Paragraphe II : Les causes
extérieures aux besoins des familles
Un des facteurs du travail des enfants, et sans doute l'un des
principaux, est l'échec de la scolarisation universelle. L'UNICEF estime
qu'aujourd'hui plus de 130 millions d'enfants ne sont pas scolarisés,
chiffre qui atteindrait même les 404 millions si l'on inclut tous les
enfants de moins de 18 ans. Il est très aisé de faire le lien
entre ce chiffre et celui des enfants au travail. Parmi les 250 millions
d'enfants actifs dans le monde, le Bureau International du Travail
évalue à 120 millions le nombre de ceux qui travaillent à
temps plein et donc ayant des horaires de travail incompatibles avec une
quelconque possibilité d'études : 38% travaillent plus de 40
heures par semaine et 13% au moins 56 heures. De plus, pour les enfants qui ne
travaillent pas encore, les déficiences quantitatives et qualitatives
des infrastructures éducatives, les empêchent d'avoir une
éducation digne de ce nom. Par conséquent, les parents
préfèrent envoyer leurs enfants dans les champs, par exemple,
plutôt qu'à l'école où ce qu'on leur apprendra ne
leur sera d'aucune utilité. Cependant, il ne faut pas accuser ces
parents de ne pas vouloir envoyer leurs enfants à l'école, mais
comprendre que deux raisons essentielles les poussent à agir
ainsi : tout d'abord, les frais scolaires sont très
élevés pour une famille pauvre et enfin, pendant qu'il est
à l'école, l'enfant ne travaille pas et donc ne contribue pas aux
revenus du ménage. En effet, l'enseignement public, soi-disant gratuit,
représente en général un très lourd investissement
pour une famille pauvre qui doit prendre à sa charge les livres,
uniformes et autres fournitures scolaires, frais de transport, voire parfois
verser de l'argent aux enseignants. Cela explique également que beaucoup
d'enfants soient obligés de travailler pour payer leurs frais de
scolarité, or tout le monde s'accorde à dire qu'après une
journée de travail, un enfant n'est pas dans les meilleures conditions,
pour tirer tous les bénéfices de l'enseignement qu'il
reçoit.
De plus, beaucoup d'enfants n'ont pas accès à
l'éducation, tout simplement car ils ne disposent pas d'une école
à proximité de leur habitation. Nous verrons
ultérieurement que la lutte contre le travail des enfants doit
impérativement passer d'abord par un effort considérable en
matière d'éducation dans les pays en développement. Ce
n'est qu'en proposant une éducation accessible à tous,
géographiquement et financièrement, et permettant aux enfants
d'envisager une amélioration de leur situation, que le travail des
enfants reculera.
Pour bien comprendre l'ampleur du travail des enfants, il faut
également avoir à l'esprit que la main-d'oeuvre enfantine est
très demandée et recherchée par les employeurs. Les
raisons en sont très simples, ce sont des raisons économiques. On
considère en effet que les employeurs recourent à cette
main-d'oeuvre, malgré les interdictions, parce qu'elle leur coûte
moins cher que la main d'oeuvre adulte. En effet, dans beaucoup de cas, les
travailleurs enfants ne coûtent absolument rien ou presque, et ce
notamment dans les entreprises de petite taille, qui sont, rappelons-le les
plus grands employeurs de main-d'oeuvre enfantine. Or, la viabilité
économique de ce type d'entreprise dépend souvent de cette
main-d'oeuvre non rémunérée. Des considérations de
coût entrent également en jeu dans le cas des petits
établissements non déclarés et financièrement
précaires que l'on rencontre en masse dans le secteur informel des pays
en développement. Sous le prétexte, que les employeurs leur
donnent la possibilité d'apprendre les rudiments d'un métier, la
paie des enfants se réduit souvent à un peu d'argent de poche
consenti de temps à autre par l'employeur. Dans les services
domestiques, le toit et le couvert sont fréquemment la seule
rétribution du travail effectué par les enfants, et cela quand
les employeurs ne sont pas trop sévères, car souvent les enfants
ont à peine à manger et dorment dehors. Il en va de même
pour les enfants qui travaillent pour rembourser la dette des parents, dans le
cadre de la servitude pour dettes, et qui ne sont donc pas payés car
leur salaire est censé rembourser la dette, ce qui est rarement le cas.
Que les enfants soient moins bien payés que les adultes est vrai dans la
plupart des cas, mais souvent cela sert d'excuse aux employeurs qui invoquent
que le surcoût occasionné par l'emploi d'adultes à la place
des enfants empêcherait leur entreprise d'être compétitive.
On prétend souvent que les enfants sont irremplaçables dans
certaines industries d'exportation qui cesseraient d'être
compétitives si elles se voyaient privées de la
possibilité de la main-d'oeuvre enfantine ; ce fut notamment
l'argument invoqué par les fabricants de tapis tissés à la
main en Inde. Cependant, une étude menée par le Bureau
International du Travail a montré que pour ces industries, le travail
des enfants n'était pas indispensable à la survie
économique de cette industrie, car le surcoût de l'emploi
d'adultes était étonnamment modeste en proportion du prix auquel
les tapis sont vendus dans les pays importateurs : entre 5 et 10% du
prix39(*). Dans ces
conditions, on peut se demander pourquoi les employeurs continuent à
employer cette main-d'oeuvre enfantine, d'autant que les campagnes de
boycottage des produits fabriqués par des enfants se multiplient et font
baisser les ventes de ces employeurs. La raison en est simple, dans l'industrie
du tapis, les bénéficiaires directs sont les propriétaires
de métiers, qui sont eux-mêmes pauvres et travaillent avec des
marges bénéficiaires très faibles, donc en employant des
enfants, ils peuvent doubler leurs revenus. Enfin, au delà du versant
économique du travail, il existe un versant psychologique important,
expliquant le recours à cette main-d'oeuvre : les enfants sont
moins conscients que les adultes de leurs droits, ils font moins d'histoires,
sont plus disciplinés, s'absentent moins et surtout ils acceptent plus
facilement un emploi dur sans se plaindre. Leur activité étant le
plus souvent illégale, ils ne risquent pas en plus d'aller se plaindre
aux autorités ou de s'affilier à un syndicat. La main-d'oeuvre
enfantine est donc très malléable et on peut donc l'exploiter
plus facilement, car elle ne se plaint pas. Un autre argument utilisé
par les employeurs serait que les enfants seraient irremplaçables du
fait de leurs « doigts de fée » : par exemple,
on dit souvent que seuls les enfants, qui ont les doigts très fins,
seraient capables de nouer des tapis avec une forte densité de points.
Or , et cela n'est plus à démontrer désormais, certains
des plus beaux tapis sont fabriqués par des adultes, donc si on peut se
passer de la dextérité des enfants pour tisser les tapis, on voit
mal dans quelles activités leurs doigts de fées seraient
indispensables ! De plus, la plupart du temps, les enfants sont
employés à des tâches telles que la manutention ou
l'emballage dans l'industrie, tâches qu'un adulte peu tout à fait
accomplir aussi bien. Cet argument de la dextérité enfantine
n'est donc plus désormais un argument valable, pour pouvoir excuser le
comportement d'employeurs peu scrupuleux, désireux tout simplement de
faire un maximum de profits sur le dos des enfants, sans se soucier des
conséquences sur la santé de ceux-ci.
Enfin, la dernière cause majeure de travail des
enfants, est l'épidémie de sida qui sévit depuis plusieurs
années en Afrique et en Asie. Avec près de 30 millions d'adultes
et d'enfants infectés par le VIH en 2000, l'Afrique sub-saharienne
constitue en effet la région la plus durement touchée. Cette
région enregistre à elle seule 50% des 8 500 infections nouvelles
qui surviennent chaque jour dans le monde. Le VIH ne se limite plus aux villes
mais se répand maintenant à une vitesse alarmante dans les zones
rurales et elle touche la population paysanne, en particulier les personnes les
plus productives c'est à dire celles âgées de 15 à
45 ans. Par conséquent un grand nombre de chefs de familles sont morts
du sida, et les familles s'enfoncent de plus en plus dans la pauvreté et
les responsabilités sont de plus en plus lourdes pour les survivants,
particulièrement les enfants. Interrogé sur le travail des
enfants dans les plantations de thé de Tanzanie, M. Norman Kelly,
Directeur général de la plantation Brooke Bond, répond :
"La main-d'oeuvre adulte diminue rapidement en raison de la forte incidence du
VIH/sida parmi les travailleurs."40(*) Une étude réalisée par l'UNICEF
dans six pays de l'Afrique de l'Est et d'Afrique australe constate que "le
VIH/sida démantèle les familles et augmente les
possibilités d'exploitation des enfants par le travail... Juste à
l'âge où les enfants devraient aller à l'école,
leurs lourdes et nouvelles responsabilités de chefs de familles les
forcent à abandonner leur scolarité". Cette cause de travail des
enfants, ne peut malheureusement pas être combattue par les conventions
internationales, mais par un immense travail de prévention des risques
du sida en Afrique et en Asie, travail colossal difficilement
réalisable.
Conscients de ces causes multiples et de son impuissance
à les combattre rapidement, la communauté internationale a alors
décidé d'édicter une convention destinée à
lutter prioritairement contre les pires formes de travail des enfants.
* 39 BIT : «Is
child labour really necessary in India's carpet industry»
Genève, 1996.
* 40 Revue Afrique Relance,
vol.15#3 (octobre 2001), p.14 (Dossier spécial : la protection des
enfants africains). Site web :
http://www.un.org/french/ecosocdev/geninfo/afrec/vol.15n°3/153kidf4.htm
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