SECTION II
: L'importance de la mobilisation sociale dans la lutte contre le
travail des enfants
La mobilisation sociale a assurément un rôle
clé à jouer dans la lutte contre le travail des enfants dans le
monde. En effet, l'abolition de l'exploitation économique ne pourra se
faire sans un large consensus dans l'opinion mondiale. Néanmoins, cette
mobilisation, aussi sincère que soient ses motifs, peut parfois avoir
des effets pervers, notamment en matière de boycotts de produits
fabriqués par les produits ( Paragraphe I ). Elle demeure cependant, un
facteur essentiel pour faire évoluer la situation de ces enfants (
Paragraphe II ).
Paragraphe I : Le boycott des
produits issus du travail des enfants : une fausse solution
Le boycott des produits fabriqués par les enfants est
un indéniable outil de pression. L'engagement international et les
pressions qui l'accompagnent sont sans nul doute utiles. Cependant, les
sanctions ne touchent que les industries exportatrices qui n'exploitent,
contrairement à certaines idées reçues, qu'un pourcentage
relativement faible d'enfants. Les industries exportatrices sont le secteur le
plus visible dans lequel les enfants travaillent. Les ballons de football
fabriqués par les enfants au Pakistan pour être utilisés
par les enfants dans les pays industrialisés sont sans nul doute
emblématiques. Néanmoins, on ne doit pas oublier les dizaines de
millions d'enfants qui travaillent dans les secteurs non axés sur
l'exportation. En fait, seul un très petit pourcentage des enfants
travailleurs sont employés dans les industries d'exportation,
probablement moins de 5%. Néanmoins, le témoignage du petit Iqbal
Masih, ancien esclave pakistanais assassiné en 1995, avait
dévoilé le vrai visage de la fabrication de tapis au Pakistan. Le
résultat avait été immédiat : le chiffre
d'affaire de l'exportation des tapis au Pakistan a chuté
vertigineusement. Pour ce cas, l'effet du boycott avait été
très intéressant, puisque sous la pression internationale, et
surtout de la chute du chiffre d'affaire, l'Association des fabricants et
exportateurs de tapis du pays a consenti à signer en 1998 un accord avec
le BIT, concernant le retrait de 8 000 enfants du travail.
Bien sûr, il ne s'agit pas de dire « achetons
français » ou « surtout n'achetons pas dès
que l'on voit made in China ou made in Bangladesh ». Il ne s'agit pas
de boycotter des produits chinois pour sanctionner une deuxième fois des
ouvriers chinois qui, non seulement n'ont pas de liberté sur le lieu de
travail, mais qui en plus perdraient leur emploi parce qu'ils n'auraient plus
de débouchés.
Le boycott est en effet une arme à double tranchant
qu'il faut utiliser avec beaucoup de prudence. Les conséquences à
long terme de ces sanctions ne sont pas toujours prévisibles et on
risque alors de faire plus de mal que de bien aux enfants. L'histoire du projet
de loi Harkin est tout à fait révélatrice des dangers du
boycott. Ce projet, présenté au Congrès américain
en 1992, dont le but était d'interdire l'importation de produits
fabriqués par les enfants de moins de 15 ans, avait provoqué une
véritable panique dans l'industrie du vêtement au Bangladesh qui
exporte 60% de sa production vers les Etats Unis. Avant même l'adoption
de ce texte, les usines ont renvoyé du jour au lendemain les 500 000
enfants travailleurs, qui étaient pour la plupart de jeunes filles. Une
étude parrainée par des organisations internationales a
recherché certains de ces enfants pour apprendre ce qui leur
était arrivé après leur licenciement : une grande
partie d'entre eux se livraient à d'autres activités souvent plus
dangereuses et moins bien payées, voire à la prostitution. Ce
projet est l'illustration parfaite des bonnes intentions de la
communauté internationale qui peuvent faire beaucoup plus de mal aux
enfants que de bien. Il faut comprendre de cet exemple qu'en raison du danger
potentiel que contient toute sanction, il convient à chaque fois d'en
évaluer les effets à court terme et à long terme sur la
vie des enfants.
Il semble plus approprié, et moins dangereux, de
conclure avec les entreprises des chartes de bonne conduite. Des campagnes,
allant dans ce sens ont vu le jour au milieu des années quatre vingt dix
en Europe, à l'initiative d'organisations de consommateurs, de syndicats
et d'organisations non gouvernementales (ONG). Ces campagnes,
dénommées « De l'éthique sur
l'étiquette » en France, préfèrent au boycott,
l'interpellation publique des marques pour qu'elles adoptent un code de
conduite, assorti de contrôles indépendants, ce qui implique
nécessairement la fin des relations avec les sous-traitants qui violent
les droits sociaux. En rapport avec ces campagnes, des sondages ont
montré que les consommateurs étaient prêts à payer
un éventuel surcoût pour éviter le travail des enfants.
Cependant, ce n'est pas obligatoirement aux consommateurs de payer plus cher,
mais aux intermédiaires de gagner un peu moins. Si on étudie la
composition du prix de revient d'une chaussure de sport Nike par exemple vendue
53 euros, le prix de la main-d'oeuvre s'établit à 1.72% soit 1
euro. Par contre les frais de publicité représente 4.58% soit 2.5
euros et la part du détaillant à 39.88% soit 21 euros48(*). On voit donc qu'en
réduisant ne serait-ce que du tiers la part publicité, et en
reversant ce tiers sous forme de salaires, on doublerait le salaire
versé.
Cependant, même si beaucoup d'entreprises ont compris
l'intérêt d'une telle charte pour leur image, elles n'ont pas
toutes accepté les mêmes règles. Certaines ont
adopté un code rédigé par les ONG, mais d'autres ont
opté pour des chartes internes soupçonnés par les ONG de
partialité et dont les contrôles comportent parfois d'importantes
lacunes. Le BIT a analysé 215 codes de conduite et seulement la
moitié abordait le travail des enfants, et un quart le travail
forcé. De plus l'adoption d'un code de conduite ne garantit aucunement
son application effective. L'engagement public des entreprises est donc encore
lacunaire et c'est pour cette raison que les ONG ont crée les labels
sociaux.
Les labels sociaux constituent des circuits alternatifs de
consommation : les ONG sélectionnent des produits fabriqués
dans des conditions respectueuses de droits sociaux et achetés à
des petits producteurs du tiers monde à un prix raisonnable, qui leur
permet de sortir de la pauvreté. Le but est d'inverser le commerce
actuel fondé sur l'exploitation du tiers monde, pour établir des
relations de commerce équitable visant à soutenir son
développement. Ces produits sont ensuite commercialisés dans les
pays riches sous des labels spécifiques. Ce type de politique est en
train de se répandre à travers le monde. La fondation Abrinq,
groupe de près de 2 000 homes d'affaires et fabricants de jouets qui
s'est constituée en 1990 pour défendre les droits de l'enfant,
décerne un label spécial « ami des enfants »
aux sociétés qui prouvent qu'à aucune étape de la
production n'ont eu recours au travail des enfants. Au cours des dix premiers
mois du programme, 150 sociétés ont mérité
l'approbation de l'Abrinq. Mr Magri, coordonnateur du programme d'octroi du
label s'étonne lui-même du succès de ce label :
« Nous n'espérions pas qu'en si peu de temps, les
sociétés non seulement accepteraient de ne pas employer de
main-d'oeuvre enfantine, mais exerceraient également des pressions sur
leurs fournisseurs pour qu'ils en fassent de même ».
Désormais certaines multinationales ont mis au point
des stratégies pour améliorer les pratiques d'emploi au niveau
local, revendiquant dans certains cas le droit d'annuler, sans
indemnité, des commandes réalisées avec de la
main-d'oeuvre enfantine. La question du travail des enfants devient donc
incontournable pour les industries faisant commerce avec les pays en
développement.
C'est au plan international qu'on a le plus de chances
d'influencer le comportement de ces entreprises. Un débat fait
actuellement rage sur l'opportunité d'intégrer dans les
règles de l'Organisation mondiale du commerce une clause sociale fixant
les normes minimales de comportement pour ouvrir aux entreprises le droit de
faire des affaires à l'échelle mondiale. Au nombre des conditions
figurerait l'interdiction d'employer des enfants. Cependant, il ne faut pas que
cette clause sociale engendre les mêmes effets pervers que le boycott.
Les enfants ne doivent pas avoir à pâtir des bonnes
volontés des pays riches. Il faut donc que ces clauses sociales soient
généralisées, mais que de véritables alternatives
soient proposées aux familles et aux enfants pour que le travail des
enfants puisse disparaître un jour. Néanmoins, ces sanctions ou
ces incitations, même si elles ne s'attaquent pas à la cause
essentielle du travail des enfants qu'est la pauvreté, sont
dirigées contre les entrepreneurs bénéficiant de
l'exploitation économique des enfants. Elles ont donc l'avantage de
s'attaquer à une des causes principales du travail des enfants : la
recherche de profits toujours plus grands de la part d'entrepreneurs peu
scrupuleux.
Cependant, la mobilisation sociale nécessaire à
toute action contre le travail des enfants ne se limite pas à des
sanctions financières ou commerciales.
* 48 source CFIE, cité
dans la brochure, « Jouez le jeu, faites gagner les droits de
l'homme », publié par le Collectif « De
l'éthique sur l'étiquette », janvier 1998.
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