UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
2.2.1.3 Un militantisme « passif »2.2.1.3.1 Quelle « réappropriation » des idées ?Le travail de formation vise à rendre les militants aptes à agir sur des thèmes à propos desquels ils étaient auparavant incompétents. Il s'agit de se « réappropier » des questions qui étaient auparavant déléguées aux seuls spécialistes en les rendant accessibles à tous (d'où le nom d'éducation populaire). Par leur militantisme, les adhérents devraient donc se sentir de plus en plus aptes à comprendre les problèmes économiques. Toutefois, trois phénomènes semblent prouver le contraire. En premier lieu, les enquêtés expriment à plusieurs occasions, au cours des entretiens, un sentiment d'incompétence. Ils ont tendance, lorsqu'il est question des modalités de la taxe Tobin par exemple, à se mettre en retrait. Ils se réfèrent souvent au Conseil scientifique d'Attac pour légitimer leurs propos. D'autre part, ce sentiment d'incompétence explique que les militants du comité effectuent peu de diffusions de tracts. S'ils réalisent peu d'interventions publiques sur Grenoble, ce ne serait pas seulement par manque de temps mais, avant tout, parce qu'ils ne se sentent pas suffisamment compétents pour le faire. Par exemple, Cécile évoque la réaction d'un militant qui, au cours d'une réunion, expliqua qu'il n'était pas en mesure d'argumenter les revendications de l'association. François suppose également qu'il existe une importante différence entre les arguments utilisés dans les documents nationaux et la prise en compte qui en est faite au niveau local. Selon lui, les questions techniques, telles que le problème des retraites, ne sont pas maîtrisées par les militants du comité. Enfin, la manifestation la plus pertinente de ce sentiment d'incompétence serait la relation que les militants locaux entretiennent avec les membres du Conseil scientifique. Les universités d'été de l'association'ont pris la forme de cours magistraux471(*). C'est également sur ce mode qu'a eu lieu le week-end d'éducation populaire de l'Heure Bleue en Isère. Cécile regrette que les militants viennent y chercher de l'information sans se permettre pour autant d'intervenir à la fin des conférences. Les exposés/conférences qui ont lieu lors de certaines réunions publiques empêchent également, selon elle, un véritable échange472(*).Elle explique d'ailleurs que c'est pour cette raison qu'elle a préféré que les militants du groupe « campus » organisent par eux-mêmes les débats techniques. Le recours à un intervenant extérieur risque, selon elle, de ne pas permettre d'engager un réel débat. Il semblerait donc que les militants manifestent un certain sentiment d'incompétence qui s'exprime dans leur rapport à l'information. Tandis que les militants s'inscrivent dans une démarche de réappropriation, ils entretiennent une relation de pure extériorité avec l'information. Leur rapport à l'économie est comparable à la relation symbolique qui existe entre le sacré et le profane473(*). Le sacré est une qualité que le profane accorde aux choses et qui détermine les relations qu'il entretient avec elles. Ainsi, comme le note Roger Caillois, l'homme témoigne vis-à-vis du sacré un respect fait de terreur et de confiance. Son usage est régulé par un ensemble de rites initiatiques; il est réservé à une minorité d'individus. Les militants témoignent d'une relation similaire avec le savoir économique. Ils n'en sont que les vecteurs de transmission (de même que l'homme n'est que le porteur de la « bonne parole », image du sacré). L'usage du savoir est le fait de quelques membres éminents du Conseil scientifique qui jouissent d'un prestige considérable au sein de l'association. La relation entre les militants et les « savants » s'apparente à une relation inégalitaire, à une relation de domination. Julie : Ce qui me semble le plus important c'est la finalité, car c'est du domaine politique, c'est du domaine d'un choix et après on peut réfléchir comment y arriver et on se rend compte que ce n'est pas si difficile que ça à mettre en place car apparemment toutes les banques le font, tout est enregistré... Bon ce n'est pas mon domaine mais ce n'est pas là où se situent les plus gros problèmes,
Cécile : Moi il y a beaucoup de sujets sur lesquels je n'ai pas de position. Il y a des thèmes sur lesquels je reprends l'argumentaire d'Attac sans forcément chercher des informations [...] Je pense qu'il y a beaucoup de gens d'Attac qui sont comme ça. On avait eu une réunion au Conseil d'administration au sujet d'aller voir des gens et distribuer des tracts et moi j'étais pour, et il y a un type qui a été militant syndical pendant des années, qui doit savoir dix fois plus ou choses que moi, qui disait qu'il n'avait pas forcément envie d'aller distribuer un tract ou d'aller voir les gens parce qu'il n'avait pas l'argumentaire et qu'il n'en savait pas suffisamment. On retrouve beaucoup ce thème chez les gens, cette peur de ne pas savoir, même s'ils ne veulent pas trop le dire parce que c'est fondé sur quelque chose comme la volonté de se réapproprier et de comprendre les mécanismes économiques. Et lui il se sentait mal à l'aise à aller distribuer un tract. Ce n'est pas une honte à aller dire à quelqu'un qui pose des questions que là-dessus je n'en sais rien et je n'ai pas d'opinion. C'est une culture de domination par le savoir, je pense. François : Je pense de toute façon qu'il n'y a pas d'action efficace sans réflexion politique au sens large. Il n'y a pas aussi de réflexions politiques qui ne soient nourries d'action et c'est la vie sociale [...] Maintenant est ce que le va-et-vient existe ? C'est-à-dire est-ce que les structures de base se nourrissant du Conseil scientifique ? Je pense qu'à travers les ouvrages de vulgarisation, ça doit exister mais je ne pense pas que tout le réseau s'en saisisse. Je ne parle pas de tous les militants et de tous les adhérents mais je parle de toutes les structures. C'est une des difficultés qui n'est pas propre à Attac, c'est très dur de faire redescendre le travail d'élaboration qui est fait par les sphères intellectuelles d'une association ou d'un syndicat. [...] Pour Attac c'est pareil, il y a des positions sur les fonds de pension et je ne suis pas sûr que tout le monde maîtrise ce débat là aujourd'hui. Je pense que les revendications nationales sont justes et sont bien travaillées, il y a de la réflexion qui est solide. Mais sur le plan local les gens n'ont pas l'argumentaire, les militants d'Attac n'ont pas d'arguments en main, ils peuvent l'avoir sur papier quelque part mais il n'est pas acquis intellectuellement, ils ne s'en serviront pas dans une discussion. Attac il y a un problème dans la structure, c'est qu'il y a des cadres intellectuels comme un Conseil scientifique qui produit des choses mais qui est un peu coupé de la base militante. Cécile : Par exemple quand on a des réunions sur des thèmes à Attac campus, on a fait le choix de ne pas faire venir à chaque fois un économiste ou un prof d'Attac pour nous faire un exposé. On fait l'exposé tous seuls, c'est-à-dire qu'il y a une personne ou deux qui travaillent un exposé et qui le présentent aux autres, qui arrivent à le présenter d'une façon un peu plus intelligible que le ferait un économiste ou un prof et du coup il y a un débat qui s'instaure qui est relativement égalitaire, parce qu'on est tous étudiants, donc la personne qui aura fait l'exposé, aura peut-être dit des paroles qui seront rectifiées par les autres. Là tu peux vraiment avoir un débat et te positionner. Et je trouve que c'est ce qui manque à Attac Isère [...] Dans Attac Isère et il n'y a pas ce débat là. J'avais été aux réunions de L'Heure Bleue et c'est vrai que ce sont des spécialistes [...] Dans Attac tu as quand même ce côté éducation populaire qui fait que même les membres du Conseil d'administration se perçoivent parfois comme les récepteurs de l'information et ils la transmettent à d'autres et ils ne pensent pas qu'avec leur positionnement ils peuvent peser dans cette information. Et L'Heure Bleue c'était un peu ça, c'était un peu on vient chercher de l'information et de l'analyse mais dans le débat on ne se sentira pas trop d'intervenir et en plus c'était un peu la forme du débat qui voulait ça parce que quand tu es dans une salle avec 200 personnes, tu ne vas pas intervenir en disant que tu n'es pas d'accord ou donner ta position. Pour l'instant les gens se forment pour pouvoir intervenir et peser sur les idées politiques. F.E : Sinon est-ce que tu penses que la réflexion se fait au niveau d'Attac Isère, comme elle se fait au niveau national dans le Conseil scientifique ? François : [...] Je pense qu'il y aurait une réflexion à avoir un sur le type d'action menée par les collectifs locaux et l'interaction que sa peut avoir avec le Conseil scientifique. Je pense que tout n'est pas de la faute de la base, je pense que c'est un mode de fonctionnement qui a des limites car il y a la tête et la base qui essaye de s'en saisir un peu mais qui sont cantonnés à des tâches pratiques. Ce sont un peu les bras. * 471 « Ils étaient plus de 700, alignés dans la longue halle au bois des anciens chantiers navals de la Ciotat, venus de toute la France, s'initier à cette économie qui, pour la plupart d'entre eux, restait une discipline mystérieuse. Pendant quatre jours, du 23 au 26 Août 2000, ils allaient supporter stoïquement huit heures d'enseignement quotidiens dont six heures de cours magistraux et deux heures de travaux en groupes, avec une soif intense d'apprendre et de comprendre. Il aurait fallu bien plus pour les décourager que le bombardement pédagogique auquel ils étaient soumis. Car cette première université d'été- contrairement à ce qui se fait généralement -était intégralement consacrée à l'enseignement, non aux petites phrases des grands chefs ». Passet (René), « une soif de comprendre » in Attac, Une économie au service de l'homme, op.cit, pp. 17-20. * 472 On peut également noter que lors de certaines réunions la présence d'un expert, qui n'est pas toujours matériellement faisable, est remplacée par la diffusion d'un documentaire (le comité Attac Lyon a, par exemple, en monté une vidéo sur l'OMC) puisque le comité isérois dispose d'une vidéothèque. Cf., Attac Isère, Rapport d'activité 2001, p. 2. * 473 Cf., Caillois (Roger), L'homme et le sacré, Paris, Reed Gallimard, 1988, 1er éd 1950, p. 247. |
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