La règlementation des contenus illicites circulant sur le reseau internet en droit comparépar Caroline Vallet Université Laval de Québec - 2005 |
2) L'intervention du législateurLes pouvoirs publics ont essayé de clarifier le régime de responsabilité des PSI à la suite des différents débats suscités d'une part, par les affaires traitées devant les tribunaux et, d'autre part, par la doctrine. D'abord, après l'amendement BLOCHE, a été adoptée la Loi n°2000-719 du 1er août 2000 modifiant la Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication190(*) (1), venue anticiper la transposition de la Directive sur le commerce électronique191(*) (2). Par la suite, la France a transposé complètement ce texte européen, ce qui a engendré une important polémique (3). a) La Loi n°2000-719 du 1er août 2000 modifiant la Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : une contradiction surprenante avec les dispositions européennesÀ la Suite de l'affaire Hallyday, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi modifiant la Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, promulguée le 1er août 2000192(*). Il crée un nouveau chapitre et insère les articles 43-7 à 43-10. Le régime mis en place est plus protecteur des fournisseurs d'hébergement par rapport à la jurisprudence antérieure193(*). Néanmoins, il faut préciser que cette nouvelle législation est en totale contradiction avec la Directive sur le commerce électronique en ce qui concerne la responsabilité des FAI et d'hébergement194(*). La doctrine suggère aux juges, dans ce cas, « de suivre les dispositions communautaires dès lors que les dispositions nationales en sont l'exact opposé »195(*). L'article 43-7 de la Loi du 1er août 2000 prévoit pour les FAI, qu'ils devront fournir des moyens de filtrage196(*) à leurs clients sans qu'aucune référence à leur responsabilité ne soit faite. Ils semblent ainsi toujours soumis au droit commun. De plus, ce texte ne prévoit aucune sanction en cas de non respect de cette obligation. Il s'avère donc en totale contradiction avec la Directive sur le commerce électronique197(*) qui soustrait, par principe, le prestataire technique à toute responsabilité198(*). Les fournisseurs d'infrastructure et de cache ne sont réglementés par aucune disposition. Par contre, pour les intermédiaires techniques, l'article 43-8 de la Loi du 1er août 2000 prévoit une exonération de responsabilité. Il dispose que : « Les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services, ne sont pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services que : - si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n'ont pas agi promptement pour empêcher l'accès à ce contenu ; - ou si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu'elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n'ont pas procédé aux diligences appropriées ». Cette dernière disposition a été censurée par une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2000199(*) qui l'a déclaré inconstitutionnelle. Il a considéré que les conditions de la saisine par un tiers n'étaient pas suffisamment précises et que l'article ne déterminait pas de façon assez claire « les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager le cas échéant, la responsabilité des intéressés »200(*). Par conséquent, la responsabilité du fournisseur d'hébergement est limitée à la seule saisine du juge. Ces opérateurs doivent seulement déférer aux injonctions de la justice et ne sont tenus à aucune autre vigilance201(*). Il y a donc une absence de responsabilité alors qu'il en existe une dans la Directive sur le commerce électronique202(*). Les juges ont d'ailleurs interprété ces dispositions comme posant un principe d'irresponsabilité des hébergeurs203(*). Ce régime ne permet plus l'application des articles 1382 et 1383 du Code civil français aux litiges nés entre tiers et fournisseurs du fait des contenus d'un site hébergé204(*). Le nouveau texte prévoit également des dispositions pour permettre « l'identification de toute personne ayant contribué à la création d'un contenu » et donne le pouvoir aux autorités judiciaires de « requérir communication auprès des prestataires »205(*) des données qui ont trait à l'identification des créateurs de site. L'article 43-10 de la Loi du 1er août 2000 dispose que le prestataire tient à la disposition du public certains éléments d'identification. Il s'agit donc d'un régime excluant l'anonymat. Cette loi a voulu anticiper la Directive sur le commerce électronique mais le résultat a été décevant206(*), puisqu'elle comporte de nombreuses contradictions avec cette dernière. * 190 Id. (ci-après citée « Loi du 1er août 2000 »). * 191 Directive sur le commerce électronique, précitée, note 176. * 192 Loi du 1er août 2000, précitée, note 17. * 193 Les juges soumettaient les fournisseurs d'hébergement à des obligations de surveillance des contenus circulant sur leurs serveurs notamment à une obligation de vigilance et de diligence. * 194 Agathe LEPAGE, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et des fournisseurs d'accès à l'Internet : un défi nouveau pour la justice du XXIe siècle ? », Comm. comm. électr. février 2002. chron. n°5, p. 16 : « le fournisseur d'accès semble être resté soumis au droit commun quand la directive le soustrait par principe à toute responsabilité, tandis que la responsabilité du fournisseur d'hébergement plafonne à un seuil inférieur à ce qu'envisage la directive ». * 195 Id. : Propos de Michel VIVANT pris dans l'article de A. LEPAGE. * 196 L'amendement FILLON de juin 1996 est visé ici puisqu'il avait tenté d'introduire les logiciels de filtrage dans la révision de cette loi. * 197 Directive sur le commerce électronique, précitée, note 176. Elle autorise les États membres à prendre de telles obligations de filtrage dans le Considérant 40 de la Directive : « les prestataires des services ont, dans certains cas, le devoir d'agir pour éviter les activités illégales ou pour y mettre fin. La présente directive doit constituer la base adéquate pour l'élaboration de mécanismes rapides et fiables permettant de retirer les informations illicites et de rendre l'accès à celles-ci impossible. Il conviendrait que de tels mécanismes soient élaborés sur la base d'accords volontaires négociés entre toutes les parties concernées et qu'ils soient encouragés par les États membres (...) ». * 198 Id., art. 12 ; Voir A. LEPAGE, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et des fournisseurs d'accès à l'Internet : un défi nouveau pour la justice du XXIe siècle ? », loc. cit., note 194. * 199 Décision n°2000-433 DC du 27 juillet 2000, Loi modifiant la Loi n 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. * 200 Id. ; Voir Gérard HAAS et Olivier de TISSOT, Le nouveau régime de responsabilité des hébergeurs institué par la Loi n°2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, Comm. comm. électr. mars 2001. n°29, p. 24. * 201 Michèle TABAROT, Rapport n°608 sur le projet de loi (n°528) pour la confiance dans l'économie numérique, Assemblée Nationale, 11 février 2003, en ligne sur : site de l'Assemblée Nationale < http://www.assemblee-nat.fr/12/rapports/r0608.asp> (site visité le 13 mars 2004). * 202 Directive sur le commerce électronique, précitée, note 176, art. 14. * 203 SA Ciriel c. SA Free, TGI Paris, ord. réf., 6 février 2001, Comm. comm. électr. mai 2001. comm. n°50, obs. Ch. LE STANC. * 204 Le nouveau texte instaure un régime spécifique pour les fournisseurs et la règle veut que les textes spéciaux dérogent aux textes généraux. Voir G. HAAS et O. de TISSOT, loc. cit., note 200. * 205 Loi du 1er août 2000, précitée, note 17, art. 43-9. * 206 A. LEPAGE, « La responsabilité des fournisseurs d'hébergement et des fournisseurs d'accès à l'Internet : un défi nouveau pour la justice du XXIe siècle ? », loc. cit., note 194, 13. |
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