PARTIE II : LE CHANGEMENT DE
POLITIQUE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE
La communauté internationale a pris conscience à
la fin des années quatre vingt dix du relatif échec des
politiques de lutte contre le travail des enfants qu'elles avaient mises en
place au cours des décennies précédentes. Malgré
les efforts qu'elle avait fournis, notamment en édictant des conventions
internationales interdisant le recours à la main-d'oeuvre enfantine, la
situation des enfants dans le monde ne s'améliorait pas. Il est donc
apparu évident que l'on ne pouvait attendre plus longtemps pour
protéger ces enfants soumis à l'exploitation
économique ; ils ne peuvent attendre que la situation
économique de leurs pays s'améliore suffisamment pour leur
permettre de retrouver un semblant d'enfance normale. Tout le monde s'accorde
pour dire que le développement économique de ces pays pauvres
prendra beaucoup de temps, d'autant que les engagements des pays riches
à les soutenir financièrement dans leur démarche de
développement et de progrès social, ne sont pas tenues.
Lors du Sommet mondial pour les enfants, les pays
industrialisés s'étaient engagés à verser 0,7% de
leur produit intérieur brut pour aider ces pays pauvres ; en
réalité, il n'en fût rien et ces pays se débattent
toujours dans une pauvreté absolue. Il a donc fallu élaborer une
politique d'urgence permettant aux enfants les plus exposés au danger
d'être retirés du travail. Pour cela, il est apparu indispensable
d'étudier avec précision les causes profondes du travail des
enfants, afin de pouvoir lutter efficacement et le plus rapidement possible
contre celui-ci ( Chapitre I ). Cependant, en parallèle des moyens
d'urgence proposés par la communauté internationale, des
solutions d'éradication du travail des enfants, à plus long
terme, sont également proposées car l'abolition totale du travail
des enfants reste l'objectif principal ( Chapitre II ).
CHAPITRE I : UNE COMMUNAUTE INTERNATIONALE SOUCIEUSE
DE COMPRENDRE POUR MIEUX LUTTER
Le travail des enfants, on l'a vu n'est pas l'apanage des pays
pauvres, mais c'est toujours la pauvreté qui est la cause principale de
ce travail. Néanmoins, le travail de ces enfants résulte de
multiples facteurs variant suivant les régions du monde et qu'il est
essentiel de cerner parfaitement afin de comprendre, non seulement pourquoi les
enfants travaillent, mais surtout comment faire pour remédier à
cette situation ( Section I ). C'est cette démarche qu'a entreprise la
communauté internationale, et qui a abouti à une nouvelle
convention internationale, qui ne concerne que les « pires formes de
travail des enfants » ( Section II ).
SECTION I : Les
causes du travail des enfants prises en compte dans leur ensemble
Les causes du travail des enfants sont multiples et diverses,
néanmoins nous tenterons dans ces développements d'exposer les
principales, c'est à dire celles qui poussent la plupart des enfants au
travail. Si l'on entend s'opposer efficacement au travail des enfants, il
importe d'en avoir compris les causes profondes. Il faut se garder des
globalisations simplificatrices. Le travail des enfants pose un problème
complexe intimement liées au milieu social et économique
où il se situe. Nous analyserons tout d'abord les causes directement
liées à la pauvreté des familles ( Paragraphe I ), avant
de voir les causes extérieures à cet environnement familial (
Paragraphe II ).
Paragraphe I : Les causes liées
à la pauvreté des familles
L'ampleur actuelle du travail des enfants dans le monde ne
peut s'expliquer que par celle de la pauvreté : aujourd'hui 250
millions d'enfants sont amenés à travailler pour survivre, car
1,3 milliard de personnes dans le monde ( sur 6 milliards d'habitants) vivent
dans un dénuement total, avec moins de l'équivalent d'un dollar
par jour36(*) c'est
à dire moins que le seuil de pauvreté défini sur le plan
international. Toujours selon le même rapport, 4,3 milliards de personnes
ne disposent que d'environ deux dollars par jour, en parité de pouvoir
d'achat selon chaque pays. On sait bien que l'immense majorité de cette
population pauvre vit dans les pays en développement, pays où le
travail des enfants est le plus important. L'UNICEF estime que les enfants
représentent 50% des pauvres vivant dans le monde. On évalue
à 650 millions le nombre d'enfants qui vivent dans un extrême
dénuement, et leur nombre ne cesse d'augmenter. Entre 1988 et 1993, le
nombre des enfants pauvres s'est accru d'au moins 20% en Afrique au sud du
Sahara et en Amérique latine.
Les liens sociologiques entre pauvreté et travail des
enfants sont aujourd'hui clairement établis : être pauvre,
c'est lutter sans cesse pour disposer du minimum vital, chercher chaque jour de
quoi nourrir sa famille, et sur le long terme être privé de tout
pouvoir de décision sur sa propre vie. « La
pauvreté revient à vivre l'insécurité permanente et
à tenter simplement d'éviter le pire »37(*). Le travail des enfants fait
alors complètement partie de ces stratégies de survie, car plus
une famille est pauvre plus chacun de ses membres doit contribuer à
gagner ce qu'il coûte, en argent ou en production alimentaire. Cette
question essentielle de l'alimentation se pose encore avec plus d'acuité
quand il y a de nombreux enfants à nourrir, ce qui est le cas de
beaucoup de familles rurales dans les pays en développement où le
taux de fertilité est très élevé.
Le dénuement peut alors pousser les familles à
l'extrême à accepter n'importe quelle proposition, y compris celle
d'un intermédiaire plus que douteux ou d'un usurier, et se retrouver
ensuite dans le cercle vicieux de la servitude pour dettes que nous avons vu
précédemment. Cependant, en aucun cas cette explication ne peut
ni ne doit conduire à faire le procès des parents. Les familles
démunies prennent toute activité qui se présente comme un
léger soulagement dans leur quête du pain quotidien. Les parents
n'ont qu'un espoir qui est que le travail permette à leur enfant de
mener une existence meilleure que la leur. Les enfants qui travaillent comme
domestiques dans des conditions abominables, sont envoyés par leurs
parents dans les villes pour travailler et non pour se faire exploiter et
maltraiter. En aucun cas, les parents pauvres ne laisseraient leurs enfants
travailler dans ces conditions s'ils étaient au courant de celles-ci.
Le lien entre pauvreté et travail des enfants est
également visible dans les pays industrialisés, puisqu'il ne faut
pas oublier que près de 100 millions de personnes vivent dans la
pauvreté dans les pays riches, auxquels se sont ajoutés dans les
années 90, 120 millions d'individus tombés dans la
pauvreté dans les pays de l'Est. Aux Etats-Unis, comme au Royaume Uni,
8% des enfants vivent dans des familles pauvres et c'est parmi eux que l'on
trouve actuellement la plupart des enfants actifs.
Si l'on en croit les théoriciens de l'économie,
lorsqu'elles incitent leurs enfants à se lancer sur le marché du
travail, les familles pauvres peuvent sembler adopter une attitude
irrationnelle, mais en fait, elles n'ont guère d'alternatives. Pour
elles, la survie à court terme est plus importante que le
développement à long terme. Ainsi, la misère engendre le
travail des enfants, lequel perpétue la misère, les
inégalités et la discrimination. D'après certaines
sources, la part des enfants va parfois jusqu'à atteindre le quart du
revenu des familles pauvres. Néanmoins, il serait faux d'affirmer que la
pauvreté entraîne automatiquement le travail des enfants,
même s'il est vrai que la grande majorité des enfants qui
travaillent appartiennent à des familles pauvres, tous les enfants
pauvres ne sont pas pour autant au travail.
En effet, et c'est là un deuxième facteur du
travail des enfants, les parents ont souvent du mal à avoir un emploi et
surtout à en tirer des revenus suffisants pour faire vivre correctement
leurs enfants et ils ont donc tendance à faire travailler leurs enfants,
qui eux paradoxalement n'ont pas de mal à trouver du travail.
En Egypte, une étude a montré qu'une hausse de
seulement 10% des salaires des femmes ferait reculer de 15% le travail des
enfants de douze à quatorze ans, et de 27% celui des enfants de six
à onze ans. Les pays concernés par le travail des enfants
connaissent un taux très élevé d'adultes sans emploi ou en
situation de sous-emploi, c'est à dire des adultes qui désirent
travailler davantage et qui ne gagnent pas le minimum vital. Au Pérou,
par exemple, 75% de la population active était en 1992, en situation de
sous-emploi, et subsistait à l'aide d'activités marginales ou
précaires. Selon l'ONU, un tiers des trois milliards d'individus
d'âge actif de la planète sont sans emploi ou
sous-employés, pour l'essentiel dans les pays en développement.
Sans même vouloir absorber cette population, la création de 40
millions d'emplois nouveaux chaque année serait nécessaire au
niveau mondial, or partout dans le monde, l'emploi public a été
réduit, et l'évolution de l'emploi privé ne suffit pas
à occuper l'ensemble de ces actifs. Par conséquent, la population
adulte en quête d'argent pour survivre est en partie absorbée par
le secteur informel, comme les métiers de rue, secteur qui évolue
plus rapidement que l'emploi formel dans les pays en développement. Mais
sa capacité d'absorption n'est pas illimitée et surtout, il ne
donne pas de revenus stables à ces parents, leur permettant d'enlever
définitivement leurs enfants du travail. Ces familles qui vivent d'une
activité informelle sollicitent souvent les enfants pour
compléter le revenu familial. Trouver un revenu stable et suffisant aux
parents est primordial si l'on veut que leurs enfants ne soient plus
amenés à travailler. En effet aujourd'hui pour une famille
pauvre, la petite contribution du revenu d'un enfant ou l'aide qu'il apporte
à la maison et qui permet alors aux parents d'occuper un emploi
précaire de temps à autre, peut faire toute la différence
entre la faim et la satisfaction des besoins élémentaires de la
famille. Néanmoins, ce problème du sous-emploi des adultes dans
les pays en développement fait partie d'un cercle vicieux qu'il est
difficile de briser : les parents ne trouvent pas d'emploi ou ne
perçoivent pas des revenus suffisants donc ils envoient leurs enfants
travailler, contribuant ainsi à la situation de chômage des
adultes, et donc entraînant le travail des enfants. De plus, elle
contribue à un autre cercle vicieux qui est que ces jeunes enfants qui
travaillent ne bénéficient d'aucune éducation, et donc
constitueront une population adulte illettrée et non qualifiée
qui sera alors plongée dans la pauvreté. Ils revivront donc la
même situation que celle vécue par leurs parents et devront faire
travailler leurs enfants pour survivre. Le comble réside tout de
même dans le fait que les employeurs d'enfants se justifient souvent en
expliquant qu'ils rendent ainsi service aux parents chômeurs !
Autre facteur favorisant le travail des enfants dans les pays
en développement essentiellement : l'aspect traditionnel du travail
des enfants. Les forces économiques qui poussent les enfants vers le
travail et notamment les travaux dangereux sont sans doute les plus puissantes,
mais les traditions et les conventions sociales rigides jouent également
un grand rôle à cet égard. Dans les pays
industrialisés, comme le nôtre, tout le monde reconnaît
aujourd'hui que pour qu'un enfant se développe normalement et sainement,
il ne doit pas accomplir de travail trop dur. En théorie,
l'éducation, le jeu et les loisirs et un repos suffisant doivent avoir
une place importante dans la vie des enfants. Mais cette idée est assez
récente, puisque au début de l'industrialisation, le travail
était considéré comme l'un des moyens les plus efficaces
pour apprendre la vie et le monde aux enfants. On retrouve encore aujourd'hui
cette idée dans l'opinion de beaucoup de gens pour lesquels il est
toujours bon qu'un adolescent fasse des « petits boulots »,
afin de se rendre compte de la valeur de l'argent et de s'occuper notamment
pendant les vacances.
Néanmoins, dans les pays en développement, le
problème se pose différemment : les enfants doivent
travailler pour gagner leur pain, car leurs parents l'ont fait avant eux et ils
n'en sont pas morts, donc leurs enfants doivent faire de même. Il arrive
que les enfants soient censés jouer leur rôle social en prenant la
suite de leurs parents dans une branche particulière, comme les
activités agricoles. Par conséquent, cet enfant n'a pas besoin
d'apprendre autre chose que la culture de ces champs et de plus il est de son
devoir d'aider ses parents. Comme le dit très bien Mme Catherine Boidin,
consultante auprès du bureau international du travail, les parents n'ont
même pas l'impression que leurs enfants travaillent :
« cet enfant ne travaille pas, il aide sa famille, c'est normal, il y
a chez nous un système d'entraide, un devoir de reconnaissance, une
contrepartie de l'assistance qu'il reçoit », ou encore
« c'est pour permettre la transmission du savoir d'une
génération à l'autre »38(*). Pour ces populations pauvres
et non informées, les enfants ne travaillent pas quand ils aident leur
famille. Parce que l'on n'a pas une connaissance suffisante de ses
conséquences, le travail des enfants peut se trouver si
profondément enraciné dans les coutumes et les habitudes locales
que les parents des enfants n'ont pas eux-mêmes conscience de ce que ce
travail est illégal ou préjudiciable à leurs enfants.
Ce phénomène est important dans les zones
rurales de ces pays en développement et surtout envers les filles. En
effet, leur culture impliquent qu'une fillette doit savoir s'occuper de la
maison et des enfants car c'est ce qu'elle sera amenée à faire
toute sa vie, même quand elle aura quitté la maison familiale en
se mariant. Les filles sont donc victimes de préjugés
socioculturels défavorables, qui sont omniprésents dans les zones
rurales d'Asie et d'Afrique ; leur éducation est
considérée comme une perte de temps et d'argent, car elles
consacreront leur vie à la tenue de leur ménage. Une idée
répandue veut d'ailleurs qu'une fille éduquée serait moins
encline à se marier et à bien remplir son rôle
traditionnel. Il paraît en effet vraisemblable qu'une fillette
éduquée supporte moins facilement sa condition de femme
mariée n'ayant aucun droit de direction sur sa propre vie. Une fille est
aussi destinée à appartenir à une autre famille à
court terme par le mariage, tandis qu'un garçon ,lui, soutiendra ses
parents dans la vieillesse et prendra soin du patrimoine, notamment agricole.
Les familles réservent donc en priorité la nourriture, les soins
et l'éducation aux fils. Même si aujourd'hui certaines estimations
font apparaître qu'il y aurait plus de jeunes garçons au travail
que des fillettes, il n'en est rien dans la réalité ; cela
résulte tout simplement que l'activité de ces dernières
sont cantonnées la plupart du temps soit au foyer familial ou
travaillent comme domestiques, et sont donc « invisibles ».
A côté de ces causes dues aux besoins des familles ou tout du
moins à leur tradition, des causes tout à fait extérieures
à la sphère familiale jouent également un rôle
important dans la pérennité du travail des enfants.
* 36 PNUD, Rapport mondial
sur le développement humain, 1998, Economica, Paris
( site Web : www.undp.org)
* 37 Bénédicte
Manier : Le travail des enfants dans le monde, 1999,
éditions la Découverte,p.33.
* 38 Catherine Boidin
« A l'écoute des enfants travailleurs dans les pays en
développement », Cahier du Comité d'histoire,
supplément avril 2001, Les enfants et les jeunes au travail, p.159.
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