Les Etats face aux Droguespar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002 |
2.2.1.2 Les Centres de Soins Spécialisés de la Toxicomanie : un effort de médicalisation de la prise en chargeLes Centres de Soins Spécialisés de la Toxicomanie (CSST) ont été créés pour répondre aux pressions exercées par certains professionnels en faveur d'une médicalisation du soin de la toxicomanie. C'est ainsi que Pascal Courty a fondé un Centre de Soins Spécialisés pour Toxicomanes géré par l' Association nationale d'aide aux toxicomanes (ANAT), association créée en 1979 à l'initiative de médecins hospitaliers de Clermont Ferrand s'occupant de toxicomanie1005(*). Le Centre est constitué de personnels hospitaliers impliqués dans la prise en charge des usagers de drogue et de bénévoles. L'ANAT a par ailleurs passé une convention en 1994 avec les pouvoirs publics qui constituent le principal financeur conformément au décret du 29 juin 19921006(*). L'originalité de la structure vient du fait que le médecin responsable du centre, Pascal Courty, est également médecin hospitalier « ce qui permet de favoriser le lien entre le pôle de référence hospitalier et le pôle de référence associatif ». Les liens entre les deux structures sont d'autant plus forts que deux médecins prescripteurs de l'unité Méthadone du CHU de Clermont-Ferrand sont salariés du centre de soins. Trois règles sont à respecter à l'intérieur du centre : pas d'alcool, pas de produits addictifs, pas de violence. La priorité est accordée à l'accueil des toxicomanes : « Le premier travail d'un soignant c'est l'accueil. L'accueil, c'est ouvrir la porte quand on sonne ». Les objectifs affichés restent la convivialité et la non-hiérarchie: « La règle [...] c'est que l'usager est reçu par celui qui ouvre la porte, quelle que soit sa fonction dans l'équipe (médecin, éducateur ou assistante sociale) ». Enfin, les intervenants du Centre privilégient au rendez-vous médical une rencontre plus informelle reposant sur une certaine convivialité qui permet de développer entre l'équipe thérapeutique et le toxicomane un rapport plus confiant. Les CSST français remplissent une pluralité d'objectifs, ceux ci étaient néanmoins auparavant davantage d'ordre rééducatif que médical. Le décret du 29 juin 1992, qui leur a donné une existence administrative, attribuait à ces structures pour mission d'assurer « la prise en charge médico-psychologique » et/ou « une prise en charge sociale et éducative »1007(*). Les prestations assurées par les centres de soins en ambulatoire sont très diverses : ils proposent des consultations, des suivis psychologiques, des accompagnements socio-éducatifs, ils prennent en charge les sevrages ambulatoires et ils ont développé ces dernières années des possibilités de traitements de substitution. Ces attributions traduisent bien l'état de la question de la toxicomanie il y a dix ans : la prise en charge globale comprenant la dimension médicale n'était pas réellement définie, et le conventionnement était tout à fait possible pour une structure qui ne faisait que de l'accompagnement socio-éducatif. Les missions des centres spécialisés, missions définies avant le début du développement des traitements de substitution, restaient par conséquent ambiguës et elles ne permettaient pas de fixer clairement leurs responsabilités et leurs obligations en la matière. Le fait que des structures aient été conventionnées en tant que centres de soins alors qu'elles étaient nombreuses à être dépourvues de tout soin médical traduit bien cette ambiguïté. La multiplication des CSST ne signifie dès lors pas une multiplication des centres de prescription de la méthadone. Ainsi sur 198 CSST existant1008(*), 143 prescrivent et dispensent de la méthadone, soit 72 %. Cela signifie également que 20 % des départements n'ont aucun lieu de primo-prescription, 8 départements n'ont aucun CSST ambulatoire1009(*) et 11 départements ont des CSST non prescripteurs1010(*). Les demandes de traitement dans les CSST ont concerné environ 30 000 personnes en 1999. Les CSST sont à présent ouverts en grande majorité à la prise en charge de patients sous traitements de substitution1011(*). Mais leur place effective au sein des réseaux est variable : parfois déterminante, parfois très marginale. Enfin, on doit noter que la procédure d'accréditation des CSST a été modifiée par la nouvelle loi médico-sociale du 2/01/2002. Ceux ci sont dorénavant considérés comme des centres d'accompagnement, de soin et de prévention en addictologie. La prévention est désormais rentrée de plein droit dans leur champ d'intervention. Les services de soin spécialisés répondent, comme il a été établi, à une pluralité d'objectifs, qui sont fonction des orientations adoptées par les dispositifs de prise en charge de la toxicomanie. Le système français a accordé pendant longtemps la priorité à une approche démédicalisée qui reposait fortement sur la psychothérapie. La réduction des risques a cependant permis de renouveler le dispositif en imposant les traitements de substitution comme un instrument de soin nécessaire. Le système de soin spécialisé italien va connaître une évolution similaire. Le manque d'investissement des pouvoirs publics va cependant engendrer de nombreuses inégalités. * 1005 Courty P., Le travail avec les usagers des drogues, op.cit., pp.13-14. * 1006 Décret n°92-590 du 29 juin 1992 relatif aux centres spécialisés de soins aux toxicomanes. Ministère de la Santé et de l'Action humanitaire, Ministère de la Justice, Ministère du Budget, Journal officiel du 2 juillet 1992. * 1007 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, Rapport réalisé à la demande de Bernard Kouchner Ministre Délégué à la Santé, 87p. * 1008 Selon la MILDT, on recensait en 1999, cent quatre-vingt-dix centres ambulatoires et cinquante-six permanences d'accueil. MILDT, 1999, op.cit., p. 77. * 1009 Ariège, Cantal, Creuse, Gers, Haute Loire, Haute Marne, Nièvre, Hautes Pyrénées. * 1010 Aisne, Hautes Alpes, Cher, Corrèze, Côtes d'Armor, Indre, Jura, Loir et Cher, Manche, Orne, Territoire de Belfort. * 1011 Lacoste M., « Enquête nationale ANIT, Centres spécialisés de soins avec hébergements et substitution : résultats », Interventions, 1999, 68 ; pp.38-45. |
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