UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
2.2.1.2 La ré-appropriation de la taxe Tobin par AttacAvec l'accentuation de la mondialisation et les facilités de circulation des capitaux qui en résultent, les transactions spéculatives ont pris, durant les années 1990, une proportion beaucoup plus importante qu'elles n'avaient lorsque Tobin fit sa proposition203(*). De nombreuses crises économiques se sont succédées : crise de la dette des pays du Sud au cours des années 1980, crise du Mexique en 1994-95, crise de l'Asie de l'Est en 1997, crise du Brésil en 1998. C'est dans ce contexte que l'idée de taxer les transactions financières et la proposition de James Tobin sont revenues sur le devant de la scène. La taxe « Tobin » fut évoquée lors de la crise monétaire européenne, en 1992 et 1993, lors de l'effondrement du peso américain en 1994204(*). Mitterrand proposa également la taxe dans un but « humanitaire » lors du Sommet Social Mondial de Copenhague en 1994. Enfin, elle fut évoquée au G7, à Halifax, en 1995. L'idée reçut le soutien de plusieurs personnalités : Jacques Delors (président de la commission européenne de 1985 à 1994), Boutros Boutros-Ghali (secrétaire général de l'ONU de 1992 à 1996), Barber Conable (président de la Banque Mondiale de 1986 à 1991). En France, en 1995, le candidat Lionel Jospin avait inscrit cette mesure dans son programme de campagne présidentielle, elle avait également été reprise par les socialistes lors des élections européennes de 1995 ; il n'en avait plus été question depuis205(*). Elle est réapparue en décembre 1997 dans l'éditorial d'Igniacio Ramonet. Mais la proposition défendue par Attac est-elle la même que celle de Tobin ? Comment l'association s'est-elle réappropriée cette idée et en a t-elle fait son cheval de bataille ? La taxe défendue par Attac n'est pas fondamentalement différente, dans ses modalités d'application, de celle que James Tobin avait pu concevoir. Il s'agit d'une imposition des opérations de change à un taux situé entre 0,05% et 1% et qui permettrait de réduire le volume des transactions. Toutefois, Attac entend reprendre à son compte cette taxe dans un « esprit » différent de celui qui motivait James Tobin : alors qu'il souhaitait avant tout redonner aux politiques monétaires nationales une certaine autonomie et qu'il ne considérait le bénéfice de cette taxe que comme un « sous-produit », l'association s'est fondée initialement sur l'idée de collecter une somme permettant l'éradication de la pauvreté et le développement des pays les moins avancés206(*). Ramonet, dans son éditorial « Désarmer les marchés » appelait de ses voeux cet « impôt mondial de solidarité » qui «procurerait, par an, quelque 166 milliards de dollars, deux fois plus que la somme annuelle nécessaire pour éradiquer la pauvreté extrême d'ici au début du siècle. »207(*) Les membres du Conseil scientifique d'Attac précisent, par ailleurs, qu'il ne s'agit pas de se substituer à l'aide publique au développement mais d'ajouter le produit de la taxe aux financements déjà existants208(*). En se réappropriant l'idée de Tobin et en lui donnant une finalité différente de celle qu'il lui attribuait initialement, l'association a ,dans un premier temps, donné l'idée que James Tobin était un économiste « humaniste »209(*), alors que le contexte et le but n'étaient pas semblables. Ce qui est étonnant, c'est que de nombreux militants Attac se représentent James Tobin comme un économiste libéral souhaitant non pas lutter contre la spéculation mais la protéger, en constituant grâce à l'argent récolté un fonds de réserve qui permetterait en cas de crise économique de « relancer la machine ». Son intention était d'empêcher la formation de bulles spéculatives qui sont néfastes au déroulement de l'économie capitaliste et au bon fonctionnement des marchés210(*). En revanche, il souhaitait bien freiner la spéculation. Il s'agissait pour lui de « jeter du sable dans les rouages de la spéculation » afin de rendre aux Etats une politique monétaire plus autonome. La finalité de Tobin était de donner plus de place aux politiques de relance et de réduire la place du marché, il était avant tout keynésien et surtout pas libéral. Fabien : Dans son projet initial, le mot « mondialisation » ne venait pas, il s'agissait de faire en sorte de mettre du sable dans les rouages pour éviter qu' il y ait trop de transactions de spéculation. C'est tout. Je ne me rappelle plus quel était son but. Mais Attac je ne sais même plus ce qu'ils disent là-dessus. Eux... Enfin nous puisque j'en fais partie... Ils étaient favorables à la constitution d'un fonds qui permettrait de financer le développement social. Ce n'est pas le but que Tobin avait donné à son idée mais ça ne me choque pas. Je ne pense pas qu'il y ait de contradiction. Qu'on prenne l'idée mais on qu'on essaie de l'appliquer dans une optique différente ! Cécile : Dans la taxe je pense qu'on peut y voir ce qu'on veut dedans. Les gens d'extrême gauche y voient un tremplin pour une critique globale de la société, un grain de sable qui pourrait amener une prise de conscience du capitalisme mondial et c'est pour ça qu'il y a un certain nombre de gens de la gauche radicale qui se retrouvent dans Attac. Il y aussi des gens qui vont y voir un moyen d'action pour améliorer la condition de vie des populations, comme des gens du parti socialiste. Il y a Tobin lui-même qui y voit le moyen pour huiler le système financier. Je pense qu'on peut y voir ce qu'on veut. * 203 En 1970, le volume mondial des transactions quotidiennes sur le marché des changes s'élevait à 10 milliards de dollars. Il est passé à 75 milliards en 1980, à 500 milliards en 1990 et à 1 800 milliards en 1997. Seulement 7 ou 8% de ces transactions correspondraient à des règlements commerciaux. Cf., Chesnais (François), op.cit, p. 52. * 204 Sahuc (Michel), « La taxe Tobin : soin palliatif du capitalisme », op.cit. * 205 Fabre (Clarisse), « Le comité Attac de l'Assemblée nationale prépare son offensive », Le Monde, 23/09/1999. * 206 La charte fondatrice d'Attac note que « Même fixée à un taux particulièrement bas de 0,05%, la taxe Tobin rapporterait près de 100 milliards de dollars par an. Collectée, pour l'essentiel, par les pays industrialisés où sont localisées les grandes places financières, cette somme pourrait être reversée aux organisations internationales pour des actions de lutte contre les inégalités, pour la promotion de l'éducation et de la santé publique dans les pays pauvres, pour la sécurité alimentaire et le développement durable », Cf. annexe n°7, p. 19. * 207 Ramonet (Igniacio), « Désarmer les marchés », op.cit, annexe n°10, p.26 * 208 « Il reste du devoir de chaque Etat national de mener des politiques de protection sociale et de solidarité, d'éducation, de santé publique, et de protection de l'environnement, et de prévoir les budgets nécessaires. » Conseil scientifique d'Attac, « Dix questions sur la taxe Tobin ». * 209 Un adhérent d'Attac a écrit dans ce sens sur Internet : « Par contre il y a une erreur sur les intentions de Tobin lorsqu'il a proposé sa taxe, pour lui l'argent récolté il s'en fichait [...] En fait Attac a fait de Tobin un économiste à visées humanistes alors que le but de sa taxe est d'ordre purement technique et clairement réformiste. » Acounis (Henri), « Extrait du quotidien Le Devoir du 6 mai 2001 », http://www.attac-talkg.org. 8/05/2001. * 210 Cf., Chemin Ariane, Laurent Mauduit, « Le ministère des finances juge irréaliste une taxation des mouvements de capitaux », Le Monde, 2/10/1998, p. 7. |
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