Les Etats face aux Droguespar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002 |
2.2 Le dispositif de soin spécialiséLa constitution d'un dispositif de prise en charge de la toxicomanie spécialisé est un trait commun à la plupart des pays européens. Ce phénomène correspond à la reconnaissance au cours des années soixante-dix d'un problème spécifique ne pouvant plus être traité au sein du système sanitaire de droit commun. Le processus d'autonomisation et de spécialisation du champ de la toxicomanie a d'ailleurs été mis en évidence pour le cas français. Les services de soin spécialisé répondent à certains principes similaires. Ils se sont développés cependant de façons très distinctes, notamment au point de vue de leurs objectifs, en fonction des cultures thérapeutiques propres à chaque pays. 2.2.1 La diversité des services de soin spécialisé2.2.1.1 Nature et fonction des services spécialisésLes services spécialisés en soin de la toxicomanie se caractérisent avant tout par la présence d'une équipe thérapeutique fortement organisée. L'équipe thérapeutique est constituée d'une pluralité de membres auxquels est confié un ensemble de tâches à accomplir : le médecin, l'assistant social, l'éducateur, l'assistant sanitaire et l'infirmière professionnelle998(*). n Le médecin est chargé de l'éducation sanitaire, du bilan de santé, des thérapies pharmacologiques de substitution et de désintoxication et des contacts avec les médecins de famille et les service hospitaliers. Il est de façon générale impliqué dans le soin du patient mais aussi dans le rapport humain qui est établi avec celui-ci. Enfin, et surtout, le médecin est le seul responsable dans la certification de l'état de toxicomanie du patient. n L'assistant social effectue les visites à domicile, le recueil de données personnelles sur le milieu social du toxicomane ; il maintient les relations avec les communautés thérapeutiques et les toxicomanes en prison. L'assistant social est chargé en outre de proposer des offres de travail et toutes les possibilités d'amélioration des conditions d'existence des patients pris en charge, afin notamment de faciliter leur réinsertion sociale. n L'éducateur gère les activités de groupe avec les patients, l'accompagnement hospitalier, les activités sportives et culturelles. Il est également compétent en matière d'innovation et d'expérimentation de nouvelles activités pouvant faciliter la thérapie. n L'assistant sanitaire est responsable de l'aide en ce qui concerne les pathologies liées à la toxicomanie, assiste le médecin au cours des désintoxications ambulatoires et à domicile, effectue des entretiens d'éducation sanitaire. L'assistant sanitaire est compétent en matière de protection de la santé, notamment en matière de maladies secondaires. n L'infirmière professionnelle assiste le médecin dans ses compétences, participe aux activités d'assistance domiciliaire, de désintoxication et d'éducation sanitaire. L'infirmière a un rôle relationnel et de médiation au cours des activités thérapeutiques, elle est l'occasion d'effectuer un lien entre les différentes activités du service. L'équipe thérapeutique est composée d'une pluralité d'acteurs. Elle se présente toutefois au toxicomane comme un seul et même interlocuteur. C'est pourquoi, le facteur d'efficience de d'une intervention reste la cohérence de l'équipe thérapeutique. Chaque groupe professionnel se caractérise par un savoir mais également par un ensemble de valeurs spécifiques. Ces valeurs orientent les choix thérapeutiques de l'équipe dans le soin de la toxicomanie. La psychologisation du soin de la toxicomanie en France, par exemple, a rendu difficile l'usage des traitements de substitution. Nizzoli décrit l'équipe thérapeutique comme une « machine orientée psychothérapeutiquement » qui nécessite un projet unitaire partagé par tous les membres de l'équipe. Cette condition est parfois, selon Orsenigo, difficilement réalisable au sein des services spécialisés, notamment les Sert en Italie999(*). Tandis que la diversité des professions représentées au sein des services spécialisés constitue un avantage précieux de leur travail, elle rend difficile l'élaboration d'une considération commune de l'intervention thérapeutique. Celle-ci est pourtant la condition nécessaire à un soin efficace. Outre les fonctions thérapeutiques et celles d'ordre purement interne, d'autres services doivent être accomplis au sein même d'une structure thérapeutique1000(*). Un travail de relations publiques est indispensable à plusieurs titres. Tout d'abord parce qu'un centre de thérapie des toxicomanies est en relation directe avec les habitants de la commune/quartier où il se situe, tout particulièrement les Sert italiens qui correspondent à une zone géographique délimitée. Ainsi une mauvaise image du centre peut avoir des retombées négatives sur le fonctionnement de celui-ci, comme par exemple le fait d'avoir moins de patients intéressés par les services offerts. C'est pourquoi il est nécessaire de développer des contacts aussi bien auprès des associations locales qu'auprès des médias. De plus les relations institutionnelles sont de première importance. Les centres ont des relations quotidiennes avec les municipalités, la Région, la magistrature, la Préfecture, mais aussi les écoles ou les prisons. Ces liens entretenus avec les autorités publiques présupposent non seulement une connaissance de leur fonctionnement mais aussi un rapport individualisé par le biais d'un ou plusieurs opérateurs servant de référents institutionnels. Enfin les interventions de prévention constituent fréquemment l'une des activités potentielles des services spécialisés. Celles-ci sont en pratique très souvent négligées des professionnels de la toxicomanie qui ont des formations plus centrées sur la thérapie. Le soin de la toxicomanie est perçu comme une priorité de l'intervention. Ce manque d'implication des spécialistes a empêché pendant longtemps de développer une culture de la prévention. C'est le cas par exemple de la France où la distribution de seringues a été considérée initialement comme contraire à la mission de soin des centres spécialisés, ce qui a retardé sa mise en application. « Nous estimons que les centres de soins spécialisés pour toxicomanes ne doivent pas se cantonner à la prise en charge des seules personnes dépendantes. Ils doivent également être un lieu d'information, d'accueil et d'orientation des adolescents et des familles confrontés aux usages naissants et parfois à risque de substances psychoactives »1001(*) En Italie, Roberto Gatti remarque que cette activité de prévention se heurte à plusieurs obstacles1002(*). Les Sert ne sont tout d'abord pas contraints par la loi de s'occuper de prévention. Mais surtout, ils ne présentent pas les caractéristiques suffisantes pour opérer dans le champ de la prévention. Les Sert comportent un ensemble de points faibles qui rendent difficilement réalisable une activité de prévention : ils ne sont pas dotés de fonds suffisants afin de réaliser des programmes de communication publique, le personnel est tout juste assez important pour mener à bien les programmes thérapeutiques, la formation des opérateurs est plus orientée vers la thérapie que la prévention. Les services spécialisés ne sont par conséquent pas suffisamment adaptés et consolidés afin de réaliser une véritable action de prévention. En revanche, Roberto Gatti observe qu'ils peuvent participer à la prévention de façon indirecte : le bon fonctionnement d'un service et son image peuvent avoir des retombées positives au niveau de la prévention. Il est nécessaire pour cela de faire connaître l'activité du service à la population locale à travers des assemblées publiques, et le rôle des élus ou des média locaux. La prévention requiert également de s'efforcer à connaître la réalité locale de l'école, d'entretenir des relations avec les associations et groupes de volontaires locaux, d'organiser des expériences de découverte et d'information des activités du centre à de petits groupes spécifiques (parents, cercles culturels, élèves d'une classe), ce type d'expérience pouvant être répété et développé à une plus grande échelle comme par le biais de séminaire de formation. Il existe une pluralité de moyens à la disposition des services spécialisés pouvant contribuer utilement au travail de prévention. Les activités de prévention et de soin de la toxicomanie ne peuvent ainsi pas être séparées. Les services spécialisés possèdent en matière de toxicomanie une pluralité de fonctions plus ou moins grandes selon les dispositifs nationaux. Les services spécialisés français ont bénéficié d'un monopole en matière de soin de la toxicomanie. L'ancien dispositif de prise en charge hospitalier a cédé la place aux centres spécialisés pour toxicomanes qui ont été créés suite à la loi du 30 décembre 19701003(*). Le législateur a, de fait, instauré un système d'exception qui a contribué à entretenir l'idée que seuls des spécialistes et des structures hors du droit commun pouvaient aider les « drogués »1004(*). Ce dispositif se caractérisait par une forte prévalence de l'approche psychothérapeutique et par une très faible médicalisation. La méthadone resta inutilisée jusqu'à la moitié des années quatre-vingt -dix. Les Centres de Soins Spécialisés de la Toxicomanie vont cependant marquer une tentative d'inverser cette tendance. * 998 Marco Orsenigo, Tra clinica e controllo sociale. Il lavoro psicologico nei servizi per tossicodipendenti, op.cit., pp.81-82. * 999 Marco Orsenigo, Tra clinica e controllo sociale. Il lavoro psicologico nei servizi per tossicodipendenti, op.cit., p.80. * 1000 Gatti R.C., Lavorare con i tossicodipendenti. Manuale per gli operatori del servizio pubblico, op.cit., p.93. * 1001 Courty P., Le travail avec les usagers des drogues, op.cit., p.117. * 1002 Gatti R.C., Lavorare con i tossicodipendenti. Manuale per gli operatori del servizio pubblico, op.cit., pp.112-113. * 1003 Les centres spécialisés naissent d'une circulaire de 1972, signée par Robert Boulin, minsitre de la Santé. Circulaire DGS/591/MS1 du 29 mars 1972 relative à l'organisation sanitaire de la toxicomanie. Bergeron H., L'Etat et la toxicomanie, histoire d'une singularité française, op.cit., p.39. * 1004 Augé-Caumon M-J., Bloch-Lainé J-F., Lowenstein W., Morel A., L'accès à la méthadone en France. Bilan et recommandations, op.cit., 87p. |
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