L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
II. LA PROTECTION DES ACTIONNAIRES : NECESSAIRE CONTREPARTIE DE LA LIBERTE OCTROYEE272. - La création des actions de préférence, en ce qu'elle permet un aménagement très souple des prérogatives pécuniaires et extra-pécuniaires de leurs titulaires, affecte un grand principe du droit des sociétés qui est l'égalité des actionnaires. Les délégations aux organes de direction en matière d'augmentations de capital effritent le principe de souveraineté de l'assemblée générale des actionnaires pour tous les actes qui engagent l'existence, l'image ou le développement de la société. 273. - L'ordonnance du 24 juin 2004, en ménageant des espaces de liberté contractuels et statutaires au profit des émetteurs, se devait de prendre ces considérations en compte et d'envisager leur impact sur les droits des actionnaires. Il n'eut en effet pas été concevable de permettre d'aménager les droits des actionnaires avec une souplesse et une liberté nouvelles sans prévoir des limites et des mesures protectrices à l'égard de ces derniers. 274. - Aussi, le nouveau dispositif a pris soin de maintenir, renforcer ou ériger certains garde-fous afin de protéger les actionnaires - actionnaires ordinaires bien sûr, mais également les nouveaux actionnaires de préférence. Ce souci de protection se traduit notamment lors de la création et de la disparition des actions de préférence (A), mais également, et plus largement, au cours de la vie sociale, à l'occasion de certaines opérations (B) susceptibles d'affecter les droits des actionnaires de préférence ou, lorsque sont mises en oeuvre certaines dispositions du droit des augmentations de capital, tous les actionnaires. A. La protection des actionnaires à l'occasion de la création et de la disparition d'actions de préférence275. - Aux côtés des actionnaires ordinaires, disposant des prérogatives classiques attachées à leur qualité d'associés, il y aura des actionnaires de préférence, dont les droits financiers et/ou politiques seront souvent renforcés, au-delà de ce que les actions de priorité et à dividende prioritaire sans droit de vote permettaient jusqu'à présent. Aussi, lorsqu'elle crée des actions de préférence auxquelles sont attachés des droits particuliers avantageux, la société - et ses actionnaires - doit être consciente des conséquences qui en découleront. Le législateur, soucieux de ces considérations, a en conséquence entouré la création des actions de préférence de dispositions protectrices, par exemple en imposant le respect de la procédure de vérification des avantages particuliers lorsque les actions de préférence sont émises au profit d'un ou plusieurs actionnaires nommément désignés. 276. - La création d'actions de préférence ne soulève toutefois pas uniquement la question de la protection des actionnaires ordinaires. En effet, il faut se garder d'oublier que les titulaires d'actions de préférence, s'ils bénéficieront souvent des droits particuliers renforcés, seront également souvent soumis à des obligations en contrepartie des droits octroyés ; ils pourraient d'ailleurs n'avoir que des obligations attachées à leurs actions de préférence, bien que cela soit peu concevable en pratique tant l'intérêt d'une telle opération est difficile à percevoir. Aussi, il convient d'envisager la protection des futurs titulaires d'actions de préférence eux-mêmes à l'occasion de la création desdites actions. Tout n'est pas permis, ce que la loi vient rappeler à diverses reprises. 277. - La protection des actionnaires s'apprécie également à deux niveaux - protection des actionnaires ordinaires et protection des actionnaires de préférence - lors de la disparition d'actions de préférence. La création induit en effet, tôt ou tard, la disparition. L'article L. 228-11 du Code de commerce dispose que les actions de préférence sont assorties de droits particuliers de toute nature pouvant l'être à titre temporaire ou permanent. Mais si les droits particuliers sont permanents, ils ne dureront que le temps de vie des actions de préférence qui, elles, ne sont pas nécessairement amenées à perdurer éternellement. La question de leur disparition doit être prise en compte par la société, car elles peuvent ne plus s'avérer être l'instrument financier idéal à terme509(*). Dès lors, on est amené à s'interroger sur les modalités de la disparition des actions de préférence. Du point de vue des actionnaires ordinaires, il semble nécessaire que ces modalités soient prévues ; à défaut, il pourra s'avérer difficiles de porter atteinte aux droits des porteurs d'actions de préférence. Du point des actionnaires de préférence, la suppression de leurs droits ne saurait se faire sans encadrement et sans mesures protectrices. 278. - Ces diverses questions amènent par conséquent à envisager les mesures protectrices à l'occasion de la création d'actions de préférence (1) et celles entourant la disparition de telles actions (2). 1. Les mesures protectrices à l'occasion de la création d'actions de préférence
279. - La protection des actionnaires à l'occasion de la création d'actions de préférence amène à envisager dans un premier temps les mesures protectrices d'ordre général (a), pour ensuite se pencher sur la procédure particulière de vérification des avantages particuliers (b). a) Les mesures protectrices d'ordre général280. - Comme il a été vu510(*), l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires est seule compétente pour décider l'émission d'actions de préférence ou la conversion d'actions ordinaires en actions de préférence, en application de l'article L. 228-12 du Code de commerce et conformément à l'article L. 225-96, alinéa 1er du même Code511(*). Elle peut certes déléguer ce pouvoir dans les conditions fixées par les articles L. 225-129 à L. 225-129-6 du Code de commerce512(*) ; mais l'article L. 228-11 exige que les droits particuliers des actions de préférence soient définis dans les statuts. Dès lors, il est difficilement concevable que l'assemblée générale extraordinaire puisse déléguer sa compétence pour émettre des actions de préférence sans qu'une clause statutaire ait défini préalablement les caractéristiques - notamment la nature des droits attribués - le régime même de ces actions513(*). Tout au plus, en pratique, l'assemblée générale extraordinaire pourra conférer une délégation de pouvoir514(*) à l'organe de direction pour réaliser l'opération, après qu'elle ait elle-même fixé les caractéristiques des titres à émettre et modifier les statuts sous la condition de la réalisation définitive de l'opération. 281. - La compétence exclusive de l'assemblée générale extraordinaire pour la création d'actions de préférence - du moins pour définir dans les statuts les caractéristiques des droits qui y sont attachés et leur régime - est une garantie particulièrement importante pour les actionnaires existants, protectrice de leurs droits, d'autant plus que toute violation des règles de compétence dévolue à l'assemblée générale extraordinaire encourt la nullité des actes qui en découlent515(*). Si l'article L. 228-11 n'avait pas imposé que les droits particuliers attachés aux actions de préférence soient définis dans les statuts, l'organe de direction qui se serait vu octroyé une délégation aurait alors été en mesure de définir lui-même, quasiment discrétionnairement, les droits particuliers attachés aux actions de préférence. Une telle situation aurait été fort déplorable au regard de la protection des droits des actionnaires. En définitive, les actionnaires restent, aux côtés des dirigeants, associés au processus de recherche de nouveaux investisseurs et participent à l'aménagement du capital et du pouvoir opéré par les actions de préférence dans le cadre des montages financiers. On ne peut que s'en féliciter. 282. - L'assemblée générale statue au vu d'un rapport circonstancié de l'organe de direction516(*), lequel indique les caractéristiques des actions de préférence et précise l'incidence de l'opération sur la situation des titulaires de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital. Ce rapport doit être conforme aux règles posées par les articles 154517(*) et 155518(*), ainsi que, selon les cas, par les articles 155-1519(*) ou 155-2520(*) du décret du 23 mars 1967 modifié par le décret du 10 février 2005. Elle statue en outre au vu d'un rapport spécial du commissaire au compte521(*) qui donne son avis sur l'augmentation de capital envisagée, les caractéristiques des actions de préférence et l'incidence de l'opération sur la situation des titulaires de titres de capital et de valeurs mobilières donnant accès au capital522(*). L'objectif de ces dispositions est d'informer au mieux l'assemblée générale extraordinaire dans sa prise de décision. 283. - S'il existe des stock-options, il y aura lieu, le cas échéant, à ajustement des bases d'attribution selon les conditions dans lesquelles les actions de préférence sont créées et selon la nature des droits particuliers attribués. La même préoccupation s'impose lorsque la société a attribué gratuitement des actions au profit de ses salariés ou mandataires sociaux. 284. - Lorsque l'émission d'actions de préférence est réalisée dans le cadre d'un groupe de sociétés, en application de l'article L. 228-13 du Code de commerce523(*), outre la décision d'émission de l'assemblée générale extraordinaire de la société émettrice, l'émission doit faire l'objet d'une décision d'autorisation - et non d'émission - de l'assemblée générale extraordinaire de la société tierce. Un rapport du commissaire aux comptes de la société tierce est par ailleurs exigé, s'ajoutant à celui du commissaire aux comptes de la société émettrice524(*). On constate alors l'importance accordée par le législateur à l'information des actionnaires. 285. - La protection des actionnaires ordinaires, mais aussi des futurs porteurs d'actions de préférence, trouve aussi à se manifester dans les limites entourant l'aménagement des droits particuliers. La prohibition des clauses léonines, les limitations relatives au droit de vote et, plus généralement, les dispositions impératives du droit des sociétés et l'ordre public général doivent être respectés lors de la création d'actions de préférence525(*). Il s'agit de garanties fondamentales qui rappellent que, si la liberté est grande, tout n'est pas pour autant possible. 286. - L'ordonnance a aussi organisé la protection des porteurs d'actions de préférence existants. En effet, si des actions de préférence ont déjà été créées, l'émission de nouvelles actions de préférence est bien entendu possible, à condition toutefois, en cas d'augmentation de capital, de respecter les conditions de l'article L. 228-16 du Code de commerce qui dispose qu' « en cas de modification ou d'amortissement du capital, l'assemblée générale extraordinaire détermine les incidences de ces opérations sur les droits des porteurs d'actions de préférence » et que ces incidences peuvent également être constatées dans les statuts. Une telle disposition paraît s'imposer : dans la mesure où l'émission de nouvelles actions de préférence est susceptible de modifier les droits particuliers des actionnaires de préférence existants, il semble normal d'établir quelles seront les incidences de cette nouvelle émission sur ces droits existants. L'ordonnance complète ce dispositif en précisant que, en cas de création d'actions de préférence, que ce soit par augmentation de capital ou par conversion, l'autorisation de l'assemblée spéciale des porteurs d'actions de préférence déjà créées est requise si les droits des nouvelles actions de préférence sont susceptibles de modifier les droits des actions de préférence existantes526(*). 287. - Signalons enfin que chaque fois que la création d'actions de préférence procède d'une augmentation de capital en numéraire, il est nécessaire de vérifier que le capital existant est entièrement libéré527(*) 288. - Le nouveau dispositif accorde en outre une protection toute particulière lorsque les actions de préférence sont émises au profit de certaines personnes. * 509 Les actions de préférence permettent certains montages, notamment un aménagement des relations entre le pouvoir et le capital, et sont de nature à favoriser la venue d'investisseurs au sein de la société. Cependant, tout projet économique et financier a un terme. A l'issue de ce terme, les droits portés par les actions de préférence émises ne seront plus nécessairement adaptés à la situation de la société, soit qu'il faudra réorganiser ces droits, soit qu'il faudra les supprimer. * 510 Supra n° 222 et n° 223. * 511 Dans les SAS, l'article L. 227-9 du Code de commerce dispose que « les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital [...]sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés », à peine de nullité. * 512 Supra n° 224. * 513 En ce sens, A. GUENGANT, D. DAVODET, P. ENGEL, S. de VENDEUIL et S. LE PAVEC, « Actions de préférence : questions de praticiens », art. préc., p. 1157 ; P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 18 ; ANSA, Comité juridique, avis du 3 novembre 2004. * 514 Art. L. 225-129-1 C. com. - V. supra 30 et s. * 515 Art. L. 225-121, al. 1er C. com. * 516 Art. 206-2, al. 1er du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, introduit par le décret n° 2005-112 du 10 février 2005. * 517 Rapport du conseil d'administration ou du directoire à l'assemblée générale extraordinaire indiquant les motifs de l'augmentation du capital proposée ainsi que des précisions sur la marche des affaires sociales depuis le début de l'exercice en cours * 518 Rapport du conseil d'administration ou du directoire à l'assemblée générale extraordinaire lorsque celle-ci décide ou autorise une augmentation de capital et supprime le droit préférentiel de souscription. * 519 Rapport du conseil d'administration ou du directoire à l'assemblée générale lorsque celle-ci fixe elle-même toutes les modalités de l'augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription * 520 Rapport du conseil d'administration ou du directoire à l'assemblée générale lorsqu'il a reçu une délégation de pouvoir ou de compétence et qu'il en fait usage. * 521 Art. 206-2, al. 2 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967, introduit par le décret n° 2005-112 du 10 février 2005. * 522 Le cas échéant, ce rapport est conforme aux règles posées par l'article 155, ainsi que, selon les cas, par les articles 155-1 ou 155-2 du décret du 23 mars 1967. * 523 Supra n° 234 et s. * 524 Art. L. 228-13, al. 3 C. com. * 525 Supra n° 243 et s. * 526 Art. L. 225-99, art. L. 228-16 C. com. * 527 Art. L. 225-131 C. com. |
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