UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
1.1.2 Quel renouveau de l'engagement ?1.1.2.1 La participation des enquêtésAfin de vérifier notre hypothèse, à savoir qu'Attac s'est construit à partir de la reprise et de la mise en forme d'un ensemble de mouvements sociaux qui ont eu lieu durant les années 1990, nous avons analysé la place que 1995 et les mouvements sociaux qui ont suivi, occupent dans l'engagement des militants. Tout d'abord, on peut affirmer que la plupart des enquêtés ont participé aux mouvements de grève. En effet, six enquêtés y ont participé et trois n'y ont pas pris part (une des interviewées avait quinze ans à l'époque et on peut donc l'exclure). Leur statut professionnel était varié puisque ceux qui ont participé étaient aussi bien étudiants (Cécile, Luc) que salariés du secteur public (Julie, Lionel) ou du secteur privé (Thomas). La plupart ont été manifester par le biais d'une section syndicale. Ce fut pour beaucoup avec la CFDT (Lionel, Julie, Luc), alors que Nicole Notat n'avait pas appelé à manifester contre le plan Juppé avec lequel elle était en accord. En revanche, ceux qui ont participé à ce mouvement semble avoir été assez peu marqués par celui ci. Leur participation à ces grèves semble découler de leur engagement syndical ou associatif préexistant et il semblerait que ces événements aient eu peu de conséquences sur leur engagement. Isabelle est la personne pour qui décembre 1995 semble avoir eu le plus de répercussions. Elle se syndiqua à la CFDT en 1985. Son adhésion reflétait alors à la fois un accord avec les idées du syndicat et une adhésion d'opportunité en raison de la structuration des syndicats par bureau sur son lieu de travail. Elle occupa la fonction de délégué du personnel puis pris plus de distance avec la CFDT depuis l'élection de Nicole Notat envers qui elle est très critique. Elle conserve toutefois une bonne opinion de sa section syndicale tout en accusant Notat de « collaboration » avec le gouvernement. En 1995, elle a manifesté à Lyon avec la section CFDT. Elle perçoit sa participation aux grèves comme un « cheminement » et « une reprise de l'action plus active ». En revanche, les enquêtés qui évoquèrent le plus spontanément ces événements et qui y accordent une grande importance sont les deux personnes (Fabien, Laurent) qui n'y ont pas participé. Tous les deux étaient farouchement opposés aux manifestations et soutenaient le plan Juppé. Ils voyaient dans le plan de réformes proposé un « progrès en matière sociale » et accordaient à Juppé un « courage » politique. Tous les deux sont assez réticents à l'action des syndicats qu'ils jugent trop « épidermiques ». Un facteur semble rendre compte de la distinction entre ceux qui ont soutenu les grèves et ceux qui les ont critiquées. Il s'agit de l'implication dans l'association. Ceux qui n'ont pas pris part à décembre 95 se situent dans une adhésion sans qu'il y ai un engagement très important de leur part. En revanche ceux qui y ont participé sont des militants impliqués dans le comité local. Julie : J'ai participé aux mouvements de 95 et à un certain nombre de manifestations. Je suis descendue dans la rue et il y avait beaucoup de monde. Pour moi ça représentait des forces qui remettaient en cause beaucoup de choses. Le problème c'est qu'après 1995 il n'y a pas eu d'utilisation de ces forces, il y avait une demande d'action car il y avait du monde en 1995 et c'est tombé un petit peu à plat après mais pour moi c'est un cheminement, c'était une reprise de l'action plus active. La CFDT avait appelé à manifester mais toujours dans des termes un peu... Nos sections sur Grenoble s'étaient mobilisés mais ceci dit un coup ils sont partis prenantes et un coup ils n'en sont pas. C'est le problème des manifestations syndicales, un coup unitaire et un coup ça ne l'est pas mais on ne sait pas sur quoi ils le sont où ils ne le sont pas. En tant que section CFDT on avait manifesté sur Grenoble car on avait un raz le bol de tas de choses de voir à quel point en tant que salariés on était pressurisé et on n'avait pas notre mot à dire, on était mis devant le fait accompli pour des tas de choses. Fabien : Je ne sais pas si vous vous rappelez de toutes ces manifestations qui ont eu lieu au moment du plan Juppé. Je me situe plutôt de gauche et j'étais pourtant très pour le plan Juppé. Je suis allé le dire dans les assemblées de la faculté et je me suis fait incendier, parce que la mode c'était pas ça. Tout le monde voulait aller dans le même sens. J'étais un peu dans la position de Nicole Notat, qui elle aussi était assez favorable à ce plan. J'y voyais toute une série d'aspects positifs. Je trouvais que ce plan allait plutôt dans le bon sens [...] Je n'ai surtout pas participé aux grèves ! J'étais mal vu par mes collègues car je ne faisais pas grève. Moi je pense que ce plan Juppé était quand même un certain progrès en matière sociale. J'ai été étonné de voir la tournure que les choses prenaient. C'est étonnant de voir ce qui a déclenché cette réaction [...] Cette mesure avait été prise par Balladur en 1993 mais la fonction publique échappait à cela. Juppé en 1995 a pris une série de mesures assez significatives, et il y avait parmi celles-ci l'idée d'aligner les fonctionnaires sur ce qui avait été fait deux ans auparavant pour les salariés du privé. Et c'est cela qui était jugé comme une attaque intolérable aux acquis sociaux. Moi ça ne me choque pas. Laurent : Moi je n'étais pas enseignant à cette époque la, je préparais l'IUFM. Je me rappelle, j'avais été contre le mouvement car je trouvais que c'était bien de réformer la sécurité sociale et de réformer la SNCF. Juppé avait été courageux là dessus. Donc moi je n'avais pas fait grève. Moi j'étais plutôt pour qu'on puisse réformer la sécurité sociale. La participation des enquêtés aux conflits sociaux qui ont suivi 1995, s'est opérée de façon similaire. Les personnes qui étaient déjà engagées dans des structures associatives, syndicales ou politiques (Cécile, François, Thomas) ont participé aux mobilisations des chômeurs ou aux mouvements lycéens. Par exemple, c'est le cas de Cécile qui était lycéenne. Issue d'une famille de militants, elle a adhéré à Ras l'Front en 1995 et aux Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR) en 1996. Cécile a eu une participation très forte aux mouvements sociaux des années 1990 : elle s'est mobilisée à seize ans pour les manifestations de 1995, pour les mouvements de chômeurs et l'occupation des ASSEDIC en 1997 et 1998. Enfin, elle a pris part aux mouvements lycéens en 1998 durant lesquels elle participa à des débats sur l'éducation. Elle explique que son engagement associatif l'a amené à prendre position sur d'autres thèmes que le racisme. Sa participation aux conflits sociaux rentre en continuité avec son engagement militant et son soutien ne témoigne pas d'une prise de conscience comme c'était le cas pour Julie. Beaucoup d'enquêtés se sont mobilisés à cette période sur le thème du racisme et de l'antifascisme. Les trois personnes les plus impliquées dans des structures militantes ont adhéré à Ras l'Front. En revanche ceux qui n'avaient pas d'engagement spécifique n'ont pas suivi ces événements. Il semblerait que contrairement à notre hypothèse initiale, les conflits sociaux n'ont contribué que très faiblement à une réactivation de la participation. Cécile : J'étais aux Jeunesses Communistes Révolutionnaires à Lyon. Je suis rentré à Ras l'FRont quand j'avais 16 ans, j'y suis resté deux ans et ensuite je suis rentré aux JCR, j'avais dix-sept ans. En fait c'est l'organisation de jeunesse de la Ligue. Je suis la fille de militants de la Ligue, mon père est militant de la Ligue depuis très longtemps, il y était à la fondation mais il ne milite plus beaucoup, il n'a pas de responsabilité et ma mère a été militante à la Ligue, elle était militante au PSU elle a milité dans des groupes de femmes dans les années 70. J'appartiens à une famille militante et j'ai eu cette socialisation là aussi. Ça n'est pas très étonnant. Je connaissais des gens de la Ligue par mes parents, mais comme j'ai milité à Ras l'Front j'ai été amenée à militer dans des mouvements sociaux et j'avais des amis qui étaient aux Jeunesses Communistes Révolutionnaires et donc je suis venu [...] Et puis politiquement j'ai milité sur l'antifascisme et ça m'a amené à d'autres réflexions, je militais aussi beaucoup sur des trucs féministes et ça m'a amené à me dire... à partir de l'antifascisme, de remonter à cette société là telle qu'elle est organisée et ça amène à réfléchir globalement sur la société et j'ai ressenti le besoin de faire des liens avec des choses séparées. J'allais dans beaucoup de manifestations, en 1998 j'avais été occupé des ASSEDIC, c'était des mouvements de chômeurs. J'avais participé aux mouvements de 1995, j'étais en troisième. Je me suis un peu investi, il y avait eu un mouvement lycéen aussi en 1998. Il y avait eu aussi un mouvement contre l'AMI que j'ai suivi de loin car j'étais pas dans Attac et j'étais plus répliqué dans Ras l'Front. Pour moi la mondialisation ça n'était pas crucial. C'est lorsque je suis arrivé à Sciences-Po que je me suis intéressé à Attac parce que c'est une thématique qu'on étudie plus la mondialisation. Pour le mouvement contre l'AMI j'avais été à une conférence de Susan George. Thomas : Ras l'Front, c'est surtout lié à l'émergence du front national, de l'appel des 250, ça date de 1992 ou 1993 avec des écrivains. J'avais pas participé à la création mais je suis venu après parce qu'il y a cinq ou six ans que je fais ça, je participais à des conférences. Maintenant je ne peux plus rien car je fais Attac et puis c'est tout. Mais je vais quand même aux manifs, s'il faut donner un coup de main bien sûr. Les événements de 1995 ne semblent pas avoir eu l'impact supposé sur l'engagement des enquêtés. Alors que nous avions émis l'hypothèse d'un réveil de la participation massif, il semblerait que 1995 n'ait été le déclencheur de l'engagement que pour très peu d'enquêtés280(*). La plupart ont participé à ces événements dans le cadre de leur engagement syndical ou associatif sans que cela ait provoqué chez eux un retour de la participation. En revanche, deux adhérents furent opposés à cette contestation sociale. Ceci nous conduit à deux conclusions. Tout d'abord, l'adhésion à Attac ne se recoupe pas strictement avec le renouveau des conflits sociaux. Les enquêtés ont majoritairement participé aux grèves de décembre 1995, toutefois il s'agit essentiellement des enquêtés qui militaient déjà au sein d'une organisation. Certains enquêtés étaient même farouchement hostiles aux grèves. D'autre part, il s'agit de remettre en question le rôle central joué par les événements de 1995 dans le retour de l'engagement. Comment alors expliquer qu'Attac se présente comme l'héritier de 1995 qui symbolise le renouveau du conflit social et un retour de la participation? Les événements de décembre 1995 marque un renouveau des conflits sociaux. Tout d'abord parce qu'ils sont à l'origine d'un nouvel élan de contestation sociale qui va s'amplifier à la fin des années quatre-vingt-dix, mais aussi parce qu'ils ont permis de renouveler les formes de la contestation en prenant acte de la diversité des acteurs qui étaient engagés et de leur unité possible. Mais peut-on dire pour autant que les mouvements sociaux de 1995 préfigurent les mouvements anti-mondialistes ? Le refus du plan Juppé au nom de l'idéologie anti-libérale suffit-il à en faire les prémisses d'un mouvement anti-libéral tel qu'Attac ? * 280 Isabelle déclare regretter que suite aux événements de 1995, des structures ne se soient pas mis en place pour accompagner cette « demande d'action » et que le mouvement de contestation soit « tombé à plat ». Cela rejoint l'idée qu'Attac a repris à son compte la contestation qui s'exprimait déjà en 1995. |
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