Les Etats face aux Droguespar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002 |
1.2.1.2 Les modèles de prévention : l'information, l'éducation et la promotionQuatre modes de prévention se sont succédés dans les politiques publiques : l'information et l'éducation qui malgré leurs changements sont restés les basiques de la prévention, la promotion qui s'est affirmée peu à peu et la réduction des risques depuis peu775(*). L'information a été, et continue parfois à être, le mode privilégié de prévention. Il peut être utilisé dans le cadre d'une prévention primaire. Il s'agit de mettre en garde les non-consommateurs des effets nocifs des substances sur les dangers encourus par l'usage de drogues illicites. Ce mode de prévention a toutefois été très fortement remis en cause ces dix dernières années notamment par les intervenants du secteur de la toxicomanie. Ceux-ci considèrent que l'information ne serait pas un type de prévention adéquat, d'une part car il n'a pas un rapport causal direct avec l'action, et d'autre parce que l'information peut avoir des effets contre-productifs comme par exemple en apportant à quelqu'un des informations qui lui étaient jusqu'alors inconnues776(*). Une recherche du département de Psychologie de l'Université de Cagliari (Italie) a mis en évidence que 89,7% des consommateurs de drogues connaissaient au moment de leur héroïnomanie les effets de cette drogue777(*). Il est dans ses conditions difficile d'imputer le comportement d'un toxicomane à son manque d'information sur les substances. « L'information ne change pas nécessairement (et ni fréquemment) les orientations axiologiques, les motivations de l'action individuelle, les attentes, les observations des risques et des dangers, et lorsqu'il les change, la direction du changement est complètement imprévisible [...] C'est pour cela que l'information est toujours et nécessairement une stratégie inefficace de prévention, utilisable seulement lorsqu'il n'est pas possible de faire autrement, ou lorsqu'on note, dans des conditions de manques graves de connaissance, qu'il soit avantageux de la diffuser, malgré les risques d'effets contre-productifs »778(*) L'éducation, second mode de prévention, est considérée dans nos sociétés comme un moyen idéal afin d'orienter les individus et d'en faire des personnes responsables, d'où l'idée qu'une bonne éducation serait un moyen adéquat pour prévenir l'usage de drogues. L'éducation ne détermine pas l'action individuelle mais elle peut entraîner des effets contre-productifs en raison de la pression supplémentaire quelle fait peser sur la personne : « L'éducation est plus exigeante, stressante, coercitive : par conséquence, il est plus probable qu'elle soit refusée ou utilisée de façon imprévue par les éducateurs [...] l'éducation en fait catalyse la déviance, puisqu'elle met en évidence sur le plan social l'intention d'indiquer une valeur contre une autre »779(*). La promotion est un modèle de prévention qui fut introduit à la fin des années quatre-vingt et qui tend à se développer dès lors dans le secteur de la prévention primaire780(*). Le premier avantage de la promotion est de mettre en avant les capacités individuelles. C'est l'idée d'une amplification et d'un renforcement des capacités individuelles, entendu comme un développement cognitif, afin de prévenir l'usage de drogues. Cette version de la promotion est restée à l'état d'ébauche en Italie. En revanche un autre mode de promotion s'est développé, il s'agit de la promotion de la communication, c'est à dire le développement d'une communication plus adaptée à son public et qui positive et par conséquent utile. La promotion passe alors par l'information et l'éducation et s'expose aux mêmes problèmes cités auparavant. La troisième promotion possible est une promotion de la communication entendue non pas comme une éducation mais comme l'appui dans la construction de structures sociales autonomes. Le modèle de la promotion « est fondée sur le présupposé que le changement d'un système (qu'il s'agisse d'un individu ou d'un système social) ne peut pas être causé ou créé de l'extérieur. Un système est autonome et ne peut pas être déterminé, guidé ou contrôlé : l'intervention peut seulement produire des « perturbations » dont le système construit la signification, en s'auto-évoluant ou en choisissant de ne pas changer »781(*). La prévention entendue comme promotion est alors un mode de développement de l'autonomie des individus. Elle n'a pas pour but de s'attaquer directement aux problèmes (comme les drogues). La promotion est un processus global qui s'oriente vers le problème général du malaise et qui constitue en cela une prévention indirecte de la toxicomanie. Toutes les interventions de promotion exercent un effet indirect de prévention par le fait de responsabiliser les personnes. En revanche, seules certaines interventions peuvent avoir des conséquences directes sur la prévention de l'usage de drogues, comme par exemple la promotion de groupes de jeunes782(*). On peut citer comme exemple de politique de prévention fondée sur la promotion, le plan espagnol de lutte contre la drogue, Plan Nacional sobre Drogas (PNSD), approuvé le 17 décembre 1999783(*). Celui ci a été élaboré par une délégation gouvernementale sur la base d'un travail d'expertise approfondi afin de mieux connaître la situation de la consommation de drogue et d'identifier les facteurs de risque. Le PNSD espagnol repose avant tout sur la promotion de la prévention, entendue comme l'éducation de valeurs, de compétences et d'habilités sociales à travers l'instance de la famille et de l'école. L'école s'est ainsi vue attribuée un rôle spécifique par la création d'un cours intitulé « éducation à la santé », mis en place depuis 1990, qui a pour but d'informer et de limiter la consommation de substances illégales mais aussi légales comme l'alcool et le tabac. La famille a été impliquée également dans la prévention des drogues par plusieurs campagnes nationales fondées sur le thème de la communication en famille et ayant pour but de faciliter les rapports intergénérationnels. Les stratégies de prévention développées en Espagne reposent plus sur la formation que sur l'information784(*). Cela se traduit par un travail effectué en compagnie d'éducateurs sur certaines capacités telles que la prise de décision, les capacités communicationnelles, l'autonomie, l'estime de soi, la responsabilité, les valeurs. Le PNSD prévoit également la création d'un large éventail de matériel éducatif et de prévention mis à la disposition des écoles. Le plan envisage des actions de prévention au sein des entreprises et des usines notamment en matière de drogues licites tel que le tabac et l'alcool. Enfin, autre nouveauté, le PNSD propose une formation et une information des médias afin d'obtenir un traitement plus objectif et adapté du sujet. Le plan de prévention espagnol ne se contente pas d'affirmer les points précédents comme des priorités d'action publique, il détaille également un certain nombre de buts concrets à atteindre dans une période déterminée785(*). Les instruments de la prévention sont multiples. Les actions de prévention primaire tournées vers la réduction de la consommation de drogues restent cependant largement prioritaires en comparaison de la prévention secondaire, c'est-à-dire la limitation des risques encourus par les usagers de drogues. L'épidémie de VIH/Sida va souligner l'absence de prévention effectuée dans ce second secteur. La nouvelle stratégie adoptée progressivement par les Etats va permettre de réévaluer et de mettre à jour les outils de la prévention à l'aune des nouveaux objectifs. La réduction des risques va ainsi permettre d'inaugurer un nouveau mode de prévention. * 775 Baraldi C., Rossi.E, « Le politiche di prevenzione », art.cit., p.89. * 776 « La connaissance des effets, par le biais de conférences et de films a, selon une expérience clinique fameuse, plutôt qu'arrêter, offert dans de nombreux cas une incitation vers une expérience attirante puisque déjà connue du groupe des camarades fréquentés ». Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit. * 777 Lai Guaita Maria Pia, «Prevenzione delle tossicodipendenze: un impegno per ciascuno di noi», in Lai Guaita Maria Pia (dir.), La prevenzione delle tossicodipendenze, op.cit, p.37 * 778 Baraldi C., Rossi.E, « Les politiques de prévention », art.cit., p.104 * 779 Idem., p.105 * 780 Baraldi C., Rossi.E, « Les politiques de prévention », art.cit., p.107 * 781 Ibid., p.108 * 782 Ibid., p.109 * 783 Martin Gonzales Emiliano, « La Strategia nazionale sulle droghe : Spagna 2000-2008 », in Lai Guaita Maria Pia (dir.), La prevenzione delle tossicodipendenze, op.cit, p.91 * 784 Sonia Moncada, « La prevenzione della tossicodipendenza nella Strategia nazionale sulle droghe 2000-2008 », in Lai Guaita Maria Pia (dir.), La prevenzione delle tossicodipendenze, op.cit, p.111 * 785 La Stratégie 2000-2008 établit certains objectifs à rejoindre de façon explicite : une formation des élèves à 80% dont 50% en formation continue, que 40% des programmes communautaires soient destinés aux parents en 2003 et que 50% des communautés de plus de 20.000 aient adopté un Plan local de prévention notamment tourné vers les familles. |
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