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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.2.3 Limites et unité

2.2.3.1 Des revendications illégitimes ?

Afin de connaître les revendications considérées par les enquêtés comme les moins légitimes ainsi que les limites du discours qu'Attac peut tenir, selon eux, sur la société, nous avons demandé aux personnes interrogées de se positionner vis-à-vis d'un certain nombre de sujets. Tout d'abord, le boycott de Danone, qui fut très polémiqué semblait convenir à un tel test235(*). La majorité des enquêtés (sept) est favorable au boycott. Il s'agit pour eux d'un lien direct avec les fondamentaux d'Attac. Par exemple, Fabien qui situe son engagement comme un refus du « rouleau compresseur de l'économie » perçoit le boycott comme légitime car les licenciements de Danone sont une nouvelle manifestation de la rentabilité financière contre laquelle lutte, selon lui, Attac. En revanche Luc qui possède un fort passé syndical et qui inscrit son engagement dans le cadre de la lutte des classes, ne perçoit pas le boycott uniquement comme un conflit du travail qui relèverait des syndicats, mais aussi comme un conflit qui opposerait les « capitalistes » à ceux qui en sont exclus. Il se déclare également favorable à une prise de position d'Attac vis-à-vis du PARE (Plan d'aide au retour à l'emploi).

Deux interviewés se déclarent indécis sur la question du boycott. Tout d'abord, ils doutent de l'efficacité de cette action; il s'agit pour Laurent d'une action qui peut avoir des retombées positives mais qui n'est pas assez massive pour que cela remette en cause la politique du groupe Danone, tandis que Isabelle craint le « résultat inverse » c'est-à-dire que Danone en tire des retombées commerciales et économiques à l'aide d'une «super campagne de pub ». D'où son interrogation : « Faut-il parler de Danone, faut-il ne pas en parler ? ». De plus, ils remettent en question le bien fondé et la légitimité de cette prise de position. Laurent estime que le plan de licenciement ne prête pas à condamnation puisque Danone agit, selon lui, selon sa « nature d'entreprise » en embauchant et en licenciant. Il n'y voit pas une dérive de la « rentabilité financière » comme le faisait Fabien.236(*) Isabelle critique cette revendication, d'une part car il s'agit pour elle d'une réaction trop spontanée et qui n'a pas été suffisamment réfléchie, et d'autre part car il s'agit d'une action qui relèverait davantage des syndicats. Elle évoque en outre la situation du campus universitaire, où le groupe Attac a appelé les Restaurants Universitaires (RU) à boycotter les produits Danone. Ils ont d'ailleurs organisé à l'occasion une distribution de tracts devants les RU à laquelle Isabelle n'a pas participé.

Fabien : Oui, là ça me paraît encore un peu dans l'optique. Il est vraisemblable que si Danone a licencié, c'est pour des questions de rentabilité financière, pour donner satisfaction aux actionnaires, aux fonds de pension et à tous ceux qui détiennent des actions de la firme. On est quand même dans la mouvance de la mondialisation. Je pense qu'Attac a son mot à dire.

Luc : Attac n'a pas pris position par rapport à cela et moi j'étais pour qu'on prenne position non par rapport au PARE, et c'est ce qui a été fait précédemment pour les licenciements après coup, mais par rapport à cette analyse des pouvoirs qui pèsent sur le salarié [...] Tout ça fait partie de la même lutte [...] J'en ai discuté avec Antoine, et on en a conclut qu'il y en qui sont contre l'intervention par rapport au PARE et même contre l'intervention et la position d'Attac par rapport à Danone, en disant qu'on est en train de faire de l'ombre aux syndicats et qu'il faut laisser les syndicats se battre au sein de l'entreprise. Alors que moi, je dis que si on dépasse la notion de corporatisme on se situe dans la lutte des classes, parce que moi depuis longtemps je parle de lutte des classes, je pense qu'Attac doit se situer dans le cadre de cette lutte de classes.

Laurent : Le boycott de Danone pour moi ça ne m'a pas effleuré l'esprit. Je n'ai pas de certitudes là-dessus, je n'en sais rien. J'imagine qu'il y a des groupes qui ont besoin de s'adapter et de réorganiser leur structure et ça passe par la suppression de postes. Il faut tenir compte de la réalité aussi. Boycotter Danone ça revient à les punir parce qu'ils ont licencié des gens mais on ne peut pas demander autre chose à une entreprise qu'elle soit une entreprise et qu'elle se comporte comme telle. Faire en sorte que ce soit acceptable mais elle licencie et elle a le droit, elle a le droit d'embaucher aussi. C'est dans sa nature même d'entreprise. On ne peut pas reprocher à une entreprise de se réorganiser. Comme ce sont des entreprises de consommation directe, le poids de leur image en termes de marketing est très important et ça va les obliger à intégrer en termes de gestion des ressources humaines le poids de cette réalité qui les touche beaucoup. Ça peut être utile pour que ça fasse du bruit. Mais à mon avis ça ne sert à rien car il faudrait que ce soit massif pour qu'ils le ressentent en termes de vente. C'est plus un symbole. 

Isabelle : C'est vrai que moi, comme je te le disais au début, je me pose pas mal de questions par rapport au boycott et aussi par rapport au boycott du restaurant universitaire. Je ne pense pas que ce soit véritablement le rôle d'Attac [...] C'était un peu la réaction d'un syndicat ou d'un parti. C'est une réaction trop spontanée. On n'a pas débattu réellement des idées. On ne s'est pas posé la question s'il y avait une autre solution à plus long terme, une autre action à faire, à plus long terme, qui serait plus intéressante. Elle pourrait concerner l'ensemble des multinationales et on ne serait pas bloqué sur un exemple qui est déjà très médiatisé. On pourrait y réfléchir [...] Alors maintenant, à voir la façon dont ils se sont lancés dessus, il faut boycotter les produits Danone au restaurant universitaires... Je sais bien que ça relève du symbolique mais je me demande si symboliquement, il ne faudrait pas mieux faire autre chose. Parce que ce boycott sur Danone, c'est un peu comme la prime à la casserole des hommes politiques [...] C'est pour ça que je n'ai pas été distribuer le tract mais ça ne m'a pas trop dérangé car je n'étais pas très motivée.

La constitution d'un groupe de réflexion sur le thème des femmes représente un sujet polémique au sein du comité isérois. Il s'est avéré que les enquêtés étaient très partagés sur la position à adopter. Certains estiment que cette intervention et cette réflexion sont tout à fait légitimes au sein de l'association (François, Cécile, Thomas), d'autres estiment que cela est cohérent mais qu'Attac doit rester prudent sur cette question car certaines associations existent déjà et il y a selon eux un risque de chevauchement (Luc, Julie), et enfin, quelques-uns ne voient pas de lien avec les fondamentaux d'Attac, c'est-à-dire la lutte contre la spéculation et les marchés financiers (Fabien, Laurent, Isabelle)237(*). Pour Julie, qui au cours de l'entretien se déclare très concernée par la situation des femmes, le fait de créer un groupe de réflexion lui paraît légitime car cela correspond à certains thèmes d'Attac. Elle explique par exemple en quoi les femmes sont particulièrement concernées par les retombées du problème de la dette des pays pauvres. En revanche, selon elle, l'association ne peut avoir sur un thème comme celui-ci qu'un rôle de soutien. Fabien, qui est très peu impliqué dans l'association, considère que ce thème n'est pas lié à la mondialisation. Il estime que d'autres associations sont présentes pour prendre en charge cette question.

Il en va de même, selon Fabien, pour le racisme, qui, par ailleurs, a été souvent évoqué spontanément par les enquêtés au cours des entretiens. Certains enquêtés considèrent que ce thème n'est pas lié aux revendications d'Attac et que l'association n'a pas à prendre position dessus (Laurent, Fabien), d'autres, au contraire, estiment que le racisme est lié de façon directe ou indirecte à la mondialisation (Luc, François, Tomas). Parmi ceux ci, deux (François, Thomas) sont d'anciens militants de Ras l'Front238(*), et ils perçoivent une continuité dans leur engagement. Ils sont, par ailleurs, des militants ou d'anciens militants de la LCR et ont une vision très globale des problèmes. Par exemple, Cécile estime qu'il est possible d'établir, indirectement, un lien entre la taxe Tobin et le problème du racisme. C'est pourquoi, l'engagement au sein d'Attac permet, selon elle, de « susciter une réflexion plus large » et permet d'aboutir à une « prise de conscience » que ces différentes revendications sont liées.

Julie : « Mais il y a des domaines dans lesquels Attac ne se mobilise pas, non pas que le problème soit pas intéressant. Le problème de la dette du tiers-monde par rapport auquel Attac est très important... Ce problème on peut le prendre sous l'aspect des femmes car effectivement ce dont on s'aperçoit, en travaillant sur la dette, c'est que ce sont les femmes et les enfants qui sont les premiers atteints par la suppression de l'éducation, de la santé, la diminution du service public [...] On peut aborder les problèmes sous cet angle et donc Attac ne peut être que partie prenante d'une certaine manière, mais il y a aussi d'autres associations qui y travaillent. Donc, on peut soutenir mais on n'est pas moteur. Par rapport à la marche des femmes, Attac a soutenu et a participé à l'appel mais Attac elle n'a pas été moteur de ce problème. Il y a des choix qui sont faits et puis il y a aussi un certain nombre d'associations qui existent aussi et soutenir oui mais remplacer non ! 

F.E : Mais par exemple dans le groupe Isère, un comité sur les femmes s'est créé. Est-ce que ça vous ensemble décalé ?

Fabien : Oui, je ne le savais pas. Je pense qu'il y a d'autres instances pour s'occuper de ces questions là, ça ne me paraît pas aller... Ça ne me paraît pas judicieux [...] Le champ d'action que je vois pour Attac, c'est tout ce qui est lié de manière étroite et significative à la mondialisation de l'économie. [...] Je pense qu'Attac peut avoir son mot à dire également sur les conditions de travail. Alors par contre les femmes, le racisme ou la sexualité, à mon avis ce n'est pas de leur domaine. 

F.E : Tout à l'heure tu me disais que ton antifascisme avait un rapport avec ton engagement...

Cécile : En fait, c'est le fait de considérer qu'un engagement sur quelque chose de très particulier comme l'antifascisme ou l'anti-sexisme peut mener à un engagement plus global. Ça a un rapport avec ce que je pense sur l'engagement à Attac aujourd'hui parce que l'engagement sur la taxe mène à un engagement global [...] Entre la taxe Tobin et le racisme il y a un pas mais le lien on peut le faire mais ça serait un lien rapidement fait. Le racisme se développe parce que les gens ont besoin de se trouver un ennemi parce qu'ils sont dans une situation assez critique et leur situation c'est une situation de chômage et d'incertitude et celle-ci est générée par quelque chose dont fait partie la mondialisation libérale et ce que ça peut créer au niveau social. C'est très simplificateur [...] Je pense que c'est aussi par rapport à la prise de conscience des choses et d'une manière générale tu vas mettre ça en pratique et c'est poser des questions aux gens en essayant de susciter une réflexion plus large que simplement la taxe et pas d'arriver avec un discours tout fait en leur disant que c'est comme ça, il s'agit de susciter une réflexion chez les gens en essayant de faire avancer les choses.

François : Attac ne fait pas de l'antifascisme, en tous cas pas directement. Et Ras l'Front fait pas de la lutte contre la mondialisation. Pourtant il y a des choses qui se regroupent. Ras l'Front va se battre pour les sans-papiers et Attac aussi il se trouve qu'il y a quelque part, quand même un lien.

Luc : Mais, d'un autre côté, il y a d'autres associations qui prennent en charge les autres choses. Par exemple quand il y a des manifestations contre le racisme, on organise pas la manifestation, mais on soutiendra et on participera, mais ça s'arrêtera là. On soutiendra tous ceux qui subissent les conséquences de la mondialisation. Ce qui se passe dans les quartiers en difficulté, c'est le résultat de la mondialisation. Ce n'est pas du tout déconnecté de notre lutte.

La plupart des interviewés reconnaissent que ces revendications (le boycott de Danone, la défense du droit des femmes, la condamnation du racisme) sont légitimes et ils sont prêts à les défendre au sein d'Attac. En revanche, ils émettent des réserves sur l'impact négatif que cela peut avoir sur le mouvement. Laurent, qui est un adhérent assez récent (11/2000) et qui a un engagement croissant dans l'association présente un accord assez large avec les revendications portées mais il est inquiet pour les conséquences possibles pour l'association. Il craint qu'un élargissement trop important des revendications introduise des lignes de clivage entre les adhérents et divise l'association. La question pour lui est de savoir si le fait de prendre position sur beaucoup de thèmes fait du tort à Attac ou s'il est au contraire préférable d'adopter une position globale qui se décline dans de nombreux domaines. Une militante plus ancienne (Julie) évoque le fait que le comité isérois soit beaucoup interpellé par d'autres associations pour soutenir des actions ou des manifestations. Il y a un risque selon elle d'éparpillement, et il est important de limiter le champ d'intervention de l'association.

Enfin, Fabien s'étonne que le thème de l'agriculture biologique ait été abordé par le groupe isérois, et il en déduit qu'il existe un risque de « trop élargir » et de s'en retrouver affaibli. Il conclut en annonçant que, si le mouvement continuait à s'élargir, il serait nécessaire d'en modifier le nom. Cela traduit bien que l'association, malgré ses élargissements possibles, reste rattachée à son point de départ (les transactions financières) et que certaines conséquences de la mondialisation ne pourraient pas être abordées en son sein. Ce que laissent entendre ces trois exemples c'est qu'Attac aurait une unité qu'il s'agit de conserver intacte. C'est elle qui définirait par la négative les limites à ne pas franchir. Il s'agit de voir comment les adhérents se représentent l'identité d'Attac.

Laurent : La taxe Tobin c'est la réforme qui est portée en étendard dans le mouvement et c'est la base qui lui a donné naissance. Après, tout le reste ça vient comme quand on tire la maille d'un pull, tout le reste vient [...] Oui c'est très large et ça c'est embêtant. Moi ça m'ennuie un peu parce que justement, c'est des mouvements qui sont un peu de la même génération, qui se ressemblent entre eux. [...] Je ne sais pas si le but du jeu c'est d'avoir un discours global et d'avoir quelque chose à dire surtout ou s'il faut rester vraiment spécifique sur certains thèmes. Peut-être qu'on s'égare [...] Mais ça va poser problème parce que plus tu parles de sujets et moins les gens sont d'accord sur tous les sujets et c'est logique. S'il y a une seule revendication qui est affichée, tous les gens qui adhèrent sont d'accord avec cette revendication, mais si ça se globalise alors il y a nécessairement des moments où comme dans un parti politique, il y a certaines personnes qui contestent. 

F.E : Vous pensez qu'il y a des limites aux sujets qui puissent être débattus dans Attac ?

Julie: Je pense qu'il faut qu'Attac reste dans... On fait appel à Attac pour énormément de choses, parce qu'il y a beaucoup d'adhérents et que ça bouge... À la limite on lui demande de participer à énormément de choses et il y a effectivement le risque aussi qu'en se mobilisant pour énormément de choses, qu'on en perde aussi une forme d'essence, d'identité. Je pense qu'il faut qu'Attac se limite, il ne peut pas participer à tout, il ne peut pas se mobiliser sur tout et ne peut pas intervenir sur tout. Pour l'instant ce n'est pas encore trop le cas. Il y a sûrement des tas de thèmes sur lesquels Attac ne pourrait pas intervenir.

Fabien : Moi ça ne me gêne pas qu'Attac soutienne d'autres revendications. Ils ont peut-être été un petit peu loin. Dans l'Isère, j'ai appris qu'ils se sont mis à parler d'agriculture biologique... Bon... Il ne faut pas trop se diluer non plus. Parce que quand on se dilue trop, on perd un peu de sa force. Qu'on élargisse un petit peu la plate-forme, ça me paraît à la fois souhaitable et inévitable, mais il ne faut pas trop élargir car sinon, après Attac risque de parler de tout et de rien. Ou alors il faudrait carrément qu'ils modifient l'appellation et que ce soit « Association contre les excès de la mondialisation » ou quelque chose comme ça.

* 235 Nous savions que certains adhérents (par le biais du site internet Attac talk) réprouvaient la participation d'Attac au boycott, le plus souvent en raison du risque d'amalgame avec le rôle des syndicats.

* 236 On peut remarquer que Laurent au cours de l'entretien exprime à plusieurs occasions son refus des réactions trop « épidermiques » et trop « brutales ». Il semblerait qu'il inclue le boycott dans celles ci.

* 237 Ces trois adhérents sont ceux que nous avons considérés en introduction comme les moins impliqués dans le comité isérois. On peut supposer que l'assimilation des revendications progresserait de façon croissante avec l'intégration des individus à l'association. L'implication des adhérents rendrait alors compte de la différence des points de vue.

* 238 Ras l'Front, se définit comme un « Réseau de lutte antifasciste » qui a été fondé en 1996 par un texte d'appel écrit par Gilles Perrault intitulé « l'Appel des 250 ». Le réseau rassemble plus de cent collectifs en France autour d'une charte, dans laquelle figure l'objectif commun à défendre : « Présents sur tous les terrains où se développe l'idéologie des droites extrêmes, ces comités, réseaux ou simples équipes militantes ont choisi de lutter [pour] analyser les raisons de cette montée en puissance du Front national ». Le mouvement ne se limite pas au Front National et s'est élargi à d'autres revendications telles que la lutte contre les lois Pasqua, la lutte contre toute politique ou acte raciste, la défense des droits des femmes, notamment le droit à l'avortement, la lutte contre le chômage, considéré comme le «fumier sur lequel prospèrent les idées du Front national ». Les enquêtés insistent sur le fait que l'organisation de Ras l'Front est beaucoup plus « lâche » que celle qui régit Attac puisque l'ensemble des actions se décident entre les collectifs et que le national y occupe une place beaucoup plus réduite. De même, selon eux, les relations y sont beaucoup plus informelles

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