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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.2.2 Les modèles culturels du nouveau paradigme

1.2.2.1 La culture hollandaise de la réduction des risques

Les Pays-Bas ont été amenés à développer une politique publique originale du fait qu'ils ont été particulièrement touchés par le problème des drogues, d'une manière plus dramatique et plus précoce que les autres pays européens. Le cannabis commence à se diffuser parmi les jeunes aux cours des années 60, mais l'introduction massive de drogue aux Pays-Bas remonte, comme l'explique Grazia Zuffa, à 1974, date de l'indépendance de la colonie du Surinam dont les habitants purent alors choisirent leur citoyenneté : 40% optèrent pour la nationalité hollandaise346(*)346(*). Cette population connût de nombreuses difficultés d'intégration et l'usage de l'héroïne se développa massivement parmi celle-ci. L'héroïne s'est ensuite rapidement élargie à la population blanche la plus marginalisée qui était déjà concernée par les problèmes d'alcoolisme. La progression des héroïnomanes s'effectua alors de manière continue : Amsterdam compte 500 héroïnomanes en 1974, le quadruple en 1976, 6 000 en 1979 et entre 12 000 et 14 000 en 1983.

Le phénomène hollandais est le résultat d'une conjonction entre les facteurs « immigration », « marginalité » et « toxicomanie ». L'Etat hollandais a toutefois su réagir de façon adaptée à la situation en prenant en compte chacun des facteurs cités. Actuellement, le nombre d'héroïnomanes est redescendu à 6 000 dont 85% entretiennent une relation régulière avec les services sanitaires. Un tel résultat s'explique, selon Grazia Zuffa, par les politiques mises en place par les pouvoirs publics, dont notamment une politique de prévention dirigée vers la population la plus à risque, qui prît le nom de « Nouvelles perspectives pour les jeunes marginaux »347(*). Elle s'est traduite par exemple par la création d'opportunités d'instruction et de travail qui sont considérées comme la meilleure forme de prévention contre les substances.

La principale mesure adoptée par les Pays Bas reste cependant la distinction opérée entre les drogues douces et les drogues dures348(*). Parmi les premières a été classé essentiellement le cannabis, tandis que parmi les secondes figurent l'ecstasy, l'héroïne et la cocaïne. La distinction remonte aux travaux remis par deux commissions instituées en 1968 afin de mettre à jour les causes de l'usage de drogues et les réponses à y apporter. Le premier rapport, dit Hulsman du nom de son président, affirme : « L'aspect principal est le fait que les drogues ne soient pas considérées uniquement sous l'aspect pharmacologique, puisque celui ci ne peut pas rendre compte de la complexité du rapport des individus et des groupes avec les substances ». Les risques ne sont ainsi pas uniquement évalués en rapport avec la substance mais avec les différents types de consommation, selon le modèle relationnel/comportemental qui a été décrit précédemment.

La commission établit que les drogues présentent un risque lors du passage d'un usage modéré à un usage intensif caractérisé par la dépendance. Le rapport Hulsman considère également qu'il est possible de réaliser un usage contrôlé des drogues illicites qui ne soit un dommage ni pour l'individu ni pour la société : cette affirmation constitue encore aujourd'hui, comme le note Grazia Zuffa, un principe clef dans la politique de réduction des risques349(*)349(*). L'idée qu'il puisse exister des modèles de consommation (intégrés à des sous-cultures) dans lesquels l'usage de drogue, contrôlé aussi bien dans la quantité que la qualité, constitue un moment récréatif, est reconnue pour la première fois en Europe.

C'est de là que Hulsman développe sa principale idée : si les substances sont considérées comme étant également dangereuses, il se créé alors un risque que les types de consommateurs (et à fortiori les sous-cultures) tendent à se rapprocher. Comme le résume Grazia Zuffa, « l'idée est qu'un type de consommateur (par exemple d'héroïne) peut influencer un autre type de consommateur (par exemple de cannabis) si les deux types de consommation sont « assimilés» de manière forcée dans une seule et unique sous culture marginalisée, lorsque les marchés des deux drogues coexistent dans la même zone criminelle ». Un rapport de 1997 qui prend acte que les substances « sont parmi nous et y resteront » rend également compte du passage des drogues douces aux drogues dures par le marché des substances : c'est la proximité du vendeur et du consommateur qui incite à changer de substances. Ces considérations ont servi de fondement à la séparation des marchés entre les drogues douces et les drogues dures. Le gouvernement a donc souhaité séparer les deux marchés en légalisant celui des drogues douces.

Cette distinction a conduit à l'ouverture de lieux réglementés, les coffe shops, dans lesquels il est possible d'acquérir du cannabis350(*). Les conditions des coffe shops ont été codifiées de sorte à ce qu'ils soient ouverts aux personnes de plus de 18 ans et répondent à un ensemble de critères formulés sous le sigle Ahoy-g : la première lettre symbolise le no advertising, pas de publicité, la seconde indique que les drogues dures sont interdites (hard), le O (obstruction) met en garde contre le désordre publique, le Y (young) rappelle la limite d'âge, le G (great quantities) signale que ce ne sont jamais de Grandes quantités mais seulement de petites doses de cannabis qui peuvent être vendues, 5 grammes exactement. Chaque coffe shop ne peut pas détenir une quantité destinée à la revente supérieure à 500 grammes. On dénombre entre 1200 et 1500 de ces locaux dans le pays.

L'argument d'une séparation des marchés apparaît trop simpliste à Grazia Zuffa pour justifier la vente de cannabis dans les coffee shop : les consommateurs seraient ainsi mis à l'abris d'un éventuel passage aux drogues dures qui sont souvent associées aux drogues douces au sein des marchés illégaux351(*). « L'originalité de la proposition de Hulsman n'est pas tant dans l'idée de séparation des marchés que dans la mise en évidence des risques de la réponse pénale vers la marginalisation des sous-cultures des drogues : si les consommateurs sont poussés vers des modes de vie marginaux, le développement d'une structure de vie socialement intégrée facilite la prévention des modèles de consommation « durs ». La commission conclut que la seule réponse possible au problème des substances passe par la « décriminalisation totale ».

L'autre rapport publié en 1968 et présidé par Pieter Baan aboutit à des conclusions similaires. Il introduit également le concept de drogues à « risques acceptables » (comme le cannabis) et de drogues à « risques inacceptables » (comme l'héroïne) pour lesquelles il est recommandé de suspendre les poursuites pénales mais de continuer la répression du trafic. Ces deux rapports ont apporté, comme le souligne Grazia Zuffa, une « base de théorie sociologique à la politique de décriminalisation de la drogue utilisée par la plus grande majorité des consommateurs  (le cannabis) ». Il s'agissait de réintégrer les sous-cultures juvéniles liées à la consommation de cannabis dans la légalité. L'Opium law de 1976, s'inspirant des commissions Huslman et Baan, visait ainsi à éviter tant que possible que les consommateurs de cannabis puissent être incarcérés. D'autres mesures furent adoptées par le gouvernement hollandais dans le cadre de la prévention des risques telle que l'introduction de la méthadone en 1981 ou encore les programmes d'échange de seringues entrepris en 1984 afin de prévenir l'hépatite puis le Sida. Les centres d'échange de seringues ont ainsi contribué à la politique de prévention. Le centre De Regenboog figure parmi l'un des plus importants à Amsterdam, il a permis en 1995 d'échanger 50 000 seringues en une année352(*). En outre, 90% des seringues distribuées sont récupérées après usage évitant ainsi qu'elles puissent se répandre sur la voie publique.

La politique hollandaise, estime Grazia Zuffa, est un des meilleurs exemples de politique de réduction des risques. Elle ne s'est pas, en effet, contentée d'adopter un ensemble de mesures afin d'assurer l'amélioration des conditions sanitaires sociales des toxicomanes. Elle a su adapter sa législation aux évolutions requises par la réduction des risques. Le traitement social et sanitaire de la toxicomanie a été lié à une considération non-prohibitionniste de l'usage de drogues, à l'inverse du modèle du « toxicomane/malade/délinquant ». La politique hollandaise vise à traiter la toxicomanie avant tout par des mesures sociales en évitant une pénalisation et une criminalisation/marginalisation du phénomène.

Les Pays-Bas constituent sans nul doute un pays précurseur de la réduction des risques. Celle-ci a bénéficié de conditions favorables qui rendent compte de son succès. En effet, la législation hollandaise ne présentait pas un long passé prohibitionniste à l'exemple du reste de l'Europe. La Suisse a, en revanche, adopté une politique répressive sur le modèle prohibitionniste jusqu'à la fin des années quatre-vingt. Face à l'inefficacité des précédentes mesures, l'adoption de la réduction des risques s'est alors rapidement imposée comme une transformation nécessaire. Celle-ci fut mise en place avec succès et représente un modèle pour l'ensemble des gouvernements européens.

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* 346 Ibid., p.63.

* 347 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.64

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348 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, p.110

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* 349 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.65.

* 350 Cependant, les coffee shops n'étaient pas exemptes de contradiction comme le note lors d'un entretien un brigadier hollandais : « Le problème est l'approvisionnement des gérants [des coffee shops] sur le marché clandestin. Le propriétaire du magasin peut détenir le cannabis dans le local, mais si nous l'attrapons alors qu'il achète ou revend les fameux 500 grammes dans le coffe shop, il est paradoxalement dans une situation illégale » avant d'ajouter « la légalisation est nécessaire si nous voulons que les coffee shops n'aient plus aucun rapport avec les trafiquants et pour éviter que les gérants réinvestissent leurs profits dans le marché noir ». L'approvisionnement légal des coffee shop a été résolu par une motion du parlement hollandais adressée au gouvernement en juin 2000.

* 351 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.60.

* 352 Ce centre propose aussi d'autres services tels que des douches ou des laveries automatiques, une assistance nocturne en période de grand froid (les températures peuvent atteindre moins 20° en hiver) et une unité mobile de proximité. Cf., Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit.,p.64

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