécuniaire ou non prévue dans les statuts.

Il va de soi que si les bénéficiaires sont identifiables au moment de la création des actions de préférence, la procédure doit également être respectée, ainsi du cas dans lequel « le privilège est accordé à toutes les actions d'une catégorie possédée par une personne »535(*), ou de celui dans lequel les promoteurs du projet connaissent parfaitement le nom des souscripteurs potentiels d'actions de préférence, ne serait-ce que pour avoir négocié leur entrée dans le capital de la société536(*).

293. - Le commissaire aux apports prévu est un commissaire aux comptes537(*) n'ayant pas réalisé depuis cinq ans et ne réalisant pas de mission au sein de la société538(*) ; le Ministre de la Justice a précisé que cette disposition exclut la désignation d'un commissaire aux comptes ayant réalisé toute mission au sein de la société, y compris en vertu d'une désignation judiciaire539(*) Il est désigné et accomplit sa mission dans les conditions prévues à l'article 64, alinéa 2 du décret du 23 mars 1967540(*).

Le commissaire aux « avantages particuliers » apprécie, sous sa responsabilité, les avantages particuliers541(*). « Le rapport décrit et apprécie chacun des avantages particuliers ou des droits particuliers attachés aux actions de préférence. S'il y a lieu, il indique, pour ces droits particuliers, quel mode d'évaluation a été retenu et pourquoi il a été retenu, et justifie que la valeur des droits particuliers correspond au moins à la valeur nominale des actions de préférence à émettre augmentée éventuellement de la prime d'émission »542(*). La rédaction du décret laisse perplexe543(*) : le calcul de la valeur des droits particuliers n'est pas chose aisée ; pis, dans certains cas, ces droits ne peuvent être valorisés. En effet, la « préférence » liée à ces actions peut prendre des formes diverses : les droits pécuniaires, tels qu'un dividende prioritaire sont évidemment susceptibles d'être valorisés ; en revanche, des variations de droits politiques tels que la suppression temporaire du droit de vote ou un droit supplémentaire à l'information ne peuvent faire l'objet d'une valorisation. Le texte indique donc que cette évaluation est donnée seulement « s'il y a lieu »544(*).

Le rapport du commissaire aux apports est tenu à la disposition des actionnaires au siège social huit jours au moins avant la date de l'assemblée générale extraordinaire, de sorte à garantir leur bonne information dans un délai raisonnable545(*). Toutefois, ce délai peut être réduit si tous les actionnaires y consentent, par écrit, préalablement à la désignation du commissaire aux apports546(*).

294. - S'agissant des règles de vote, si le bénéficiaire des actions de préférence à créer, nommément désigné, est déjà actionnaire de la société, il est privé du droit de vote pour lui-même et comme mandataire, et ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité547(*).

De même, en cas de conversion d'actions ordinaires, les titulaires d'actions devant être converties en actions de préférence de la catégorie à créer ne peuvent, sous peine de nullité de la délibération, prendre part au vote sur la création de cette catégorie d'actions. Les actions qu'ils détiennent ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité, à moins que l'ensemble des actions fassent l'objet d'une conversion en actions de préférence548(*).

295. - Il est précisé que les statuts de la société doivent contenir l'identité des bénéficiaires d'avantages particuliers et la nature de ceux-ci, selon les règles générales applicables à l'octroi de tels avantages549(*).

296. - Enfin, on notera deux particularités.

D'une part, l'application de la procédure des avantages particuliers au cas de création d'actions de préférence vient en dérogation des dispositions de l'article L. 225-138, I, alinéa 1er du Code de commerce550(*) qui prévoit qu'en cas d'émission réservée la procédure des avantages particuliers prévue à l'article L. 225-147 du Code de commerce n'a pas à être suivie.

D'autre part, il existe une autre forme d'émission réservée aux termes de l'article L. 225-138, I, alinéa 2 du Code de commerce551(*), quand il s'agit d'une ou plusieurs catégories de personnes répondant à des caractéristiques fixées par l'assemblée. Il s'agira alors de définir la catégorie, mais rien ne semble interdire que des actionnaires se trouvent inclus dans la définition de la catégorie. Dans cette hypothèse les actionnaires n'étant pas « nommément désignés », il n'y aurait pas lieu d'appliquer la procédure des avantages particuliers552(*).

297. - La protection des actionnaires - actionnaires ordinaires comme actionnaires de préférence - se manifeste également, outre lors de la création d'actions de préférence, à l'occasion de la disparition desdites actions.

* 528 V. H. LE NABASQUE, « Sort des actions de préférence émises au profit d'actionnaires nommément désignés », RD bancaire et financier 2005, p. 31.

* 529 J.-J. DAIGRE, Fr. MONOD et Fr. BASDEVANT, « Les actions à privilèges financiers », art. préc.

* 530 Rapport au Président de la République, rapp. préc.

* 531 Rapport au Président de la République, rapp. préc.

* 532 A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1536.

* 533 L'article L. 228-15 du Code de commerce vise « la création » des actions de préférence.

* 534 Rép. Min. Justice à Mme GROSSKOST n° 43987, JOAN Q, 24 août 2004, p. 6685 ; Rép. Min. Justice à M. ADNOT n° 13315, JO Sénat Q, 19 mai 2005, p. 1441. 

* 535 HOUPIN et BOSVIEUX, Traité, t.2, Sirey, 1927, n° 1297.

* 536 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1536.

* 537 Il s'agit d'une dérogation aux dispositions générales relatives à la procédure des avantages particuliers.

* 538 Art. L. 228-15, al. 1er C. com. sur renvoi aux art. L. 225-8 et L. 225-14 C. com. en cas d'émission lors de la constitution de la société et L. 225-147 C. com. en cas d'émission par augmentation de capital.

* 539 Rép. Min. Justice à M. ADNOT n° 13389, JO Sénat Q, 23 décembre 2004, p. 2970.

* 540 Sur renvoi de l'article 169, al. 2 du décret du 23 mars 1967.

* 541 Pareille mission est très proche de celle impartie aux commissaires aux comptes (supra n° 282) et l'on peut se demander, dans le cas où la procédure de vérification des avantages particuliers doit être observée, si le rapport des commissaires aux comptes était bien nécessaire.

* 542 Art. 169, al. 3 du décret du 23 mars 1967, modifié par le décret du 10 février 2005.

* 543 V. A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens », art. préc., p. 1158.

* 544 Cette interprétation est confirmée par le Ministre de la Justice : Rép. Min. Justice à M. ADNOT n° 13315, JO Sénat Q, 19 mai 2005, p. 1441.

* 545 Art. 169, al. 4 du décret du 23 mars 1967, modifié par le décret du 10 février 2005.

* 546 Art. 169, al. 5 du décret du 23 mars 1967, modifié par le décret du 10 février 2005.

* 547 Art. L. 225-10, al. 1er C. com. sur renvoi de l'art. L. 228-11, al. 1er C. com.

* 548 Art. L. 228-15, al. 2 C. com.

* 549 Art. 55, 5° du décret du 23 mars 1967.

* 550 Cas d'augmentations de capital réservées à une ou plusieurs personnes nommément désignées ou catégories de personnes répondant à des caractéristiques déterminées.

* 551 Cas d'augmentations de capital réservées à une ou plusieurs personnes nommément désignées ou catégories de personnes répondant à des caractéristiques déterminées, avec suppression du droit préférentiel de souscription.

* 552 En ce sens, Fr. MONOD et R. ARAKELIAN, « Les actions de préférence : comment utiliser la procédure d'avantages particuliers? », art. préc.

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