UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
Les systèmes de représentationLa méthode de l'entretien semi-directif est apparue la plus adéquate dans cette recherche. Il s'agissait de mettre en relation les représentations dont sont porteurs les enquêtés avec celles qui sont diffusées par la direction nationale et dont nous avons déjà tracé quelques pistes (spontanéité du mouvement, rattachement à l'éducation populaire). Nous souhaitions savoir quelles étaient les représentations communes qui constituent les signes de l'existence d'une même culture militante42(*). De même, les différences de représentation peuvent traduire certains conflits. La seconde comparaison qui apparaît nécessaire est celle qui s'effectue entre les représentations militantes et les comportements. Nous partons de l'hypothèse que les représentations sont dotées d'une force explicative suffisante pour rendre compte des attitudes43(*). La nécessité d'investir le vécu des enquêtés, la recherche d'un climat de « confiance » suffisant contraignent à adopter un mode de discours suffisamment libre44(*). C'est pourquoi les entretiens ont été effectués sur un mode semi-directif et que leur durée est souvent longue. Le nombre d'enquêtés a été également volontairement restreint afin de permettre une analyse plus détaillée de l'échantillon. L'objectif n'était pas d'obtenir un échantillon représentatif mais varié. Comme le rappelle Sapir, « si l'on enregistre un témoignage individuel [...] cela ne veut pas dire qu'on attache du poids à l'individu, entité adulte et singulière, mais qu'on le prend pour échantillon de la communauté ».45(*) Enfin, on peut noter que l'enregistrement et la retranscription des entretiens ont été jugés indispensables puisqu'ils constituent l'essentiel du matériau de la recherche. Les enquêtés n'ont eu aucune réticence à se faire enregistrer46(*). La mise en question(s) des engagementsAfin de pouvoir orienter le déroulement de l'entretien, nous avons fait le choix de nous appuyer sur un guide d'entretien assez détaillé pouvant répertorier les principales questions qui nous amenaient à rencontrer les enquêtés47(*). Toutefois, nous avons procédé à la plupart des entretiens sans ce guide, tout en ayant à l'esprit son déroulement. Ce qui nous intéressait c'était moins d'obtenir des réponses précises à nos questions que de pénétrer et de comprendre les représentations mentales qui orientent les enquêtés dans leur militantisme48(*). Les entretiens peuvent être découpés en deux thèmes. Un premier ensemble de questions portait sur l'engagement des enquêtés et leur participation à Attac, cette partie occupait les trois quarts de la durée de l'entretien. A partir des questions posées, les entretiens ont suivi des cours assez différents car chacun d'entre eux fut orienté sur la spécificité de l'enquêté49(*). Bien sûr, la plupart d'entre eux ont développé de longs passages sur les revendications de l'association mais ceux ci ne figurent pas en totalité dans la retranscription des entretiens. Les propos tenus par les militants s'apparentent parfois trop à un discours idéologique « officiel » pour pouvoir faire l'objet d'une analyse sociologique50(*). La seconde partie du questionnaire était consacrée au vécu spécifique de l'interviewé. Cette partie correspondait à un entretien biographique, elle visait à tracer pour chaque enquêté les grandes lignes de son passé militant, de son origine sociale et familiale, ou encore de son comportement électoral, et permettre ainsi de recontextualiser son l'engagement51(*). Une approche trop statique et « réifiante » des militants, c'est-à-dire qui ne ferait que prendre acte de ce qu'ils sont, n'est pas apte à comprendre comment ils sont arrivés à militer à Attac et quel sens ils donnent à leur engagement. C'est uniquement par une considération des militants en terme de trajectoires professionnelles, sociales et militantes, qu'il est possible de procéder à la généalogie de leur engagement. Il s'agit de tracer le lien qui existe entre le sens qu'ils donnent à leur adhésion à Attac et leur parcours biographique (origine sociale, parcours militant, professionnel). La grille d'entretien a connu plusieurs modifications au cours de l'enquête. La consigne initiale est la question ayant été la plus modifiée. Elle concernait, lors de nos premiers entretiens, la représentation que l'enquêté a de son engagement (« Comment est-ce que tu te représentes ton engagement au sein Attac ? »). Toutefois elle fut inadéquate car certains interviewés ne répondaient pas directement à la question ; c'est le cas avec François52(*) qui répondit à la question en se référant à son passé ou Isabelle qui demanda de reformuler la question. La consigne étant trop floue, il parut préférable d'interroger les militants sur leurs fonctions et leur participation dans le comité isérois (« J'aimerais connaître ton implication et ta participation dans Attac ? » avec Laurent, « Déjà, je vais te demander tes fonctions au sein d'Attac Isère ? » avec Thomas). Ce point de départ était plus approprié car il permettait de pénétrer directement dans le vif du sujet, c'est-à-dire la vie du groupe isérois. La compréhension de l'engagement des militants isérois nécessite une double interrogation. En premier lieu, il apparaît primordiale d'analyser Attac en tant que mode associatif d'organisation. Comment expliquer le mode d'organisation spécifique du comité isérois ? La structuration de l'association relève t-elle uniquement d'une spontanéité imprévisible ou répond-elle à la mise en place de certaines stratégies ? Dans quelle mesure se distingue t-elle des modes traditionnels de participation (syndicats et partis politiques) ? Quelle importance la forme associative représente t-elle dans l'engagement des militants ? Il sera possible, dans un second temps, d'interroger la nouveauté de la participation au sein d'Attac en tant que telle. Dans quel contexte l'engagement des militants a t-il eu lieu ? Comment des réseaux sont-ils progressivement apparus ? L'engagement des militants répond t-il aux mêmes logiques (sociales, individuelles) que les formes d'engagement traditionnel ou en quoi s'en distingue t-il ? Assiste t-on à un renouvellement des pratiques militantes locales ou nationales ? En bref, il s'agira d'examiner quel est le renouveau des modes de participation. * 42 Guy Michelat observe que « chaque individu est porteur de la culture et des sous-cultures auxquelles il appartient et qu'il en est représentatif ». Il ajoute : « Nous entendons ici par cultures l'ensemble des représentations, des valorisations effectives, des habitudes, des règles sociales, des codes symboliques ». Michelat (Guy), « Sur l'utilisation de l'entretien non-directif en sociologie », Revue Française de Sociologie, n°16, 1975, p. 232. * 43 Cela ne signifie pas qu'il faille s'en tenir au discours tenu par les militants. Il s'agira, à l'inverse de le dépasser. * 44 Stéphane Beaud et Florence Weber notent que dans l'entretien, « le problème n'est pas [...] d'obtenir de bonnes réponses. L'essentiel et de gagner la confiance de l'enquêter, de parvenir à le comprendre à demi-mot et à entre (temporairement) dans son univers (mental) ». Beaud (Stéphane), Weber (Florence), Guide de l'enquête de terrain, Paris, La découverte, 1998, p.328. * 45 Sapir, Anthropologie, Paris, Ed Minuit, 1967, T1, p. 90. * 46 L'entretien avec Lionel n'a pu être retranscrit qu'en partie en raison d'un dysfonctionnement du magnétophone, après une heure d'enregistrement, la retranscription de la suite de l'entretien a donc été effectuée à la main à partir de prises de notes et des souvenirs restant. * 47 Cf., « Guide d'entretien », annexe n°27, p. 57. * 48 Le guide d'entretien a toutefois été utilisé pour certains enquêtés qui en faisaient le souhait. C'est le cas par exemple de Fabien, professeur d'économie à l'université. Celui-ci craignait, n'ayant jamais milité à Attac après son adhésion, n'être pas en mesure de pouvoir nous aider. Nous l'avons immédiatement rassuré en lui assurant que notre travail, avait été préparé et que nous disposions un ensemble de questions assez larges. Cela rejoint la remarque que dressent Stéphane Beaud et Florence Weber quant à l'utilité des guides d'entretien. Celle-ci varie beaucoup en fonction du milieu social de l'enquêté : en présence de « personnes possédant du capital culturel ou social, le guide entretien peut servir de caution scientifique », en revanche, « avec des enquêtes en milieu populaire, le guide tend à officialiser encore plus la situation d'enquête [...] et à rendre plus difficile le travail de mis en confiance. » Beaud (Stéphane), Weber (Florence), op.cit. * 49 Par exemple Thomas, ancien président d'Attac Isère, a été amené à parler plus spécifiquement de la création du groupe isérois à laquelle il a participé et des relations entre le local et national. Laurent a surtout développé son sentiment de distance et de décalage avec le positionnement d'autres militants du groupe isérois, qu'il estime trop radical. Julie qui était moins impliqué au cours de l'entretien, a développé les actions conduites par le groupe isérois, ainsi que les relations avec le groupe national. François insista sur l'aspect international des revendications et a fait une lecture en termes de lutte de classes. Fabien qui n'a jamais assisté à une réunion d'Attac, a tenté de justifier son adhésion et son absence de participation. * 50 Toutefois nous ne manquerons pas de noter à plusieurs reprises les similitudes entre le discours des militants et celui de l'association. * 51 L'individuel n'est pas négligeable en tant qu'il renvoie à un ensemble de déterminants sociaux qui sont autant de contraintes structurelles sur le comportement des individus. * 52 F.E : Comment est-ce que tu te représentes ton engagement au sein d'Attac ? François : Mon engagement militant date déjà un peu puisque, j'ai commencé à militer en 1992, donc ça va faire bientôt dix ans. Euh... Ce qui m'a poussé essentiellement à militer c'est la justice sociale, les inégalités sociales... |
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