L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
3. Les limites à la liberté contractuelle240. - L'inspiration libérale de l'ordonnance du 24 juin 2004 oblige à concilier, dans un exercice toujours délicat, a liberté offerte avec les grands principes du droit des sociétés qui bien entendu demeurent, tout comme l'ordre public général. Il est donc des limites légales à la créativité des praticiens, la liberté n'étant pas absolue, tout n'étant pas permis. 241. - En outre, si à l'évidence les actions de préférence ont été conçues pour répondre, avec succès, à des problématiques rencontrées, tout particulièrement, par les SA448(*), l'émission de telles actions par certains types de sociétés, notamment la SAS449(*), présente moins d'attraits, notamment en raison des caractéristiques propres à cette dernière. Dès lors, la question de l'intérêt de l'émission d'actions de préférence, lorsque la société concernée est une SAS, amène à constater que cette forme sociale est en elle-même une limite à la création de telles actions. 242. - Aussi, on constate que les limites à la liberté contractuelle entourant l'émission d'actions de préférence ne procèdent pas seulement du respect de l'ordre public (a) ; la SAS en elle-même constitue également une limite à l'intérêt du recours aux actions de préférence (b). a) Les limites tenant à l'ordre public243. - Si « l'axe majeur de la réforme est une libéralisation de l'émission des valeurs mobilières »450(*), l'article L. 228-11 du Code de commerce évoquant d'ailleurs des « droits particuliers de toute nature », il ne faut pas en conclure qu'au-delà des restrictions relatives au droit de vote énumérées au même article451(*), tout est permis. 244. - La liberté entourant la création des actions de préférence s'incline en effet devant l'ordre public général (i), l'ordre public protecteur des tiers (ii) et l'ordre public du droit des sociétés (iii). (i) L'ordre public général245. - Au nombre des aménagements imaginables des droits particuliers attachés aux actions de préférence, on pourrait imaginer que ces dernières soient assorties d'une clause d'inaliénabilité452(*), empêchant leur libre cessibilité. Une telle clause est possible, sous réserve de respecter les dispositions d'ordre public relatives aux clauses d'inaliénabilité453(*). L'interdiction de cession devra ainsi être, d'une part, justifiée par un intérêt social sérieux et légitime et, d'autre part, limitée dans le temps454(*). Toutefois, dans les SAS, le législateur a expressément prévu la possibilité d'insérer dans les statuts une clause d'inaliénabilité : l'interdiction pour les associés de céder leurs titres pendant une durée déterminée peut être prévue dans les statuts à la seule condition que celle-ci n'excède pas dix ans455(*). La condition de droit commun relative à l'intérêt sérieux de la clause d'inaliénabilité n'est donc pas exigée dans le cadre d'une SAS456(*). 246. - Un autre aménagement envisageable des droits particuliers attachés aux actions de préférence serait de prévoir que le prix de leur cession soit indexé. Une telle clause, dite clause d'indexation ou encore clause d'échelle mobile, n'est licite que si l'indice choisi est en relation directe avec l'objet de la convention ou avec l'activité de l'une des parties, étant précisé que cet indice ne doit pas être fondé sur le SMIC ou sur le niveau général des prix ou des salaires457(*). On pourra alors admettre, par exemple, que l'indexation du prix de cession des actions de préférence soit fondée sur la valeur du point de retraite des cadres fixé par la caisse de prévoyance dont le cédant touche une retraite458(*). Il faudra être prudent en la matière car la sanction attachée aux clauses d'indexation irrégulières est la nullité absolue, sans possibilité de confirmation459(*). 247. - Une autre exigence tient à l'absence de toute potestativité ou, si l'on préfère, à la vérification du caractère déterminé ou déterminable du droit particulier reconnu à l'action de préférence et de ses modalités de calcul. Rappelons en effet que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige460(*). Ce point renvoie aux débats qui ont cours en matière de prix de cession des actions lorsque ce prix dépend de données comptables ou financières propres à l'entreprise, approche acceptable dès lors que ces données ne dépendent pas de la volonté de l'une des parties461(*). Si l'on suit ces orientations, on pourra accepter un droit financier dont le montant, voire l'existence, dépend de données comme l'EBITDA462(*), à condition que cette notion soit définie précisément si l'on veut éviter les chicaneries comptables ; mais on refusera de conditionner le droit financier par la réalisation d'objectifs soumis en partie à l'arbitraire des dirigeants sociaux, ainsi de l'évolution d'un niveau d'endettement ou de la réalisation d'un programme de cession d'actifs. Ici aussi, la plus grande prudence s'impose en raison de la nullité absolue qui frappe les clauses purement potestatives463(*). * 448 Modulation des droits de vote attachés aux actions, régime juridique incertain des actions de priorité, vétusté des actions à dividende prioritaire sans droit de vote, etc. * 449 Mais c'est aussi le cas des SCA, qui, s'agissant de la séparation du capital et du pouvoir, offrent des solutions plus tranchées que l'émission d'actions de préférence. * 450 Rapport au Président la République, rapp. préc. * 451 Supra n° 152 et n° 154. * 452 Supra n° 176. * 453 B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 18510 ; B. MERCADAL, Contrats et droits de l'entreprise, Mémento Lefebvre, 2004, n° 8029. * 454 Ces conditions, affirmées par l'article 900-1 du Code civil pour les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué, résultent des décisions des tribunaux pour les clauses introduites dans des ventes, notamment des cessions d'actions, ou dans d'autres contrats. V. notamment CA Paris, 4 mai 1982 : Gaz. Pal. 1983, p. 152. * 455 Art. L. 227-13 C. com. * 456 B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 16125. * 457 Art. L. 112-2, al. 1er C. mon. fin. - V. B. MERCADAL et Ph. JANIN, Sociétés commerciales, op. préc., n° 2864 ; B. MERCADAL, Contrats et droits de l'entreprise, op. cit., n° 5775 et s. * 458 V. Cass. 1ère civ., 6 octobre 1982 : Bull. civ. I, n° 276. * 459 Cass. com., 3 novembre 1988 : Dalloz 1989, n° 93, note MALAURIE. * 460 Art. 1174 C. civ. * 461 Cass. com., 18 juin 1996 : BRDA 15/96, p. 3 : validité d'une clause de fixation du prix par rapport à un bilan futur ; Cass. com., 16 janvier 2001 : Bull. Joly 2001, p. 391 : validité d'une clause de révision de prix en fonction d'un bilan rectificatif établi par un professionnel, les cessionnaires disposant d'un droit de contrôle ; CA Versailles, 27 juin 2003 : RJDA janvier 2004, n° 52 : validité d'une formule de prix faisant référence à une moyenne de résultats. * 462 L'EBITDA (Earning before interest tax depreciation and amortization) est le résultat opérationnel (EBIT) avant dépréciation et amortissement. Cette notion est donc assez proche de la notion d'excédent brut d'exploitation (EBE) dans les pratiques françaises. Elle mesure le cash flow brut (avant impôt sur le résultat) et éléments financiers. L'EBITDA est donc systématiquement supérieur à l'EBIT et peut être considéré comme un très bon indicateur de rentabilité économique. * 463 Cass. soc., 9 juillet 1996 : Bull. civ. IV, n° 269. |
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