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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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2.2.2.2 les logiques de ces élargissements

La première proposition d'Attac était la taxe Tobin mais son champ de revendications s'est depuis considérablement élargi. Il est possible de distinguer quatre logiques qui ont participé à cet élargissement. Tout d'abord en raison d'une réflexion sur les conséquences de la « mondialisation libérale » qui a amené l'association à prendre position sur le problème de la dette, des fonds de pension, des paradis fiscaux, des négociations économiques et commerciales internationales. Ces revendications découlent du principe dont est parti le mouvement, à savoir le refus de la spéculation et des dérives des marchés financiers. Lors des entretiens, beaucoup d'enquêtés évoquent cet élargissement comme « allant de soi » ou comme étant « inévitable ». Ainsi que ce soit un adhérent qui n'a jamais milité comme Fabien ou un militant très impliqué comme Thomas, tous les deux considèrent comme «logique » et comme allant de soi qu'Attac soutienne d'autres revendications que celles qui étaient initialement défendues. Pour eux, la taxe Tobin n'est pas suffisante, elle ne représente qu'une mesure parmi d'autres. Dés lors un élargissement est nécessaire. La taxe Tobin ne constituerait qu'une « porte d'entrée pédagogique » vers les marchés financiers231(*).

Fabien : « Oui, je pense que ça aurait été un peu réducteur de parler que de la taxe Tobin. Et puis, je crois que c'est inévitable. Parce que la taxe Tobin a été ressuscitée sous l'impulsion de la mondialisation, de la déréglementation des mouvements de capitaux. Etant donné que ce sont des événements qui ont vu d'autres types de conséquences, on peut faire difficilement abstraction du reste. Moi ça ne me gêne pas qu'Attac soutienne d'autres revendications. »

Thomas : « Et on peut commencer par la taxe Tobin. Mais il n'y a pas que ça ! On avait commencé par la taxe Tobin et très rapidement les membres fondateurs d'Attac ont dit « Ce n'est pas possible ». En s'arrêtant à la taxe Tobin ça ne va plus, parce que les paradis fiscaux et le blanchiment de l'argent de la mafia et de la corruption participent aussi aux flux financiers et la dette ! Tout l'argent qui revient du service de la dette des pays du tiers-monde est réinvesti en achat de devises et participe aussi à la spéculation financière. On a ouvert par rapport à ça [...] Dès que tu commences à mettre le doigt dans l'engrenage là-dedans, eh bien tu t'aperçois que tout découle de ça... Tout découle ! »

François : Et c'est plus large quand même que l'idée de départ qui était la taxe Tobin, c'est parti essentiellement là-dessus et aujourd'hui c'est beaucoup plus large et c'est très bien comme ça. Parce que les gens aussi ils ont compris, et je parlais de dynamique tout à l'heure, qu'il y a un lien entre ces choses-là, il n'y a pas de paradis fiscaux comme ça au hasard, il n'y a pas d'absence de taxation financière au hasard.

Cécile : Au départ c'était la taxe Tobin et forcément quand tu fais quelque chose sur la taxe Tobin, tu es amené à réfléchir sur la dette et si tu réfléchis sur la dette tu es amené à réfléchir à autre chose car tout est lié. Attac même s'il ne le dit pas il s'attaque au capitalisme financier et à ces dérives plus sauvages. Du coup c'est super général par rapport à ça.

Cet élargissement est également dû au positionnement des dirigeants de l'association sur les thèmes d'actualité. C'est ainsi que de nombreuses revendications ont été formulées à l'occasion d'événements qui ont défrayé la chronique. C'est par exemple à l'occasion du naufrage de l'Erika ou à l'occasion du plan de licenciement de Danone que le bureau a été amené à prendre position sur des sujets vis-à-vis desquels Attac restait jusque là en retrait. Plusieurs enquêtés considèrent que cet élargissement est légitime. Ils y voient un enrichissement du mouvement (Julie, Cécile, Laurent). En revanche Isabelle juge assez négativement ce mode d'élargissement. Elle regrette que le mouvement « s'accroche » à chaque événement de façon précipitée et aimerait qu'Attac reste plus centré sur la spéculation financière. Elle évoque par exemple l'action du boycott de Danone que nous avons mentionné où la réaction d'Attac était selon elle trop immédiate, pas assez réfléchie se rapprochant davantage de l'action d'un syndicat ou d'un parti politique que de celle d'une association.

Laurent : Déjà les revendications augmentent en fonction de l'actualité, ils se positionnent en fonction des problèmes. Et comme ils sont contre la logique libérale absolue quand il y a un fait actualité qui est provoqué par cette logique, alors il ne s'agit pas de le casser mais de le dépasser et de l'intégrer. Pour l'Erika c'est un exemple typique où il faudrait des règles internationales, parce que c'est quand même un problème énorme. Ça me semble cohérent qu'Attac se positionne par rapport à ça.

Isabelle : Là par exemple, le boycott Danone, j'ai l'impression que c'était un peu une réaction à chaud ! Danone a licencié, on est un peu à la bourre mais il faut qu'on boycotte ! C'était un peu la réaction d'un syndicat ou d'un parti. C'est une réaction trop spontanée. On n'a pas débattu réellement des idées [...] Je pense qu'Attac s'est trop précipité là-dessus, un mouvement c'est fait pour avoir des réflexions de fond [...] La dérive est risquée, du moment qu'on touche un peu à tous les domaines, c'est un risque de se disperser. Des fois c'est bien de se recentrer et de se poser la question « Qu'elles sont nos priorités?».

L'ouverture du mouvement à de nouvelles revendications s'explique également par le fonctionnement en réseau de l'association. Le fait que différentes associations et syndicats soient membres d'Attac a permis de prendre en compte d'autres thèmes que ceux qui s'étaient développés initialement. Ainsi, chaque membre fondateur a essayé de faire valoir son problème spécifique. Par exemple, la Confédération paysanne a incité l'association à se positionner vis-à-vis des OGM. De même, Attac a été amené, comme nous l'avons vu, à intervenir dans le domaine de l'éducation alors qu'il s'agit apparemment d'un thème sans rapport direct avec l'association. Ceci s'explique, selon François, par la présence de nombreux syndicats enseignants parmi les membres fondateurs qui « poussent » les dirigeants à s'engager.

François : Par exemple sur l'éducation... C'est une volonté de marchandisation et de transformer l'éducation en marchandise, c'est ce qu'ils appellent une trousse universelle. Attac pourrait dire, on s'en fout c'est l'éducation, sauf que dans les membres fondateurs d'Attac il y a la FSU donc forcément, tout de suite... La connexion est faite tout de suite parce que les gens qui y sont, ils poussent et ils disent c'est pas possible [...] Je ne pense pas qu'ils défendent simplement le côté des profs, mêmes au contraire, c'est l'impact que ça aura sur la société et sur les enfants et les générations futures, comme on dit [...] Là-dessus je pense qu'Attac à raison... aurait raison de proposer. Et s'ils le font c'est parce que la FSU pousse derrière. C'est un syndicat d'enseignants et ils sont confrontés directement à ce truc-là et donc ils savent de quoi il s'agit et ils peuvent nourrir la réflexion au sein du collectif et du comité Attac et puis voilà.

Enfin, on peut évoquer un quatrième type d'élargissement qui se développe de façon suffisamment significative dans l'association pour qu'on puisse l'indiquer. Il s'agit de la prise en considération des revendications portées par les comités locaux que nous avons mentionnée. Par exemple, si le bureau national a pris position sur une question d'éducation c'est parce qu'un comité local s'était engagé sur la question et il fut décidé de lancer cette action au niveau national. De même pour la question des femmes que nous avons évoquée dans Attac 38, le comité Attac Paris 14ème s'est doté d'un groupe « Femmes et mondialisation »232(*). Peu après l'université d'été de la Ciotat, l'idée a été lancée par plusieurs comités locaux (dont Attac 14éme) d'effectuer « une analyse sexuée de la mondialisation libérale et d'instaurer une démocratie paritaire dans le fonctionnement même d'Attac »233(*) (Conseil d'administration, Conseil scientifique). A cet effet une lettre type a été proposée aux adhérents afin de faire pression sur le bureau national et d'établir un réseau national. Ce regroupement de comités a également élaboré une plate-forme de revendications en se rendant visible dans Attac. Récemment, un document a été envoyé au conseil scientifique afin qu'il prenne en compte le «genre » dans leurs analyses234(*). Il y a donc, dans la définition des revendications, une dialectique du national et du local, l'un enrichissant l'autre.

L'élargissement qu'Attac a connu dans ses revendications est considérable et pourtant il est considéré par les adhérents comme légitime. Cela soulève un certain nombre de questions : quelles limites posent-ils à l'association ? Comment à travers cette diversité de revendications perçoivent-ils l'unité d'Attac ?

* 231 « La taxe Tobin apparaît comme une "porte d'entrée" pédagogique, accessible et sérieuse sur les enjeux de la crise financière et de l'ordre financier international; en se fixant l'objectif de réduire les inégalités et les marges de manoeuvre des logiques dont elles procèdent, elle dessine la possibilité d'un "autre monde" ». Aumeran (Chantal), Tartakowsky (Pierre), « Rapport d'activité », Assemblée générale d'Attac, La Ciotat, 23 octobre 1999.

* 232 Sa vocation « n'est pas de réunir seulement les femmes d'Attac 14ème ni de créer un pôle qui fonctionne de façon périphérique et marginale dispensant ainsi la totalité des militants de la réflexion sur le sujet. Le but est au contraire de porter à l'intérieur du comité Attac, pour tous les sujets abordés, la dimension des femmes, en montrant qu'une analyse sexuée pourrait être faite sur des thèmes comme les rapports économiques, la violence ou la santé. » In Groupe « femmes et mondialisation » d'Attac 14ème, http://www.local.attac.org/attac14groupe01.htm http://www.local.attac.org/paris14/FM/Archives/attac14groupefm07.htm

consulté le 30/07/2001.

* 233Cf., Attac 14éme, Pour un Attac pluriel et mixte, http://www.local.attac.org/paris14/FM/Archives/attac14groupefm07.htm femmes.paris14@attac.org consulté le 30/07/2001.

* 234 « Le thème « Femmes et Mondialisation » a mobilisé plusieurs membres d'Attac dans un groupe de réflexion national dont l'ambition est de convaincre de la nécessité d'intégrer le genre dans toutes les analyses. L'analyse de genre est une dimension transversale à tous les terrains occupés par Attac, et non pas un domaine d'action adjacent. » In Problématique du groupe thématique 'Femmes et mondialisation' d'Attac, exposée au Conseil scientifique, juin 2000, http://www.local.attac.org/paris14/FM/Archives/attac14groupefm17.htm http://www.local.attac.org/paris14/FM/Archives/attac14groupefm17.htm consulté le 30/07/2001.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci