Les Etats face aux Droguespar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002 |
1.3.2 La conciliation italienne entre répression et prévention1.3.2.1 La « rupture en continuité » des politiques sanitaires italiennesIl fallut attendre pour voir se développer la stratégie de réduction des risques en Italie les années quatre-vingt-dix. Des premières expériences ont cependant eu lieu au cours des années quatre-vingt. Celles ci ont été réalisées le plus souvent à partir d'initiatives purement privées ; les premiers financements publics italiens à la réduction des risques datent de 1994. Les pouvoirs publics italiens s'étaient engagés en 1990 dans une direction fortement prohibitionniste, allant ainsi à l'encontre du retournement qui avait alors lieu en Europe en faveur de la réduction des risques. L'élément de rupture fut représenté par le succès du référendum de 1993 qui avait abrogé les sanctions pénales pour la consommation personnelle de drogue introduites dans la législation de 1990 connue sous le nom de Jervolino-Vassali. L'issue du référendum, qui allait à l'encontre de la politique adoptée jusqu'à présent, a sans nul doute permis de déclencher les premières initiatives. Le référendum fut suivi de la première Conférence gouvernementale sur les toxicomanies, qui s'ouvra à Palerme en 1993, durant laquelle le terme de réduction des risques est introduit en Italie pour la première fois416(*)416(*). C'est la ministre Fernanda Contri qui dans son introduction à la conférence se référa à la réduction des risques dans une redéfinition du rôle des Sert : « Ils doivent, affirme t-elle, devenir des structures complexes, bien intégrés au sein du système socio-sanitaire [...] en mesure d'adapter leurs propres interventions aux besoins qu'ils éprouvent, d'adapter la réponse avec les différentes typologies de toxicomanies, gérant et coordonnant les stratégies de réduction des risques, et par conséquent de la réduction de transmission du VIH, gérant de plus les projets de prévention et de récupération d'un commun accord avec le système privé pour donner un sens concret au concept de « initiatives en réseau » et définissant avec les médecins de bas les projets thérapeutiques au sein desquels doit être prévu l'administration de médicaments de substitution »417(*) La réduction des risques n'est toutefois pas présentée par les pouvoirs publics comme une rupture dans l'action politique en matière de toxicomanie. Les représentants ministériels essayent au contraire de mettre en évidence la continuité entre la législation de 1990 et la nouvelle politique. « La réduction des risques ne constitue pas un nouveau point de vue et d'intervention sur les drogues et la toxicomanie, de même que le référendum abrogatif n'inaugure pas une nouvelle vie politique. La tentative est d'introduire et de légitimer cette stratégie en soulignant les aspects de continuité, plus que d'innovation et de rupture, avec les anciennes politiques »418(*)418(*). Il s'agit pour les autorités publiques de trouver un dénominateur commun entre les différentes conceptions qui s'affrontent ; une solution qui permette la prise en compte (rendue nécessaire) de la réduction des risques tout en évitant une stratégie distincte semblable à celle du public health qui fait prévaloir la santé comme un bien-être psychosocial des individus. La réduction des risques fait, au cours de la conférence, l'objet de nombreux débats afin de distinguer les différentes voies possibles. Une commission spéciale est mise en place où se confrontent pour la première fois les tentatives expérimentales de prévention tournées vers les toxicomanes. Des associations comme Villa Maraini ou la Lilas (Lega Italiana per la lotta all'Aids), présidée par Vittorio Agnoletto, font valoir leur expérience. Giuliano Amato, un leader du centre-gauche, propose à l'occasion de la Conférence que soit adopté en Italie les pratiques développées dans le Nord de l'Europe, notamment dans les villes qui ont souscrit la déclaration de Francfort419(*). Il est également fait référence durant les débats à l'expérience suisse de l'usage thérapeutique de l'héroïne qui se positionne en totale opposition avec l'esprit de la loi Jervolino-Vassalli420(*). La réduction des risques a pour objectif, comme l'a déclaré Carlo Perucci en conclusion du groupe spécifique sur la réduction des risques, de « permettre aux toxicomanes de survivre jusqu'au moment où elles pourront sortir de la drogue »421(*). L'idée principale qui justifie cette stratégie est qu'il est « impossible de récupérer un toxicomane décédé ». Perucci prend, en revanche, des distances avec la question de la légalisation des drogues qui « n'a rien à voir avec la réduction des risques ». Au moment même où la Conférence se déroule, des responsables de communauté, dont Don Picchi et Don Mazzi, tiennent une conférence de presse contre la réduction des risques. La renonciation à punir le drogué y est décrit comme un désintérêt. Comme le résume Vincenzo Muccioli, fondateur de la plus importante communauté italienne, San Patrignano : « Si nous donnons au toxicomane sa drogue, nous acceptons sa dégradation ». Les interventions de prévention du Sida ou les traitements de méthadone sont perçus comme une stratégie de médicalisation du problème qui rend impossible un soutien psychologique et une réinsertion sociale du drogué. La Conférence de Palerme conclut à une légitimation de la réduction des risques en tant que propédeutique médicale censée permettre une intervention sociale422(*)422(*). Deux modes distincts de concevoir la réduction des risques sont délimités. Il s'agit, pour certains, d'une stratégie d'insertion sociale des consommateurs de drogue visant à contenir les risques répressifs et prohibitionnistes. Mais la réduction des risques constitue, selon d'autres, une simple série d'interventions avant tout sanitaires qui peuvent s'accompagner d'un contexte socioculturel d'« intolérance » vis-à-vis des consommateurs de drogues. Un premier progetto obiettivo « Aids », programme de lutte contre le Sida, est voté à la suite de la Conférence de Palerme pour la période de 1994-1996423(*). Il affirme la priorité de la réduction des risques pour les toxicomanes. Le plan préconise d'une part le recours massif au traitement substitutif, en régime de maintenance, dans le but de prévenir la transmission du Sida et afin d'attirer le plus grand nombre possible de toxicomanes vers les centres de prise en charge ; d'autre part le programme encourage le développement d'unités de proximité intervenant dans la rue. La réduction des risques est apparue suite à la Conférence de Palerme dans son acception sanitaire la plus stricte. L'objectif est avant tout de répondre à l'urgence sanitaire de l'épidémie de Sida chez les toxicomanes intraveineux dont l'Italie constitue l'une des principales cibles. La stratégie italienne n'a pas, en revanche, pris une direction socioculturelle à l'image des Pays-Bas ou de la Suisse. Il existe en effet de nombreuses divergences entre les différents acteurs du champ de la toxicomanie comme en témoigne la prise de position des responsables de communautés thérapeutiques. Le paradigme de la réduction des risques va continuer à s'affirmer au cours de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix sans pour autant que soit remise en question les anciennes politiques. * 7. * . 416 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.8 * 9 417 Atti della I Conferenza nazionale sulla droga , Palermo, 06/1993, Presidenza del Consiglio dei Ministri, p.21 * . * 418 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.10 * 7 419 En 1990, un réseau de villes européennes a été crée qui ont souscrit la « résolution de Francfort » où le principe de la réduction des risques est affirmé comme étant un nouvel objectif * . 420 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.10 * 6 421 Atti della I Conferenza nazionale sulla droga , Palermo, 06/1993, Presidenza del Consiglio dei Ministri, p.78 * 7. * 422 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.108 * . 423 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit.,p.12 |
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