Paragraphe II
: Offrir aux enfants une éducation adaptée
Une des caractéristiques actuelles de
l'éducation dans les pays en développement est le temps
très court que passe les enfants à l'école. En effet,
même lorsque l'inscription à l'école primaire atteint des
niveaux honorables, on constate que de nombreux enfants abandonnent leurs
études : 150 millions d'enfants ont quitté l'école
avant d'avoir fini leur cinquième année d'études
primaires46(*). On peut
avancer deux causes à ce phénomène. Tout d'abord la
scolarité n'est pas gratuite et payer les livres et les repas de midi
représentent parfois un lourd sacrifice pour une famille pauvre,
d'autant que pendant qu'il est à l'école, l'enfant ne gagne pas
d'argent en travaillant. Une éducation de base visant à
éliminer le travail des enfants doit épargner ces dépenses
aux familles démunies. Il faut donc que les ressources
financières permettent de couvrir bien plus que le traitement des
enseignants, l'installation et l'entretien des bâtiments scolaires.
L'insuffisance chronique du financement de l'éducation de base dans les
pays en développement est un problème qui exige une solution, et
celle-ci est de la responsabilité du monde entier, notamment du fait du
lourd fardeau de la dette qui écrase tant de pays en
développement.
La dette du tiers-monde atteint aujourd'hui des sommets :
selon la Banque mondiale, la dette de l'Afrique subsaharienne était en
1996 de 227 milliards de dollars, celle de l'Asie du Sud de 152 milliards de
dollars. La dette de nombreux pays d'Afrique est deux à trois fois plus
élevée que leur produit national brut, et le remboursement de
celle-ci engloutit une grande partie de leur ressources. De plus, pendant ce
temps, l'aide publique au développement fournie par les pays riches a
considérablement réduit. L'ONU avait fixé pour objectif
que cette aide atteindrait 0.7% du produit national brut des pays
industrialisés du G7, mais en 1998, elle représentait 0.19%
seulement. Avec une dette énorme à rembourser et des ressources
qui n'augmentent pas, sans compter une population en constante augmentation,
les pays en développement ont de grandes difficultés à
faire de l'éducation une priorité nationale. En plus, de ces
difficultés financières, le Fonds monétaire international
a imposé à ces pays en développement des plans
d'assainissement financier qui imposent de comprimer fortement les
dépenses publiques . Il apparaît évident que si les pays
riches veulent tenir leurs engagements de lutte contre le travail des enfants,
ils vont devoir consentir des efforts d'ordre financier à l'encontre des
pays pauvres. En effet, ceux-ci ne pourront pas mettre en place un
système d'éducation de base gratuit et accessible à tous
sans cette aide.
Ensuite, beaucoup de zones rurales n'ont aucun système
scolaire et il faut alors un courage certain pour parcourir tous les jours des
kilomètres à pieds pour aller à l'école. Afin de
remédier à cette situation d'abandon scolaire, il faudrait qu'en
zone rurale l'école aille au-devant de l'enfant, par exemple en
créant de petites classes de plusieurs niveaux, pour scolariser les
enfants à des distances raisonnables de chez eux. Une école
accessible à tous les enfants d'une petite zone rurale inciterait, sans
aucun doute, les parents à envoyer leurs enfants en classe, notamment du
fait que l'enseignant pourrait faire pression sur eux et leur expliquer la
nécessité d'éduquer leurs enfants. Si beaucoup d'enfants
d'une même zone se retrouvent en classe, les enfants
délaissés pourront aussi demander à leurs parents de les
rejoindre.
Cependant, si l'on veut véritablement inciter les
enfants, et leurs parents, à profiter de l'école, il faut surtout
améliorer les programmes enseignés. En effet, pour que les
écoles attirent et retiennent les enfants, il faut que l' enseignement
soit jugé pertinent par les élèves et par leurs parents.
L'une des premières conditions de succès sera donc de lier les
leçons à la vie communautaire. Dans les endroits où la
plupart des enfants sont au travail, on ne saurait logiquement continuer
à enseigner comme s'ils ne travaillaient pas. Il faut faire savoir, par
la même occasion, quels types d'activités sont
particulièrement dangereux, favorisant ainsi une meilleure connaissance
de leurs droits en leur expliquant notamment les lois sur le travail des
enfants. On doit aussi leur donner les compétences pratiques pour la vie
courante. En effet, les programmes ne doivent surtout pas être rigides,
mais au contraire être centrés sur les attentes des enfants.
L'enseignement dispensé doit pouvoir être souple et s'adapter
à la catégorie de population à laquelle il s'adresse.
Néanmoins, quelque soit la région où il
est dispensé, l'enseignement doit permettre au minimum à tous les
enfants de savoir lire, écrire et compter. Les enfants des zones rurales
ne doivent pas être avoir des programmes privilégiant la
récitation, mais plutôt ceux donnant des solutions pratiques
à leurs problèmes quotidiens. Enfin et surtout, l'école
doit pouvoir s'adapter au rythme de vie communautaire. Les familles pauvres ont
besoin de toute la main-d'oeuvre disponible en temps de récoltes par
exemple, et il est impératif qu'elles puissent si elles le souhaitent
pouvoir compter sur l'aide de leurs enfants pendant ces périodes. Il
faut donc que l'emploi du temps scolaire puisse être modulé, en
fonction des régions et des périodes. En effet, une famille qui
ne peut demander à ses enfants une aide pendant les récoltes,
sera très réticente à les envoyer l'année
d'après à l'école.
Les écoles présentes en Afrique voient un taux
d'absentéisme scolaire très élevé en période
de récolte, mais il faut que cet absentéisme soit rendu possible
par l'école elle-même. C'est la stratégie adoptée
par l'Etat indien du Kerala où le travail des enfants est quasiment
inexistant et le taux d'alphabétisation de 91%.L'inscription à
l'école y est gratuite et un repas est offert à tous les
écoliers qui peuvent s'absenter facilement pendant les périodes
où les parents ont besoin d'aide47(*). Cependant, le succès de cette province n'est
pas du uniquement à ces souplesses, mais également à une
réelle volonté politique de favoriser l'enseignement.
En plus, de la gratuité, de la facilité
d'accès et de la souplesse, l'enseignement devra aussi, pour pouvoir se
développer convenablement, être pratiqué par des personnes
compétentes. En effet, la crise financière qui a frappé
l'éducation des pays en développement, a contribué
à dégrader la rémunération et la situation des
enseignants, surtout au niveau primaire qui est pourtant le plus important. De
ce fait, la qualité des professeurs qui rentrent dans le système
a baissé elle aussi : beaucoup d'enseignants ont dû
abandonner l'enseignement ou prendre un deuxième, voir un
troisième emploi. Il est évident que dans ces circonstances, de
nombreux enfants ne peuvent pas considérer l'école comme un lieu
qui élargira leur horizon et leur offrira de nouvelles
possibilités. Si même les professeurs sont obligés
d'exercer plusieurs professions, comment l'école pourrait-elle leur
offrir une éducation leur permettant d'obtenir un emploi stable ?
Il faut donc privilégier la formation et le salaire de ces enseignants
afin qu'ils puissent faire leur travail dans les meilleures conditions
possibles. De plus, il faudra remplacer des enseignants qui ont des
idées négatives envers les enfants pauvres, de basse caste ou qui
travaillent. En effet, ces enfants sont souvent victimes de
préjugés importants et peuvent subir de mauvais traitements
pendant l'école, ce qui ne peut que les inciter à la quitter. Il
faudrait donc favoriser l'emploi d'enseignants de la même
communauté que leurs élèves et les sensibiliser à
la situation des enfants. L'emploi d'enseignants jeunes, faisant partie de la
même communauté que celle de leurs élèves, ne
pourrait que prouver aux enfants que l'éducation permet une vie sociale
et économique plus prospère, et les inciter à profiter de
l'école.
Les ressources attribuées à l'éducation
doivent impérativement être trouvées rapidement, pour que
les objectifs de scolarisation universelle soient atteints. Les pays
industrialisés devront bien évidemment faire un effort
conséquent dans ce sens. Les institutions internationales et les banques
de développement doivent soutenir du mieux possible les efforts
nationaux visant à redonner la priorité absolue à
l'enseignement primaire. L'éducation de base pour tous est
réalisable, si on lui accorde la priorité exigée par la
Convention relative aux droits de l'enfant. Ce n'est pas seulement une question
de ressources, mais aussi de choix politiques. On estimait que la
dépense supplémentaire nécessaire pour que tous les
enfants puissent être scolarisés d'ici l'an 2000 était de
six milliards de dollars par an, soit moins de 1% de ce que le monde
dépense chaque année en armements.
Cependant, la clé de l'élimination du travail
des enfants ne réside pas uniquement dans le développement d'un
système d'éducation.
* 46 Rapport Unicef :
« La situation des enfants dans le monde » 1997
préc.
* 47 « La recette
du Kerala » par Samuel Grumiau, le 1er janvier 1999 (
http://www.icftu.org )
|