UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
2.2.2 Les formes des mobilisationsLes formes des mobilisations collectives ne sont pas invariantes. Charles Tilly s'est attaché à rendre compte des évolutions des formes de la protestation collective. Il a tenté d'en faire une histoire482(*). Sa démonstration repose sur l'hypothèse que les individus n'utilisent pas indifféremment une forme d'action collective plutôt qu'une autre mais choisissent au sein de « répertoires » existants, lesquels varient selon les époques et les lieux, la population concernée, les avantages que présente l'habitude, mais aussi en fonction de l'attitude adoptée par les autorités et les organisations visées vis-à-vis des formes consacrées de l'action collective483(*). Chaque mouvement de protestation est confronté, selon lui, à un répertoire d'actions précis déjà testées auparavant par d'autres acteurs sociaux. Tilly privilégie, dans ses analyses socio-historiques, une perspective dynamique dans laquelle les répertoires d'actions sont renouvelés. Ces évolutions ont lieu selon trois processus : l'innovation ou l'adoption de nouvelles formes d'action, l'adaptation à des formes d'action déjà disponibles, l'abandon des formes d'actions qui paraissent peu appropriées, inefficaces ou dangereuses485(*). Le répertoire d'action d'Attac est issu de la conjonction entre des modes de protestation déjà existants, anciens comme la grève ou issus des mouvements associatifs protestataires tels que l'usage symbolique des médias, et d'un ensemble de valeurs et d'attentes qui caractérisent les militants. Le répertoire de protestation utilisé par l'association constitue donc un indicateur des valeurs qui caractérisent l'engagement des militants. Parmi les modes d'action auxquelles ont recours les militants, il est possible de distinguer trois caractéristiques : le recours aux actions symboliques, l'importance de la convivialité et la légitimité par le nombre. 2.2.2.1 Le renouveau du répertoire d'actions collectives2.2.2.1.1 La prééminence du symboliqueLa symbolique occupe une très grande place au sein des actions qui sont menées par l'association au niveau national. Par exemple, lors de la manifestation du 6 décembre 2000 qui avait eu lieue à Nice pour le sommet de l'Union européenne, les dirigeants d'Attac avait organisé une action « baignade » qui a bénéficié de très fortes retombées médiatiques486(*). Le lendemain, les militants d'Attac « gardent la vedette » en se rendant à la frontière monégasque où ils érigent un « mur de l'argent » avec des cartons frappés aux devises européennes. Là encore la présence médiatique est considérable487(*). La journée d'action contre les paradis fiscaux du 9 juin 2001 fut également l'occasion de recourir à des actions symboliques. Les militants d'Attac annoncèrent par voie de presse leur « débarquement » sur l'île de Jersey pour protester leur mécontentement. La police locale se mit sur le pied de guerre et des officiers spécialisés dans les techniques anti-émeutes de Gaslgow furent appelés en renfort. Toutefois, comme le précise un journaliste du Monde, « cette atmosphère de veillée d'armes cadre mal avec le programme : pique-nique, distribution de tracts par groupe de six (priés de ne laisser « aucun relief sur les lieux »), entretien accordé à une délégation d'Attac »488(*). Le mode de mobilisation de l'association apparaît profondément marqué par les évolutions qu'a connu le répertoire d'action collective depuis la fin des années soixante et qui se sont amplifiés au cours des années quatre-vingt-dix. Toutefois, les mobilisations des militants du comité isérois ne relèvent pas du même répertoire d'actions collectives. Les formes de protestation restent ancrées dans un répertoire moins renouvelé et plus traditionnel. Par exemple, la journée d'action contre les paradis fiscaux qui avait pris une forme « originale » au niveau national s'est traduite par une simple distribution de tracts et d'affichage devant les banques du centre-ville de Grenoble. A l'occasion du congrès du Parti socialiste (24, 25, 26 novembre), les militants isérois avaient organisé « l'accueil » des congressistes à la gare par des « hommes sandwiches » distribuant des tracts. Des diffusions avaient également été réalisées devant le palais des congrès de Grenoble (Alpexpo). Les actions menées par le comité isérois s'effectuent sur une forme très distincte de celle qui est adoptée par la direction nationale d'Attac. C'est peut être ce qui explique, entre autres, la faible médiatisation du comité local tandis que l'association nationale bénéficie d'une large couverture médiatique. Comment rendre compte de cette importante différence entre le répertoire d'action local et le répertoire d'action national ? * 482 Charles Tilly a mit en évidence que progressivement les mobilisations locales fondées sur les solidarités communautaires (1650-1850) ont cédé la place à des mobilisations nationales et autonomes (1850-1980). Erik Neveu suppose que l'avènement des mobilisations internationales apparu au cours des années quatre-vingt-dix avec les mouvements anti-mondialisation pourrait constituer une 3ème génération de répertoire d'action. Cf., Tilly (Charles), La France conteste. De 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986, pp. 544-545. Cf., Neveu (Erik), op.cit, p. 60. * 483484 La notion de « répertoire d'action collective » établit « l'hypothèse d'un choix délibéré chez ceux qui revendiquent, entre des modes d'action bien définis, les possibilités de choix et les choix eux-mêmes changeant essentiellement en fonction des chois précédents. Dans on acception moyenne, l'idée de répertoire présente un modèle où l'expérience accumulée d'acteurs s'entrecroise avec les stratégies d(autorité, en rendant un ensemble de moyens d'action plus pratique, plus attractif, et plus fréquent que beaucoup d'autres moyens qui pourraient, en principe, servir les mêmes intérêts ». Tilly (Charles), « Les origines de l'action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Xxe siècle, Revue d'Histoire, n°4, 1984, p. 99 * 485 Cf., op.cit, Lafargue (Jérôme), pp. 35-36. * 486 « C'est le moment que choisissent quelques dizaines de militants d'Attac pour s'élancer en maillots de bain de la Promenade des Anglais sur la plage Beaurivage. « Nous n'avons pas peur de nous mouiller pour défendre les droits sociaux ! » clament ces révoltés en se jetant dans l'eau fraîche, drapeaux rouges et pancartes d'Attac à la main. Une véritable nuée de téléobjectifs et de caméras se trouve opportunément sur la plage pour immortaliser la scène. Du jamais vu, sauf lorsque les plus grandes stars montent les marches du Palais des festivals, à Cannes ». FK, Express, art.cit, p. 94. * 487 Ibid, p. 95. * 488 Weil (Nicolas), «Attac débarque à Jersey pour dénoncer les paradis fiscaux », Le Monde, 9/06/2001. |
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