L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
b) Les limites tenant l'intérêt du recours aux actions de préférence dans une SAS258. - La création des actions de préférence ouvre un champ de liberté considérable pour moduler les droits de toute nature attachés à la détention de valeurs mobilières. A cet égard, cette ouverture rapproche sensiblement la SA - ou la SCA - de la SAS, dont on connaissait déjà la très grande souplesse de fonctionnement. 259. - Au risque de tomber dans une certaine confusion ou l'amalgame, l'analogie doit cependant s'arrêter là. Ce n'est pas chose aisée dans la mesure où les dispositions relatives aux actions de préférence se superposent aux prescriptions légales propres aux SAS. Déterminer de quelle manière les nouvelles dispositions relatives aux actions de préférence peuvent s'appliquer à la SAS conduit à s'interroger sur l'intérêt que pourrait présenter, pour une société de cette forme, l'émission de telles actions (i), ainsi que sur l'obligation qu'aurait une SAS à émettre des actions de préférence dans certaines situations (ii). (i) L'intérêt de l'émission d'actions de préférence par une SAS260. - Si le législateur autorise l'émission d'actions de préférence par une SAS, c'est donc que ses associés peuvent y trouver un intérêt, lequel devrait logiquement résulter d'un comparatif entre les opportunités offertes par l'émission d'actions de préférence et celles que confère d'ores et déjà le recours à la forme sociale de SAS. Pour ce faire, il peut être raisonné en classant, selon une typologie classique, les droits particuliers en trois catégories : ceux conférant des prérogatives pécuniaires, ceux permettant d'aménager le droit de vote et ceux conférant des droits politiques autres que les droits de vote. 261. - En ce qui concerne la stipulation de prérogatives pécuniaires, la SAS ne présente aucune caractéristique spécifique par rapport aux autres formes de sociétés par actions. La SAS se trouve donc placée sur un pied d'égalité avec la SA et la SCA lorsqu'elle décide de stipuler au profit d'un associé des dividendes préciputaires, des droits privilégiés sur les réserves ou encore une appréhension prioritaire du boni de liquidation. Elle était en outre soumise, avant l'ordonnance, aux mêmes incertitudes juridiques qui pesaient sur la question de la mise en oeuvre de la procédure des avantages particuliers484(*). A présent que les restrictions et incertitudes antérieures ont été levées, la possibilité pour une société par actions d'émettre des actions de préférence auxquelles seraient attachés divers droits financiers constitue une réelle opportunité, dont la SAS ne devrait pas se priver si ses associés souhaitent sécuriser juridiquement l'avantage financier ainsi conféré. 262. - S'agissant de l'aménagement du droit de vote, l'une des principales caractéristiques de la SAS réside dans le fait que la loi ne fixe, en cette matière, aucune règle préétablie, puisqu'elle écarte des dispositions applicables aux SAS celles prévues aux articles L. 225-17 à L. 225-126 du Code de commerce - qui s'imposent par ailleurs aux SA. Les règles relatives à la proportionnalité entre apport et droit de vote485(*), au droit de vote double486(*) et au plafonnement des droits de vote487(*) sont ainsi écartées. Aussi, et à l'extrême, le titulaire de 1 % du capital social d'une SAS pourra disposer d'un droit de vote lui conférant 99 % des droits de vote488(*). La SAS permet donc de moduler très librement le droit de vote des associés. Par comparaison, l'action de préférence offre des possibilités très réduites s'agissant de l'aménagement du droit de vote, puisque celui-ci doit obéir aux dispositions des articles précités489(*). Elle ne permet pas la stipulation de droits de vote multiples (sauf le droit de vote double), ni la mise en place d'un plafonnement des droits de vote490(*). En outre, les dispositions de l'article L. 228-11, alinéa 3 du Code de commerce, instaurant un plafond quant au nombre d'actions de préférence susceptibles d'être privées de droits de vote, doivent être respectées491(*). En conséquence, l'intérêt pour une SAS de recourir à l'émission d'actions de préférence pour aménager les droits de vote des associés est loin d'être évident, puisque les potentialités offertes par lesdites actions sont en cette matière bien moindres que celles conférées à la SAS en tant que telle, à moins bien évidemment que les associés de la SAS décident d'y recourir volontairement, ou encore qu'ils y soient contraints492(*).
263. - Enfin, à propos des droits politiques autres que le droit de vote, la SAS permet, plus que toute autre, d'aménager le contrôle de l'évolution du capital de la société, les modalités de toute prise de décision et l'organisation de la gestion de la société, et ce quasiment sans limite. Dès lors, on peut à juste titre se demander pourquoi une SAS émettrait-elle, dans ces conditions, des actions de préférence pour gérer ces situations. Il est une potentialité de l'action de préférence que le simple recours à la SAS n'offre pas : la possibilité d'exercer les droits particuliers conférés par lesdites actions dans une société tierce. Toutefois, cette opportunité est d'un usage complexe493(*) et d'un intérêt plus réduit qu'il n'y paraît494(*). 264. - L'intérêt de l'émission d'actions de préférence par une SAS apparaît par conséquent très limité, au moins s'agissant de l'aménagement des droits politiques, notamment le droit de vote. Mais au-delà de la simple question d'opportunité, il convient de s'interroger sur l'obligation à laquelle la SAS serait, le cas échant, contrainte d'émettre des actions de préférence. * 484 Supra n° 227. * 485 Art. L. 225-122 C. com. * 486 Art. L. 225-123 C. com. * 487 Art. L. 225-125 C. com. * 488 La seule limite en ce domaine réside dans l'article 1844 du Code civil, qui impose que tout associé a le droit de participer aux décisions collectives. * 489 V. supra n° 154. * 490 La doctrine est toutefois divisée sur ce point. V. supra n° 60. * 491 Supra n° 152. * 492 Infra n° 266. * 493 Supra n° 182 et s. * 494 En ce sens, A. VIANDIER, « Les actions de préférence », art. préc., p. 1533. |
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