L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
(ii) L'ordre public protecteur des tiers248. - On trouve ici des dispositions d'ordre public qui vont tendre à assurer la protection de la situation et des prérogatives des tiers, de sorte que l'aménagement des droits attachés aux actions de préférence se trouve ici aussi limité. 249. - Comme nous l'avons vu, les droits non pécuniaires peuvent donner lieu à des aménagements divers464(*). Toutefois, la liberté butera ici sur un principe fondamental qui est celui de l'autonomie des organes de la société anonyme - principe également applicable à la SCA465(*). La SA se caractérise en effet par la hiérarchisation des organes et la séparation des pouvoirs : chaque organe est doté de pouvoirs qui lui sont propres. C'est la solution que la Cour de cassation a préconisé en 1946 dans un important arrêt Motte466(*) et qui a reçu une consécration législative en 1966. Les conséquences de ce principe sont nombreuses. Il gouverne notamment les solutions suivantes : incompétence de l'assemblée pour se prononcer sur une délibération du conseil467(*), interdiction de créer un comité d'étude doté de pouvoirs concurrents de ceux du conseil468(*), interdiction d'assujettir le président au pouvoir de décision d'un tiers, fût-il l'actionnaire majoritaire ayant avancé une somme importante à la société469(*). Si un droit de veto ou de gestion est attaché aux actions de préférence émises, il faudra donc veiller à ne pas aller à l'encontre du principe susvisé. 250. - En outre, s'agissant des actions de préférence conférant des droits particuliers dans une société tierce, filiale ou société-mère de la société émettrice, il sera nécessaire de composer avec des règles aussi intangibles que l'autonomie des personnes juridiques ou l'impossibilité de conférer un droit de vote dans les assemblées générales à un non-associé470(*). 251. - Enfin, on notera l'interdiction de transformer une action, même de préférence, en titre de créance471(*), règle exprimée pour tous les titres de capital. (iii) L'ordre public du droit des sociétés252. - Le droit des sociétés contient un certain nombre de règles qui, rassemblées, constituent un bloc impératif, c'est-à-dire des dispositions d'ordre public dont il doit nécessairement être tenu compte. Un certain nombre de clauses sont ainsi réputées non écrites, même inscrites dans les statuts ; elles sont considérées comme n'existant pas, ce qui explique notamment que la prescription de trois ans visée à l'article 1844-14 du Code civil472(*) ne joue pas et que, par ailleurs, la sanction n'a pas à être officialisée par une décision de justice473(*). 253. - Du côté des droits financiers, les actions de préférence sont soumises à la prohibition des clauses léonines474(*), prescription impérative475(*). Le droit particulier ne devra donc pas être tel qu'il aboutisse, mécaniquement et certainement, à priver les porteurs des autres actions de tout droit à dividende. Il ne devra pas non plus être tel qu'il exonère de toute contribution aux pertes le titulaire d'actions de préférence476(*). 254. - Par ailleurs, dans toutes les sociétés commerciales, il est interdit de stipuler un intérêt fixe ou intercalaire payable aux associés même en l'absence de bénéfices477(*). Il est en outre interdit de verser un acompte sur dividendes, fût-ce à titre de dividende prioritaire, en l'absence de bénéfice distribuable478(*). 255. - Du côté des droits non pécuniaires, il existe aussi d'importantes restrictions. Un certain nombre de clauses sont ainsi réputées non écrites et il devra en être tenu compte lors de l'aménagement des droits particuliers attachés aux actions de préférence. Sont par exemple réputées non écrites : les clauses restreignant le libre droit de révocation des mandataires sociaux479(*), les clauses prévoyant que le conseil d'administration délibère valablement avec moins de la moitié de ses membres480(*), les clauses contrevenant à la compétence exclusive de l'assemblée générale extraordinaire pour modifier les statuts481(*), etc. 256. - Doivent également être respectées les règles afférentes à la proportionnalité entre apport et droit de vote lorsqu'il existe482(*) et le droit pour l'actionnaire de participer aux décisions collectives483(*). 257. - De manière générale, en tant qu'action, les actions de préférence obéissent aux principes généraux du Code de commerce et du Code civil. Il conviendra donc de composer avec ces divers principes et règles lors de l'émission d'actions de préférence et de l'aménagement des droits particuliers qui y sont attachés. Certains de ces principes se trouvent assouplis lorsque la société émettrice est une SAS, par exemple le principe d'autonomie des organes de la société. Cependant, la SAS est une structure sociale qui, en elle-même, ménage déjà une très grande flexibilité, par exemple en matière de droits de vote multiples ou de droit d'intervention dans la gestion conféré à un tiers. L'intérêt de l'émission d'actions de préférence dans le cadre d'une SAS peut dès lors apparaître limité. * 464 Supra nos 147, 160, 199, 201. * 465 Ce principe ne concerne pas les SAS (art. L. 227-1, al. 3 C. com.) * 466 Cass. civ., 4 juin 1946 : JCP 1947, II, 3518, note BASTIAN. * 467 Cass. com., 18 mai 1982 : Rev. sociétés 1983, p .71. * 468 CA Aix-en-Provence, 28 septembre 1982 : Rev. sociétés 1983, p. 773, note J. MESTRE. - Adde, M. COZIAN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, op. préc., n° 491. * 469 Cass. com., 11 juin 1965 : RTDC 1965, p. 861, obs. R. HOUIN. * 470 Supra n° 189 et n° 190. * 471 Art. L. 228-91 C. com. * 472 Art. 1844-14 C. civ. : « Les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue ». * 473 Cass. 3ème civ., 26 avril 1989 : Bull. civ. III, n° 93 * 474 Art. 1844-1, al. 2 C. civ. : « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ». * 475 CA Paris, 5 décembre 1983 : Dalloz 1984, 392, obs. BOUSQUET : les dispositions de l'article 1844-1 du Code civil s'appliquent aussi biens aux clauses prévues dans les statuts qu'à celles qui se trouvent dans un acte postérieur. * 476 V. B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 712. Rappr. Th. BONNEAU, « De quelques stipulations affectant le dividende des actions sectorielles », RD bancaire et financier 2000, p. 151. * 477 Art. L. 232-15, al. 1er C. com. * 478 Art. L. 232-12 C. com. * 479 Art. L. 225-18, L. 225-47, al. 3 et L. 225-75, al. 2 C. com. * 480 Art. L. 225-37 et L. 225-82, al. 1er C. com. * 481 Art. L. 225-96 C. com. * 482 Supra n° 154. * 483 Supra n° 3. |
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