Paragraphe II : Le travail des enfants
dans le secteur formel
Le secteur formel regroupe toutes les activités
dotées des attributs de l'activité économique classique,
à savoir le lien salarial et l'encadrement légal. En
matière de travail des enfants, la main-d'oeuvre enfantine est alors
employée soit dans des usines, comme n'importe quel salarié
adulte, soit les enfants sont réduits à l'état d'esclaves
par des gérants de fabriques peu scrupuleux, par le biais de la
servitude pour dettes. La servitude pour dettes est sans aucun doute une
des formes d'exploitation des enfants les plus intolérables. Ce qui
caractérise cette forme d'exploitation, ce sont non seulement les
conditions de travail déplorables, mais surtout que la personne humaine
est réduite à l'état de marchandise : l'enfant
esclave appartient à un propriétaire. On apprend aux jeunes
victimes à accepter les conditions dans lesquelles elles vivent et
surtout à ne jamais se rebeller. En Asie du Sud, notamment en Inde, ce
phénomène d'esclavage a pris une forme quasiment traditionnelle
connue sous le nom de travail en servitude des enfants. Le principe de ce
système est très simple, les enfants qui n'ont souvent que huit
ou neuf ans, sont remis en gage par leurs parents à des
propriétaires de fabriques en échange de prêts. Les enfants
travaillent donc pour acquitter une dette ou toute autre obligation
contractée par leur famille, cependant la servitude de toute une vie
n'arrive la plupart du temps même pas à réduire la dette
des parents. En effet, les créanciers, qui sont le plus souvent les
propriétaires, manipulent les parents de telle sorte qu'il est
très difficile, voir même impossible à la famille de
régler sa dette ; ils s'assurent ainsi une main-d'oeuvre
pratiquement gratuite à perpétuité. Les familles peuvent
ainsi rester en servitude pendant des générations, les enfants
prenant la relève des parents âgés ou infirmes. On
rappellera une fois de plus que les systèmes de servitude sont
illégaux dans presque tous les pays et notamment dans ceux où ils
sont les plus répandus ; ils sont contraires non seulement aux lois
sur le travail des enfants mais également à toutes les
conventions internationales ratifiées par ces pays.
En Inde, ce type de transaction est très
fréquent dans l'agriculture, ainsi que dans les industries comme la
fabrication de cigarettes, le tissage des tapis, la production d'allumettes,
les carrières d'ardoise et l'industrie de la soie. En Asie, on estime
à plusieurs dizaines de millions le nombre d'enfants employés
dans ces conditions. Bien sût, la plupart des enfants ainsi
exploités appartiennent aux secteurs les plus marginalisés de la
société. Ces minorités ethniques ou ces groupes
défavorisés sont souvent considérés comme n'ayant
aucun droit, et eux-mêmes sont souvent arrivés à le croire.
A propos de cette véritable forme d'esclavage des enfants, on ne pense
généralement la rencontrer qu'en Inde, au Népal et au
Pakistan, mais elle existe également en Afrique sub-saharienne, au
Brésil ou encore en Mauritanie où chaque année des
milliers de bébés naissent encore dans un esclavage de fait.
Traditionnel pendant des générations, l'esclavage a
été officiellement aboli en 1980, mais 400 000 Africains noirs
servent toujours en esclaves, officiellement ou non leurs maîtres
berbères15(*).
Le travail de ces enfants n'est pas toujours
rémunéré, mais quand il l'est, les gages sont la plupart
du temps si maigres qu'ils ne suffiront jamais à rembourser la dette.
D'autant, que les propriétaires de ces enfants, ne sont jamais à
court d'idées pour prolonger la dépendance
financière : l'employeur prélève le prix de la
nourriture et des outils, si l'enfant commet une faute une somme
supplémentaire est prélevée sur ses gages et si il est
malade, une nouvelle dette vient alourdir la première pour payer les
soins. A ce rythme, il n'est donc pas étonnant qu'une famille soit
asservie sur plusieurs générations et ce qui est bien sûr
le but poursuivi par le créancier-propriétaire. Cette forme
d'exploitation, qualifiée d'intolérable par l'UNICEF, fait partie
des objectifs prioritaires de l'Organisation Internationale du Travail, mais
son éradication se révèle difficile du fait du
caractère traditionnel de ce système et de la grande
pauvreté des familles, qui estiment souvent préférable
d'envoyer leur enfant travailler, dans des conditions qu'ils ignorent souvent,
plutôt que de le garder dans une famille qui ne peut le nourrir faute de
moyens.
Le salariat des enfants dans le secteur économique
structuré est certainement la forme la plus étudiée et la
plus médiatisée du travail des enfants, alors qu'en fait elle ne
concerne qu'une minorité d'enfants au travail ; le Bureau
International du Travail ne recense en effet que 8% des enfants actifs dans les
industries manufacturières et autant dans le commerce et
l'hôtellerie, un peu moins de 4% dans les transports et la manutention,
2% dans la construction et à peine 1% dans les mines et les
carrières. Michel Bonnet affirme que le travail en sous-traitance pour
les multinationales ( articles de sport, vêtements) n'occuperait sans
doute pas 10% des travailleurs16(*). Il en est vraisemblablement de même pour
l'agriculture industrielle ( grandes plantations de café, bananes, canne
à sucre, thé...) où 5% des enfants seraient actifs.
Néanmoins, même si ces enfants représentent une
minorité des enfants au travail, leurs conditions de travail
méritent à elles seules qu'on s'arrête sur cette forme
d'exploitation. En effet, ils travaillent dans des conditions
particulièrement dangereuses ; citons simplement comme exemple les
conditions de travail dans une fabrique de verre en Inde où «
les enfants transportent des masses de verre fondu au bout de cannes de fer,
à 60 centimètres à peine de leurs corps ; ils
retirent du verre fondu de fours où la température atteint de
1500 à 1800°C, leurs bras courts d'enfants touchant presque le
four ; ils assemblent et modèlent les bracelets de verre sur la
petite flamme d'un réchaud à kérosène dans une
pièce peu ou pas aérée, puisqu'il suffirait d'un courant
d'air pour éteindre la flamme. Tout le sol de la fabrique est couvert de
débris de verre et les enfants vont et viennent, portant ce verre
brûlant, sans chaussures pour protéger leurs pieds. Des fils
électriques nus pendant un peu partout parce que les
propriétaires de la fabrique ne se sont pas souciés d'installer
un réseau électrique interne isolé. »17(*) On voit donc les conditions
déplorables dans lesquelles des enfants de moins de 14 ans sont
amenés à travailler jusqu'à 14 heures par jour. Les jeunes
mineurs connaissent de graves problèmes respiratoires, tels que
tuberculose, bronchite et asthme...Les enfants travaillant dans les
exploitations courent également de grands risques physiques, notamment
de mutilations, dans les plantations de canne à sucre, où encore
des risques de morsures de serpents ou de piqûres d'insectes.
Si la plupart de ces activités industrielles et
agricoles sont le fait de sous-traitants nationaux, une partie est
néanmoins contrôlée par des sociétés
transnationales dont les produits sont destinés aux magasins et aux
foyers de l'Occident. De grandes entreprises ayant leur siège social
dans les pays riches délocalisent leurs installations d'assemblage dans
les pays pauvres pour profiter des coûts inférieurs de personnel
et des prestations sociales réduites. Ces cas ont amené des
militants humanitaires dans les pays d'origine et d'accueil à faire
pression sur ces compagnies pour qu'elles établissent des codes de
conduite applicables tant à leurs propres opérations, qu'à
celles de leurs sous-traitants. Nous verrons ultérieurement, les
problèmes que peut poser ce type d'action et notamment leur influence
perverse sur le travail des enfants.
* 15 Charles Jacobs and
Mohammed Athie, « Bought and Sold », The New York
Times, 13 juillet 1994
* 16 BONNET M. Regards sur
les enfants travailleurs. La mise au travail des enfants dans le monde
contemporain. Analyse et études de cas, « Cahiers
libres », Editions Page Deux, Lausanne,1998.
* 17 Rapport
Unicef : « La situation des enfants dans le
monde » 1997
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