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UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isère


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble -   2002
  

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1.1.2 La présentation de soi

1.1.2.1 Le rattachement à l'éducation populaire

Les publications officielles décrivent Attac comme « une association qui se veut un mouvement d'éducation populaire tourné vers l'action »76(*). Par cette appellation les dirigeants souhaitent s'inscrire dans la continuité des « associations et fédérations « historiques », qui se sont consacrées à la formation à la citoyenneté pendant des décennies »77(*). Toutefois, il s'agirait non seulement de poursuivre mais également de renouveler l'idée même d'éducation populaire. Ainsi, Bernard Cassen juge que les mouvements d'éducation populaire « n'ont pas su s'articuler avec les mouvements sociaux de ces dernières années qui, eux, se veulent des acteurs directs de la citoyenneté active, ici et maintenant, sur les terrains les plus divers.»78(*). Ces mouvements « historiques » seraient en décalage avec les organisations syndicales, qui sont « autant d' « écoles » de citoyenneté » et avec les associations nées du « mouvement social » (associations de chômeurs, de « sans-logis », de « sans-papiers »)79(*). C'est la raison pour laquelle il suggère qu'Attac renouvelle les formes de l'éducation populaire en inscrivant celle-ci dans l'action et les « luttes actuelles ». L' « originalité d'Attac serait d'avoir réuni ces trois « mouvances » autour d'un objectif dans lequel elles peuvent toutes se reconnaître : « reconquérir les espaces perdus de la démocratie au profit de la sphère financière »80(*).

La référence à l'éducation populaire étant une des principales caractéristiques d'Attac, il est probable qu'elle occupe une place importante dans l'engagement des adhérents. Cependant, au cours des entretiens, très peu d'enquêtés se réfèrent spontanément à cette thématique. Lorsque les enquêtés sont interrogés sur ce thème, la plupart reconnaissent que cette référence est légitime. Toutefois, les représentations de ce qu'est l'éducation populaire sont très hétérogènes. Thomas perçoit l'éducation populaire comme étant, avant tout, destinée aux non-adhérents de l'association. Il s'agit, selon lui, d'informer les gens pour qu' « ils puissent ensuite se positionner ». Lionel pense qu'elle permet également aux adhérents de se former. L'éducation populaire ne semble pas avoir l'impact qu'on aurait pu attendre sur l'engagement des adhérents. En effet, les enquêtés rapportent avant tout le thème au militantisme et aux modes d'action que propose l'association. Aucun n'évoque l'éducation populaire comme étant un ressort de son engagement personnel. Luc observe, toutefois, qu'il a déjà été membre d'une association d'éducation populaire « qui se voulait aussi, tournée vers l'action ».

En revanche, plusieurs interviewés adoptent un regard critique vis-à-vis de cette référence. Par exemple, Cécile, qui estime connaître cette thématique du fait qu'elle dispose de plusieurs expériences dans le domaine de la formation à l'animation, considère qu'il n'y a « pas vraiment [une] filiation entre les deux ». François explique « qu'il faudrait trouver autre chose comme philosophie ». Il s'agit, selon lui, d'un terme trop « intellectualiste ». Cela revient à vouloir « porter la bonne parole » auprès des non-adhérents. On peut remarquer que ceux qui légitiment cette référence sont ceux qu'on a précédemment décrits comme étant des « nouveaux » militants et qui sont pour la plupart des individus déçus de leurs expériences militantes précédentes. A l'inverse, ceux qui critiquent cette référence figurent comme étant des militants « professionnels ». On peut supposer que la référence à l'éducation populaire constitue un thème fécond en faveur de l'engagement militant car elle permet de proposer un mode de militantisme distinct de celui qui s'est développé au cours des années quatre-vingt et qui apparaissait plus éloigné des préoccupations des adhérents81(*).

Thomas : C'est un moyen... de revenir aux mouvements d'éducation populaire... C'est un moyen de concentrer de la formation et de la diffuser pour que justement, les gens qui veulent après participer à des mouvements d'émancipation puissent, enrichis de ces informations. Si c'est dans ce sens-là alors oui, Attac participe à l'émancipation des travailleurs. Après, pour moi, il va falloir, on revient toujours à des opinions personnelles, il va falloir que les gens, une fois qu'ils ont ces informations, qu'ils regardent autour d'eux [...] Mais il faut d'abord commencer par justement informer pour que les gens puissent ensuite se positionner. Et ça c'est un travail qui est gigantesque, parce qu'on a en face de nous le reste des médias, quoi.

Lionel : Je pense qu'elle est tournée vers deux groupes. Tout d'abord vers nous parce que nous avons besoin d'une formation comme par exemple en économie. Très peu de personnes dans l'association ont une formation économique. Mais aussi vers les gens de l'extérieur afin de les informer.

Luc : On a fait partie, suite à 1968, d'un mouvement qui s'appelle « Vie Nouvelle » et qui se réclamait du personnalisme communautaire d'Emmanuel Mounier. Le personnalisme communautaire, il y a le mot personne, individu là-dedans et on vit dans une communauté [...] C'était aussi un mouvement d'éducation populaire, qui se voulait aussi tourné vers l'action et c'est à cette époque là, c'était un mouvement très catholique, qui était issu du PSU à l'époque.

François : Je sais qu'Attac se revendique comme ça [un mouvement d'éducation populaire ] mais j'ai très peur... Pour moi éduquer la base ou le peuple... Ça peut paraître un peu paradoxal pour quelqu'un qui est communiste ou marxiste. Je ne dis pas que c'est ce que propose Attac mais je pense qu'il faudrait trouver autre chose comme philosophie. C'est un rapport simplement intellectualiste à la chose, c'est-à-dire nous les militants, et ça c'est aussi bien des militants de base que la direction d'Attac ou le Conseil scientifique, on va faire un mouvement d'éducation populaire pour les autres et pour ceux qui ne militent pas encore ! C'est aussi une vision du monde. Il y a ceux qui portent la bonne parole. Les autres ils n'attendent qu'une chose c'est d'être éduqués pour se mettre en action. Je pense qu'il y a d'autres ressorts qui font que les gens ne se battent pas aujourd'hui.

Cécile : Attac se revendique de l'éducation populaire mais je ne vois pas vraiment la filiation entre les deux. Attac c'est quand même très politique et ça n'a pas grand-chose à voir avec les mouvements d'après-guerre comme le CEMEA.

Cette dénomination n'était pas présente lors de la constitution de l'association. Ce n'est qu'à partir d'avril 1999, que le terme d'éducation populaire va être utilisé pour qualifier l'association82(*). Depuis, Attac est constamment présenté ainsi, dans ses publications officielles83(*) mais également au sein des médias84(*). Il est alors légitime de s'interroger sur la provenance de cette « étiquette ». Elle répondrait à une attente formulée par les adhérents85(*). Mais il semblerait également qu'on puisse expliquer cette évolution à partir de la position personnelle du président de l'association. En effet, Bernard Cassen semble très attaché au fait qu'Attac soit un mouvement d'éducation populaire. Il a d'ailleurs publié un article dans le Monde Diplomatique, en juin 1997, dans lequel il défendait l'idée d'une « nécessaire refondation de l'éducation populaire »86(*). Il y tenait un discours identique à celui qu'Attac diffuse dans ses documents. Pourquoi avoir voulu raccrocher Attac à cette thématique ? Tout d'abord, qualifier Attac de mouvement d' « éducation populaire » lui permet de se positionner dans la lignée d'un long passé associatif87(*). Il l'inscrit dans une tradition et lui permet de dépasser la qualification d'association anti-mondialiste. De plus, par cette référence, Attac rejoint « l'intérêt pour le bas » -intérêt qui constitue, selon Jacques Ion, l'un des principaux attributs des mouvements d'éducation populaire88(*). Cette affiliation constituerait un mode de présentation de l'association qui aurait été adopté afin d'en modifier la perception et la représentation. Il est possible d'y voir une mise en scène de l'image de l'association au sein de la sphère publique. Il s'agirait, à l'aide de ce travail de « marketing », d'attirer de nouvelles sympathies et permettre ainsi la progression des adhésions.

* 76Cassen (Bernard), « Attac : d'abord comprendre », Education populaire : le retour de l'utopie, Politis, n°29, 02-03/2000, Hors série, p. 39.

* 77 Cf. Attac, Tout sur Attac, op.cit, p. 26.

* 78 Ibid., p. 26.

* 79 Ibid, p. 9.

* 80 Ibid., p. 9.

* 81 Cette hypothèse nécessiterait des développements plus conséquents qui ne peuvent être faits ici. Toutefois, cette remarque amène a s'interroger plus longuement sur les registres de militantisme qui sont proposés aux adhérents.

* 82 Bernard Cassen indique lors d'une conférence : « les adhérents, eux, se retrouvèrent immédiatement dans la formule déjà citée - un mouvement d'éducation populaire tourné vers l'action- qui leur fur proposée en avril 1999 dans le premier numéro de notre bulletin Ligne d'Attac ». Cassen (Bernard), « Nous sommes tous des apprenants, art.cit., p. 10.

* 83 Cf., Tout sur Attac, op.cit,. p. 26.

* 84 Témoignage chrétien, qui est un membre fondateur d'Attac, publiait un article consacré à Attac qui s'intitulait « Attac, le renouveau de l'éducation populaire ». Ginisty (Bernard), « Attac, le renouveau de l'éducation populaire », Témoignage chrétien, 24/06/1999.

* 85 Cassen (Bernard), « Nous sommes tous des apprenants, art.cit, p. 10.

* 86 Cassen (Bernard), « Pour des associations « citoyennes » en prise sur le mouvement social », in Le Monde diplomatique, 06/1997, p. 20.

* 87 Les publications d'Attac se réfèrent fréquemment à la Ligue de l'enseignement qui est décrite, parmi les associations d'éducation populaire, comme « la doyenne et l'archétype ». La ligue de l'enseignement a été créée en 1866 par Jean Macé. Elle est présentée comme un défenseur de l'idée républicaine puisqu'elle a soutenu les lois sur l'enseignement en 1882 et les lois laïques de 1901, 1904 et 1905. Cf, Tout sur Attac, op.cit, p. 9.

* 88 « Ce qui caractérise les mouvements éducatifs (et qu'ils se nomment eux-mêmes de jeunesse ou « d'éducation populaire » n'est pas indifférent), c'est la prise en compte spécifiques des publics qu'ils tendent à convertir. Ce qui distingue en effet la plupart des mouvements, c'est l'intérêt pour le « bas »[...] » in Ion (Jacques), La fin des militants, op.cit, p. 41.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984