Paragraphe II
: Une application
cependant limitée dans les législations nationales
La Convention n°138 sur l'âge minimum faisait
espérer la fin du travail des enfants. Cependant, il n'en fut rien car
les pays en développement ne pouvant ou ne voulant pas intégrer
cette convention dans leurs législations nationales, ont eu recours aux
souplesses d'application contenues dans cette convention. En effet, tout en
fixant un âge minimum applicable en principe à tous les secteurs
d'activité, que des enfants y travaillent ou non comme salariés,
la convention n°138 contient des dispositions qui lui donnent une certaine
souplesse destinée à en permettre l'application progressive.
Ainsi, les pays dont l'économie et les institutions scolaires ne sont
pas suffisamment développées peuvent spécifier, en
première étape, un âge minimum de 14 ans au lieu de
1522(*), ce qui a pour
effet d'abaisser l'âge minimum pour les travaux légers de 13
à 12 ans. Toutefois, il n'existe pas d'exception correspondante pour les
activités dangereuses, en application du principe selon lequel le niveau
de développement ne peut servir d'excuse pour permettre que des enfants
soient affectés à des tâches susceptibles de compromettre
leur santé, leur sécurité ou leur moralité.
La convention n°138 présente aussi une certaine
souplesse en ce qui concerne les secteurs ou activités visés
puisqu'elle autorise les Etats à exclure des catégories
limitées d'emploi ou de travail, lorsque son application à ses
catégories soulèverait des difficultés d'exécution
spéciales et importantes23(*). Elle ne précise pas ces catégories,
mais il a été fait mention, au cours des travaux
préparatoires, de l'emploi dans les entreprises familiales, des services
domestiques chez les particuliers et de certains types de travaux
effectués en dehors du contrôle de l'employeur, par exemple le
travail à domicile. Ces exclusions tiennent essentiellement aux
difficultés pratiques que soulève l'application de la loi aux
catégories visées, et non bien sûr à l'absence de
risques d'exploitation ou d'abus.
Par ailleurs, la convention donne aux pays en
développement la possibilité de limiter initialement son champ
d'application en précisant les branches d'activité
économique ou les types d'entreprises auxquelles elle s'applique :
l'article 5 stipule que « tout membre dont l'économie et les
services administratifs n'ont pas atteint un développement suffisant
pourra, après consultation des organisations d'employeurs et de
travailleurs intéressées, s'il en existe, limiter, en une
première étape, le champ d'application de la présente
convention. » Cependant dans ce même article il est
précisé que le champ d'application de la convention devra au
moins comprendre les sept secteurs suivants : les industries
extractives ; les industries manufacturières ; le
bâtiment et travaux publics ; l'électricité, gaz et
eau ;les services sanitaires ; les transports, entrepôts et
communications ; les plantations et autres entreprises agricoles
exploitées principalement à des fins commerciales ( à
l'exclusion des entreprises familiales ou de petite dimension )24(*) . Différentes autres
dispositions prévoient des exceptions ou des dérogations, par
exemple celle qui exclut les travaux effectués dans le cadre de certains
types d'enseignement ou de formation ou celle qui permet d'autoriser la
participation des enfants à des spectacles artistiques ainsi que la
possibilité de fixer l'âge minimum de l'apprentissage à 14
ans. S'il s'agit d'activités dangereuses, l'application de ces
dispositions exige les plus grandes précautions. Ainsi, la participation
à des spectacles artistiques peut présenter de graves risques
pour la santé ou la moralité des jeunes. C'est pourquoi certains
pays interdisent de les faire travailler dans les établissements tels
que boîtes des nuit, cabarets et cirques, où il existe en outre un
risque d'exploitation sexuelle. D'autres pays au contraire, comme la
Thaïlande, permettent le travail des enfants dans les night-clubs et les
bars à partir de 15 ans25(*). Quant à la formation, elle peut être un
subterfuge permettant aux employeurs d'imposer de façon continue un
travail pénible à des enfants n'ayant pas atteint l'âge
minimum. Il est donc essentiel de procéder à des contrôles
et à des inspections pour s'assurer que les jeunes reçoivent une
véritable formation dans des conditions convenables et ne sont pas
contraints à cette occasion d'effectuer des tâches dangereuses. La
convention fait obligation à l'autorité compétente de
prendre toutes les mesures nécessaires y compris des sanctions
appropriées, en vue d'assurer l'application effective de ses
dispositions. Les sanctions visées ici sont celles qui seront
prévues par la législation nationale pour les infractions aux
dispositions donnant effet à la convention.
La quasi-totalité des pays se sont aujourd'hui
dotés d'une législation visant à interdire l'emploi des
enfants n'ayant pas atteint un certain âge et à réglementer
les conditions de travail pour ceux qui ont atteint l'âge minimum. La
plupart ont fixé un âge plus élevé pour les travaux
dangereux, interdisant certaines activités aux jeunes de moins de 18
ans. Néanmoins, de nombreuses lacunes demeurent surtout en ce qui
concerne le champ d'application de ces lois et leur mise en application
concrète, parfois faute de ressources nécessaires pour en assurer
le contrôle et l'application, parfois faute de volonté politique,
mais souvent simplement parce que les autorités sont
désarmées face à un phénomène largement
invisible et qui prospère sur des fléaux sociaux aussi
profondément enracinés que la pauvreté, la discrimination
et les préjugés culturels.
L'examen des différentes législations des 155
Etats membres de l'OIT26(*) a permis de constater que, si la plupart des pays ont
adopté une législation prévoyant un âge minimum de
base pour l'admission des enfants à l'emploi ou au travail, nombre
d'entre eux ne se conforment pas à la convention n°138 qui prescrit
de fixer un âge minimum unique pour l'admission à tous les types
d'emploi : seuls 33 pays l'ont fait, et cela n'est pratique courante qu'en
Europe. La formule habituelle consiste à fixer un âge minimum qui
ne s'applique qu'à certains secteurs ou activités. Une autre
formule, pour laquelle un quart des pays membres a opté, consiste
à fixer des âges différents pour divers secteurs
économiques, tout en excluant totalement certains secteurs ou
activités. Environ 45 pays se conforment à l'esprit de la
convention puisqu'ils fixent l'âge minimum d'admission à l'emploi
à 15 ans et 37 pays le fixe à 14 ans. La limite de 15 ans a
surtout cours en Europe et celle de 14 ans dans le reste du monde. L'âge
minimum est de 16 ans dans 23 pays et de 15 à 16 ans dans quatre autres.
Par conséquent, 122 pays au minimum disposent d'une législation
interdisant le travail des enfants de moins de 14 ans, au moins dans certains
secteurs. En revanche, dans 30 pays, les enfants de moins de 14 ans ont le
droit de travailler et dans 6 l'âge minimum n'est que de 12 ans. C'est en
Afrique et en Asie, les plus gros fournisseurs de main d'oeuvre enfantine que
la fourchette minimum est la plus large : l'âge minimum y varie de
12 à 16 ans. De plus, du fait de la relative souplesse de la convention
n°138, l'agriculture est exclue de son champ d'application dans 38 pays
situés pour la plupart en Asie. Par contre, les activités
industrielles rentrent toujours dans le champ d'application de la convention,
et ce dans tous les pays. L'une des exclusions les plus courantes,
prévue par une soixantaine de pays, porte sur les entreprises
familiales, définies de manière plus ou moins large, ainsi que
les services domestiques.
La moitié environ des pays autorisent les enfants d'un
âge inférieur au minimum général à effectuer
certains types de travaux légers : 13 pays soustraient certains
types de travaux à toute restriction, mais la majorité fixe pour
ces travaux un âge minimum de 12,13 ou 14 ans.
Ces exclusions mettent parfaitement en évidence les
graves lacunes juridiques ou tout au moins les importantes limites quant au
rôle que la législation est censée jouer dans la lutte
contre le travail des enfants. En effet, comme nous l'avons vu
précédemment ce sont dans ces secteurs d'activités exclus,
c'est-à-dire dans le secteur agricole et les services domestiques, ainsi
que dans les petits ateliers et les entreprises familiales opérant dans
le secteur non structuré, que l'on trouve la plupart des enfants qui
travaillent. Pour remédier à ces lacunes, la communauté
internationale a décidé d'adopter une grande convention reprenant
tous les principes devant régir les droits des enfants, par le biais de
l'Organisation des Nations Unies.
* 22 Article 2 alinéa 4
Convention n°138
* 23 Article 4 alinéa 1
Convention n°138
* 24 Article 5 alinéa 4
Convention n°138
* 25 UNICEF, La situation des
enfants dans le monde, rapport 1997, New York
( Site web :
www.unicef.org/french/sowc97/sowc97f3.pdf
)
* 26 BIT :
« Travail des Enfants : l'intolérable en point de
mire » Rapport VI(1), Conférence internationale du Travail,
89ème session, 1998, Genève,1996.
|