SECTION II : Un travail s'effectuant
sous des formes très diverses
Le travail des enfants revêt aujourd'hui des formes
très diverses qu'on peut classer en sept grands types, dont aucun n'est
propre à une région particulière du monde : le
travail domestique, le travail forcé, le travail en servitude,
l'exploitation sexuelle à des fins commerciales que nous
n'étudierons pas ici, le travail dans l'industrie et les plantations,
les métiers des rues, le travail familial et le travail des filles. On
voit donc qu'il existe deux grands pôles d'activité
enfantine : les enfants travaillent soit à la maison, au sein
d'une sphère familiale ( Paragraphe I ), soit dans des usines ou des
entreprises, c'est à dire dans le secteur formel ( Paragraphe II ).
Paragraphe I : Le travail des enfants
au sein d'une sphère familiale
De tous les emplois occupés par les enfants, les plus
fréquents sont les travaux agricoles ou ménagers au domicile de
leurs parents. La plupart des familles, et ce partout dans le monde,
s'attendent à ce que leurs enfants aident à la maison, que ce
soit en préparant les repas, en allant chercher de l'eau au puits, en
gardant les troupeaux, ou encore en accomplissant des tâches plus dures
dans les champs. Ce type de travail peut être enrichissant, car les
enfants apprennent en participant de manière raisonnable aux
corvées ménagères, à la culture du potager, et ils
en tirent également un sentiment de fierté. Malheureusement, le
travail familial n'est pas toujours aussi bénéfique, il peut
être trop prenant, exigeant des enfants qu'on lui consacre de longues
heures qui les éloignent de l'école et demandant trop d'efforts
à des corps d'enfants en pleine croissance. Dans les zones rurales
d'Afrique et d'Asie du Sud, les enfants commencent à participer aux
corvées ménagères bien avant d'avoir l'âge scolaire.
Les filles doivent aller chercher l'eau et le bois du ménage. Les
enfants des deux sexes doivent aider aux travaux des champs, s'occuper des
animaux et de tout ce qui concerne l'eau, travaux souvent extrêmement
fatigants. Des modèles similaires sont observés dans de nombreux
pays d'Amérique latine tels que la Colombie. Au niveau mondial,
l'agriculture constitue le premier secteur d'activité des enfants, mais
ce secteur a malheureusement été peu étudié. La
synthèse des données relevées par le Bureau International
du Travail jusqu'à aujourd'hui dans 26 pays en développement
livre un pourcentage moyen de 70% de travailleurs agricoles parmi les enfants
actifs14(*). La Banque
mondiale relève a juste titre que plus la part de l'agriculture est
élevée dans le produit intérieur brut d'un pays, plus la
fréquence du travail des enfants est élevée : c'est
avant tout un phénomène rural. Dans certains pays d'Afrique, on
estime qu' un tiers de la main d'oeuvre agricole est constituée
d'enfants. Ce type de travail, surtout celui des filles qui sont le plus
souvent chargées de s'occuper des nourrissons, de puiser l'eau, de
ramasser le bois et de préparer les repas, est largement invisible aux
statisticiens chargés de mesurer l'ampleur du travail des enfants. Il
est également en dehors du champ d'action de la législation,
notamment à cause de la difficulté de réglementer le
travail des enfants dans leur famille. Pourtant, accepter que cette forme
d'activité ne puisse pas être contrôlée revient
à accepter que des centaines de millions d'enfants ne
bénéficient d'aucune protection juridique, alors qu'il s'agit de
la forme la plus répandue de travail des enfants.
Le travail domestique d'enfants placés dans une autre
famille que la leur est un phénomène très courant dans les
pays pauvres or ces enfants placés en servitude domestique sont sans
doute les plus vulnérables et les plus exploités. La nature
privée et souvent non déclarée de l'embauche de
domestiques rend impossible toute mesure, mais les petits domestiques se
comptent probablement par millions dans le monde. Ce métier est le
prolongement de l'activité ménagère exercée
à la maison et par conséquent, il emploie une majorité de
filles, mais on peut également trouver des petits garçons
domestiques, notamment en Asie.
Les enfants sont souvent très mal payés voir
pas du tout rémunérés ; le plus souvent, leurs
conditions de travail dépendent entièrement de l'employeur, au
mépris de leurs droits : ils sont privés d'école, de
jeu et d'activité sociale, ainsi que du soutien psychologique de leur
famille. Qui plus est, ils sont régulièrement confrontés
à la violence physique et aux abus sexuels. Voici, un exemple parmi tant
d'autres d'une journée de travail de Marie, haïtienne de 7 ans,
placée par sa famille pauvre habitant dans une zone rurale, dans une
famille urbaine et aisée : elle se lève à cinq heures
du matin, va chercher de l'eau au puits en portant au retour la lourde jarre
sur la tête, puis prépare le petit déjeuner et le sert aux
membres de la famille, ensuite, elle accompagne les enfants à
l'école, doit acheter les provisions, s'occuper du feu, balayer, laver
le linge et la vaisselle, nettoyer la maison...Elle se nourrit des restes de la
famille ou de bouillie de maïs, est vêtue de haillons et dort
à l'extérieur de la maison, par terre. Elle est
régulièrement battue si elle tarde à remplir toutes ses
obligations ou si ses maîtres jugent qu'elle manque de respect. Il
paraît bien évident que Marie ne va pas à l'école.
Très souvent, ces employés de maison, le plus souvent des filles,
sont des parents de l'employeur, une nièce ou la fille de cousins vivant
à la campagne ; la famille rurale n'est que trop heureuse d'avoir
une bouche en moins à nourrir et habituellement, le parent qui prend
l'enfant en charge s'engage à l'éduquer. Malheureusement, une
fois en ville, personne n'est là pour s'assurer que cette promesse est
tenue, ni pour noter les longues heures de travail infligées à la
fillette. De par la nature même de ce travail, ceux qui le subissent sont
cachés aux yeux du monde, sans protection. D'après les
résultats d'une enquête sur les ménages à revenus
moyens à Colombo, au Srï Lanka, un ménage sur trois emploie
un enfant de moins de 14 ans comme serviteur. Les enfants sont souvent choisis
plutôt que les adultes parce qu'ils peuvent être dominés
plus facilement et bien sûr moins payés. Les conséquences
de ce type de travail sur un enfant sont évidentes : tout d'abord
la malnutrition car malgré le dur travail qu'ils fournissent, ils n'ont
droit qu'à des rations ridicules ; ensuite les abus sexuels qui
sont souvent considérées par l'employeur comme faisant partie du
travail ; de graves problèmes sur le plan de leur
développement psychologique et social car ils sont très
isolés de la communauté, privés de toute occupation de
repos et de jeu. Des enfants travaillent comme domestiques en Afrique, en
Amérique latine, en Asie, au Moyen-Orient et dans des régions
d'Europe du Sud.
A côté de ces enfants qui travaillent dans la
sphère familiale, que ce soit la leur ou celle de leurs employeurs,
certains enfants travaillent en dehors de chez eux mais ne travaillent ni dans
une usine ni dans une plantation : ce sont les enfants des rues.
Contrairement aux enfants placés comme domestiques, ces enfants
travaillent dans les endroits les plus en vue, c'est à dire dans les
rues des villes et des agglomérations des pays en développement.
Toute personne, ayant été amenée à se rendre dans
ces villes, peut en témoigner : ils sont partout, vantant leur
marchandise sur les marchés ou se faufilant entre les voitures pour
proposer leurs services. Des centaines de milliers d'enfants travaillent au
jour le jour dans les rues des villes, des rues qui leur servent aussi parfois
de domicile. Ces enfants qui travaillent dans les rues sont le produit de
certains phénomènes sociaux les plus inquiétants
aujourd'hui, l'urbanisation rapide, l'emballement de la croissance
démographique et l'aggravation des disparités entre les revenus.
Souvent, ces enfants travaillaient auparavant comme domestiques ou dans les
champs, mais ils ont fui les mauvais traitements et se retrouvent dans la rue.
Bien souvent dépourvus d'identité légale, ils sont
manipulés par le crime organisé, les employeurs peu scrupuleux et
les souteneurs pour vendre de la drogue ou se livrer à la prostitution.
Ce que peu de personnes savent c'est que beaucoup d'enfants travaillant dans
les rues fournissent un appui financier vital à leur famille tout en
prenant à leur charge quand ils le peuvent, les frais de leur
éducation. En effet, un enfant qui passe six heures dans une
décharge de Manille peut gagner plus qu'un adulte en une journée
de dix heures dans une fabrique voisine. Dans la rue, ils cirent les
chaussures, lavent les voitures, portent les colis et trouvent une multitude
d'autres manières de gagner de l'argent. Tout en étant modestes,
les sommes qu'ils obtiennent n'en sont pas moins supérieures à
celles qu'ils recevraient avec un travail dans le secteur formel.
Néanmoins, quel que soit le bénéfice qu'ils peuvent en
retirer, le triage des déchets est un travail dangereux que les enfants
eux-mêmes estiment si dégradant que beaucoup le quittent lui
préférant même la prostitution. La nature de leur travail
est particulièrement insalubre, dangereuse et dégradante. Ils
contractent diverses maladies de la peau ( ulcères, gale, etc...) et en
ramassant des morceaux de fer rouillé ou en marchant sur les
débris de verre, il n'est pas rare qu'ils se blessent au risque
d'attraper le tétanos, sans oublier qu'ils mangent souvent les restes
qu'ils trouvent.
* 14 BIT, L'abolition des
formes extrêmes de travail des enfants, dossier d'information,
Genève, 1998
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