L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
b) Les modalités de l'élargissement des délégations28. - La différence entre l'article L. 225-129-1 et l'article L. 225-129-2 paraît simple. Aux termes de l'article L. 225-129-1, l'assemblée générale extraordinaire « décide » l'augmentation de capital, elle peut déléguer au conseil d'administration ou au directoire le « pouvoir de la réaliser », ces derniers fixant alors les « modalités » de l'émission ; il sera fait référence en l'espèce au terme de « délégation de pouvoir »107(*) (i). Aux termes de l'article L. 225-129-2, l'assemblée générale extraordinaire peut « autoriser »108(*) l'augmentation de capital, elle peut déléguer au conseil d'administration ou au directoire le « pouvoir de la décider », ces derniers fixant alors les « conditions » d'émission ; il sera alors fait référence en l'espèce au terme de « délégation de compétence » (ou « autorisation d'émission ») (ii). 29. - L'ordonnance du 24 juin 2004 règle le sort des délégations en cours, en énonçant que les délégations accordées par les assemblées générales extraordinaires antérieurement à la publication de l'ordonnance restent valables jusqu'à leur terme, sauf décision contraire d'une nouvelle assemblée générale extraordinaire. Toutefois, les modalités d'exercice de ces délégations sont régies par les dispositions de l'ordonnance dès son entrée en vigueur109(*). (i) La délégation de pouvoir30. - La délégation de pouvoir prévue à l'article L. 225-129-1 du Code de commerce paraît simple. Cette simplicité n'est cependant qu'apparente, le texte recelant de nombreux pièges sur la manière dont les assemblées générales devront désormais se prononcer. En particulier, la portée de la délégation de pouvoir paraît incertaine. 31. - La première question qui se pose est de savoir si l'organe de direction délégué pour la réalisation d'une augmentation de capital en vertu de l'article L. 225-129-1 a compétence liée ou non. L'article L. 225-129, alinéa 2, qui encadre les augmentations de capital réalisées en application de l'article L. 225-129-1, dispose que « l'augmentation de capital doit [...] être réalisée dans le délai de cinq ans », suggérant que l'organe de direction délégué aurait compétence liée pour la décision prise par l'assemblée générale. Toutefois, on note que l'article L. 225-129-4 conserve la possibilité pour la personne sous-déléguée par le conseil d'administration ou le directoire de surseoir à décider la réalisation de l'augmentation de capital, y compris dans le cas où cette décision serait prise en application de l'article L. 225-129-1. L'ordonnance ayant pour objectif de donner plus de souplesse aux émetteurs et de mieux adapter le régime des augmentations de capital aux contraintes des marchés de capitaux, il faut en conclure qu'en dépit de la formulation impérative du texte, le conseil d'administration ou le directoire conserve toute liberté pour réaliser ou non les augmentations de capital décidées par l'assemblée générale extraordinaire, pour autant que cette dernière lui ait formellement donné le pouvoir de surseoir à ses décisions110(*). 32. - Une autre question se pose quant au point de savoir si l'on peut autoriser une émission de titres dans la limite d'un montant maximum dans le cadre de l'article L. 225-129-1 du Code de commerce. La délégation de l'ancien article L. 225-129, que ce soit pour réaliser des émissions de catégories particulières de titres111(*) ou dans le cadre de la délégation globale112(*), prévoyait clairement la possibilité pour l'assemblée de déléguer au conseil d'administration ou au directoire un pouvoir d'émission dans la limite d'un plafond qu'elle avait fixé, le conseil d'administration ou le directoire ayant le pouvoir de « fixer le ou les montants »113(*) des émissions. Mais ni l'article L. 225-129, ni l'article L. 225-129-1 n'évoquent désormais la possibilité pour l'assemblée générale de fixer des plafonds d'émission114(*). L'article L. 225-129-1 donne toutefois au conseil d'administration ou au directoire le pouvoir de « fixer les modalités de l'émission des titres ». La question est alors de savoir s'il faut en conclure que l'assemblée générale extraordinaire peut décider d'augmenter le capital en application de l'article L. 225-129-1 dans la limite d'un plafond qu'elle fixerait, laissant au conseil d'administration ou au directoire le soin de fixer le montant de ladite augmentation. Les auteurs sont divisés sur la question. La plupart pensent que si l'on permet, dans le cadre de l'article L. 225-129-1, de déléguer à l'organe de direction le pouvoir de réaliser à son gré des augmentations de capital dans des limites larges, cela reviendrait à ce que l'article L. 225-129-1 donne, en fait, une autorisation d'émission similaire à celle prévue par l'article L. 225-129-2 ; or, en l'état du texte, la création d'une autorisation d'émission semble bien le seul dessein de l'article L. 225-129-2. Ces auteurs concluent en écrivant : « la délégation de pouvoir se distingue, semble-t-il, de la délégation de compétence en cela que l'assemblée décide, par construction, une augmentation de capital à laquelle elle assigne un montant, et non pas seulement un plafond »115(*). Un auteur116(*) raisonne cependant a contrario, estimant que limiter l'article L. 225-129-1 à des décisions ne laissant aucune flexibilité dans le montant de l'émission autre que celle de surseoir à ladite émission prive significativement d'intérêt le recours à cet article ; le texte n'offrirait alors qu'une flexibilité de mise en oeuvre technique d'une augmentation de capital décidée par l'assemblée générale. Dès lors, le délai d'utilisation de cinq ans prévu par l'article L. 225-129, alinéa 2, n'aurait plus de sens. L'auteur estime en conclusion qu'il est préférable de retenir l'interprétation selon laquelle les « modalités de l'émission des titres » décidées par le conseil d'administration ou le directoire portent sur le montant de l'émission et que l'assemblée générale peut dès lors fixer un plafond d'augmentation de capital dans le cadre de la délégation de pouvoir.
33. - Le nouveau dispositif amène également à se demander si l'article L. 225-129-1 du Code de commerce permet ou non d'opérer une autorisation globale d'émission117(*). L'ancien article L. 225-129, III, établissait clairement la distinction entre les émissions par catégories de titres (2ème alinéa) et la résolution globale (3ème alinéa). Seul l'article L. 225-129-2 fait aujourd'hui référence à la possibilité pour l'assemblée générale de fixer un plafond global d'augmentation de capital, à l'articulation avec les délégations antérieurs et à l'obligation de prévoir des résolutions particulières pour certaines émissions de titres, qui sont les corollaires de la délégation globale. Si l'article L. 225-129-1 était destiné à porter délégation globale, les dispositions des 2ème, 3ème et 4ème alinéas de l'article L. 225-129-2 auraient du être mises en facteur commun des deux articles118(*). En outre, s'il était permis de réaliser une délégation globale sur la base de l'article L. 225-129-1, on ne comprendrait pas le caractère duplicatif des deux articles. Il ne paraît donc pas possible de réaliser une autorisation globale à partir de la délégation de réalisation d'une augmentation de capital. 34. - Enfin, on notera que l'article L. 225-129-1 du Code de commerce ne donne pas au conseil d'administration ou au directoire le pouvoir de constater la réalisation des augmentations de capital qui résultent de l'utilisation de sa délégation et de procéder à la modification corrélative des statuts. Cette omission est curieuse dans la mesure où ceci figure au dernier alinéa de l'article L. 225-129-2 et figurant aux alinéas 2 et 3 de l'ancien article L. 225-129, III. Dès lors, en théorie, une délégation donnée par l'assemblée générale extraordinaire au conseil d'administration ou au directoire pour procéder à la modification des statuts corrélative une augmentation de capital réalisée en application de l'article L. 225-129-1 serait nulle119(*). On pourrait néanmoins considérer que le dernier alinéa de l'article L. 225-129-2120(*) s'applique également aux délégations de l'article L. 225-129-1 ; une telle lecture est toutefois très incertaine en l'état du texte. 35. - Ces observations faites, il est précisé que l'assemblée générale extraordinaire peut bien entendu fixer, outre le plafond et/ou le montant de l'opération, d'autres modalités - prix d'émission, mode de libération, etc. - limitant ainsi la liberté de l'organe de direction dans l'exercice des pouvoirs délégués. On rappellera en outre que la délégation de pouvoir s'impose à l'organe de direction, lequel doit réaliser l'augmentation de capital décidée par l'assemblée dans le délai imparti, à savoir cinq ans au plus121(*) - à moins que l'assemblée n'ait formellement autorisé l'organe délégué à surseoir à l'opération122(*). 36. - Au regard des incertitudes relatives à la portée de la délégation de pouvoir et de la sanction de la violation des articles L. 225-129 et suivants du Code de commerce - qui demeure la nullité de l'augmentation de capital123(*) -, une prudence particulière devra présider à l'utilisation de l'article L. 225-129-1. * 107 En ce sens, A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 105 à 143 ; P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », Bull. Joly 2004, p. 1023, n° 13. * 108 Le terme « autoriser » est clairement introduit par l'article L. 225-135 du Code de commerce. * 109 Art. 64, I, de l'ordonnance. * 110 En ce sens, P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », art. préc., n° 15. Contra, P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 18. * 111 Ancien art. L. 225-129, III, al. 2 C. com. * 112 Ancien art. L. 225-129, III, al. 3 C. com. * 113 Ancien art. L. 225-129, III, al. 2 C. com. * 114 La seule référence à un plafond figure à l'article L. 225-129-2 du Code de commerce pour les délégations de compétence. * 115 A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 106. En ce sens, P. D'HOIR, La réforme des valeurs mobilières & des augmentations de capital, op. préc., p. 18 ; M. BANDRAC, P. BIROTHEAU, C. DEBIN, J.-P. DOM, S. GAILLET, F. LE ROQUAIS et M. SUPIOT, « Le régime et l'émission des valeurs mobilières après les ordonnances de 2004 », art. préc., p. 20. * 116 P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », art. préc., n° 16. * 117 Comme le permettait l'ancien article L. 225-129, III, al. 3 du Code de commerce. * 118 En ce sens, P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », art. préc., n° 17. * 119 En ce sens, P. TOURRES, « Augmentation de capital : l'élargissement des délégations », in Le nouveau droit des valeurs mobilières après la réforme du 24 juin 2004, art. préc. * 120 Article L. 225-129-2, al. 4 C. com. : « Dans la limite de la délégation donnée par l'assemblée générale, le conseil d'administration ou le directoire dispose des pouvoirs nécessaires pour fixer les conditions d'émission, constater la réalisation des augmentations de capital qui en résultent et procéder à la modification corrélative des statuts ». * 121 Art. L. 225-129 et L. 225-129-1 C. com. * 122 Supra n° 31. * 123 Art. L. 225-149-3 C. com. |
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