CHAPITRE II : LA VOLONTÉ
INTERNATIONALE D'INTERDICTION DU TRAVAIL DES ENFANTS: UN ECHEC
Dans ce domaine comme dans tant d'autres, un solide cadre
juridique a un rôle essentiel à jouer pour favoriser les
changements. Il doit définir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est
pas dans le monde du travail et fixer les cadres dans lesquels une relation
d'emploi juste et équitable peut s'établir. Il est en effet
particulièrement important de fournir aux enfants, un cadre juridique
strict et la protection qui l'accompagne, car ils ne disposent d'aucun pouvoir
de négociation sur le marché du travail et sont donc par
conséquent, les moins aptes à se protéger de
l'exploitation. Cependant, pour être efficace, et offrir une
véritable protection aux millions d'enfants susceptibles d'en
bénéficier, ces normes nationales et surtout internationales,
doivent être applicables et appliquées. En effet, rien ne peut
porter plus atteinte à la crédibilité d'une règle
juridique que l'absence ou l'insuffisance des mécanismes
d'application.
Un grand nombre de conventions de l'Organisation
Internationale du Travail ainsi que d'autres traités internationaux
concernent le travail des enfants et la protection de ceux-ci contre
l'exploitation. Nous rappellerons donc brièvement le contenu de ceux-ci
(Section I ), avant de voir le texte fondamental en matière de droits de
l'enfant qu'est la Convention internationale relative aux droits de l'enfant
adoptée par l'Assemblée générale de l'Organisation
des Nations Unies ( Section II).
SECTION I : Conventions de l'OIT relatives au travail des
enfants et impact national
L'Organisation Internationale crée en 1919, au sortir
de la Première guerre mondiale, avait pour mission principale
d'édicter des normes de travail internationales afin d'assurer la paix
dans le monde. A ce titre, cette organisation s'est très rapidement
intéressée au travail des enfants, et en a fait une de ses
priorités. De 1919 jusqu'à aujourd'hui, l'OIT a
régulièrement attiré l'attention de la communauté
internationale sur la gravité de la situation des enfants, en adoptant
régulièrement des conventions internationales destinées
à lutter contre le travail des enfants. Cependant malgré une
activité normative soutenue afin d'éliminer le travail des
enfants ( Paragraphe I ), l'impact sur les législations nationales de
ces conventions ne fut pas à la hauteur des espérances de l'OIT (
Paragraphe II ).
Paragraphe I : Une organisation
prodigue en matière de réglementation du travail des
enfants
Depuis sa création, l'OIT a adopté plusieurs
conventions relatives spécifiquement au travail des enfants. Cette
organisation a principalement fixé un âge minimum d'admission
à l'emploi ou au travail, soit pour un secteur particulier de
l'économie soit pour l'ensemble des secteurs économiques, tout en
permettant certaines exceptions. L'OIT a adopté sa première
convention sur le travail des enfants en 1919, l'année de sa fondation.
Il s'agit de la convention n°5 sur l'âge minimum dans l'industrie
adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa
première session et ratifiée par 72 pays, elle interdit le
travail des enfants de moins de 14 ans dans les établissements
industriels. Ce fut le premier effort international pour réglementer la
participation des enfants au travail. Par la suite, l'Organisation adoptera
neuf conventions sectorielles sur l'âge minimum d'admission à
l'emploi dans les branches ou professions suivantes : l'industrie,
l'agriculture, les soutiers et chauffeurs, le travail maritime, les travaux non
industriels, la pêche et les travaux souterrains.
Les instruments de l'OIT les plus récents et les plus
complets sur le travail des enfants sont la convention n° 13818(*) et la recommandation
n°146 sur l'âge minimum, datant de 1973 . Cette convention se
substitue à tous les instruments antérieurs applicables à
des secteurs économiques limités. Elle fait obligation aux Etats
parties de spécifier un âge minimum d'admission à l'emploi
et au travail et de poursuivre une politique nationale visant à assurer
l'abolition effective du travail des enfants19(*). La recommandation n°146 qui l'accompagne fixe
le cadre d'action et les mesures essentielles à mettre en oeuvre pour
prévenir et éliminer le travail des enfants. Cette convention et
la recommandation qui l'accompagne constituent d'importantes avancées
dans le domaine des normes internationales sur le travail des enfants. Elles
sont en effet les premières à avoir reconnu la
nécessité d'intégrer la législation fixant un
âge minimum à une politique nationale globale ayant pour but
d'abolir totalement le travail des enfants. Il est toutefois plus exact de
parler d'âges minimums, au pluriel, car l'âge fixé varie
selon la nature de l'emploi ou du travail.
La convention établit un principe fondamental selon
lequel, l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail ne
devrait pas être inférieur à celui auquel cesse la
scolarité obligatoire, ni en tout cas à 15 ans. Elle
prévoit également que l'âge minimum devrait être
progressivement élevé à un niveau permettant aux
adolescents d'atteindre le plus complet développement physique et
mental. Elle permet, toutefois, l'emploi des adolescents de 13 à 15 ans
à des travaux légers, c'est à dire à des travaux
qui ne risquent ni de porter préjudice à leur santé ou
à leur développement, ni de nuire à leur assiduité
scolaire, à leur participation à des programmes d'orientation ou
de formation professionnelle, à leur aptitude à
bénéficier de l'instruction reçue. La convention
prescrit de fixer cet âge à 18 ans pour tout travail dangereux,
c'est à dire, « tout type de travail qui, par sa nature
ou les conditions d'exercice, est susceptible de compromettre la santé,
la sécurité ou la moralité des
adolescents »20(*). La convention dispose aussi que les types d'emploi
ou de travail visés seront déterminés par la
législation nationale ou l'autorité compétente, laissant
ainsi à chaque pays le soin de cette décision. La recommandation
accompagnant cette convention propose des critères de
détermination indiquant, qu'il convient de prendre en compte des normes
internationales du travail pertinentes, par exemple, celles concernant les
substances ou agents toxiques ou les procédés dangereux, le
transport de charges lourdes et les travaux souterrains. Elle dispose en outre
que la liste des types d'emploi ou de travail dont il s'agit devrait être
réexaminée périodiquement à la lumière
notamment des progrès de la science et de la technique, en consultation
avec les organisations d'employeurs et de travailleurs. L'âge minimum,
pour les types de travail visés, devrait être de 18 ans. La
recommandation renforce ce principe en indiquant que, lorsque l'âge
minimum est encore inférieur à 18 ans, des mesures devraient
être prises, sans délai, pour le porter à ce niveau.
Toutefois, la convention dispose, que cet âge peut être
abaissé à 16 ans à condition que la santé, la
sécurité et la moralité des enfants soient pleinement
garanties et qu'ils aient reçu dans la branche d'activité
correspondante, une instruction spécifique et adéquate ou une
formation professionnelle.
Il convient également de mentionner un autre instrument
de l'Organisation Internationale du Travail, la convention n° 29 sur le
travail forcé, 1930, adoptée par la Conférence
générale de l'Organisation le 28 juin 1930 . Son rôle est
essentiellement de protéger les enfants contre les pires formes
d'exploitation. Elle vise à supprimer le recours au travail forcé
ou obligatoire, c'est-à-dire au « travail ou service
exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel
ledit individu ne s'est pas offert de plein gré ».21(*)Etant applicable à toute
personne, quel que soit son âge, elle protège les enfants contre
le travail forcé ou obligatoire et est appliquée à
certaines formes les plus inacceptables de travail des enfants, telles que la
servitude et l'exploitation de ces derniers notamment à des fins de
prostitution ou de pornographie. Cette convention est l'un des instruments
fondamentaux de l'OIT et fut l'un des plus largement ratifiés : 149
Etats pour la convention n°29 et 130 Etats ont ratifié la
convention n°105 sur l'abolition du travail forcé en 1957 qui
complète la convention n°29.
Aujourd'hui seuls 49 pays ont ratifié la convention
n°138, dont seulement 21 pays en développement mais aucun pays
d'Asie, continent où se trouvent pourtant plus de la moitié de
tous les enfants qui travaillent . En effet, certains Etats membres de
l'OIT, jugent cette convention trop complexe et trop difficile à
appliquer en détail ; l'organisation s'efforce donc d'offrir des
conseils techniques et de faire jouer les clauses de souplesse contenues dans
la Convention n°138.
L'arsenal juridique est donc étendu, mais sa
portée demeure limitée. En effet, les sanctions prévues
par les conventions ne sont pas suffisamment contraignantes. Les Etats parties
doivent périodiquement faire état des progrès mis en
oeuvre soit aux commissions du BIT soit aux comités de l'ONU qui
confrontent alors les rapports avec ceux des ONG. Cependant, les violations des
règles font l'objet de très longues procédures d'examen
suivies de recommandations, mais sur le terrain, ces procédures
demeurent souvent sans effet. Même dans les pays industrialisés,
les moyens de contrôle restent insuffisants. Dans les pays en
développement, le travail des enfants est d'une telle ampleur que le
respect des lois passe par une condition préalable : la
modification du contexte socio-économique. Les plans nationaux d'action
lancés dans plusieurs pays n'ont donc que peu de résultats. Les
instruments de contrôle et de sanctions ( inspection du travail, police),
existent parfois. Certains pays comme le Pakistan, les Philippines ou la
Turquie ont mis en place des unités spéciales, et des campagnes
d'inspection ciblées, mais partout effectifs et moyens demeurent
dramatiquement insuffisants au regard des millions d'exploitations agricoles et
d'établissements qu'il faudrait inspecter. Beaucoup de pays se
retranchent donc derrière ce manque de moyens pour affirmer que la
convention n°138 est trop difficile à appliquer.
Le respect de la loi se heurte aussi à l'absence de
volonté politique et à la résignation
générale. La South Asian Coalition on Child Servitude met en
cause l'absence de volonté politique réelle et honnête et
note que les députés eux-mêmes ont des enfants domestiques.
La plus grande partie de la société juge normal qu'un enfant
pauvre travaille et les ONG indiennes accusent les gouvernements successifs
d'avoir baissé les bras.
La mise en oeuvre effective de l'arsenal juridique
s'avère donc très difficile dans les pays en
développement, notamment du fait de l'inefficacité des
sanctions ; l'application des conventions internationales dans les
législations nationales est donc très limitée.
* 18 Convention n°138
adoptée le 26.06.1973 ; date d'entrée en vigueur le
19.06.1976
* 19 Article 1 et 2 de la
Convention n°138.
* 20 Article 3 alinéa 1
de la Convention n°138
* 21 Article 2 alinéa 1
Convention n°29 concernant le travail forcé entrée en
vigueur le 1er mai 1932.
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