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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.1.1.2 De l'hédonisme à la toxicomanie

A partir du milieu du 19ème siècle, l'usage de la morphine se généralise et dépasse les classes sociales aisées. Elle se répand dans les couches les plus défavorisées de la société. C'est à cette époque que le terme de « stupéfiant » intègre les dictionnaires et les encyclopédies35(*). Le constat des complications engendrées par une consommation régulière commença à préoccuper une partie de la population et du corps médical36(*). En 1874, la « société pour la suppression du commerce de l'opium » voit le jour en Angleterre. En France, des ouvrages qui dénoncent les dangers des substances psychoactives sont publiés (Levinstein en 1877, Guimbail en 189137(*)). De nombreux romans critiquent la déchéance du drogué. Un phénomène nouveau apparaît dont la désignation emprunte autant à la médecine qu'à la morale : morphinisme, morphinomanie, cocaïnomanie, cocaïnisme, etc. Le terme de toxicomane est introduit en 1885 par Regnard. Les médecins spécialisés commencent alors à débattre des modalités de traitement : sevrage brusque, rapide ou lent avec le recours ou non à d'autres substances psychoactives telle que la codéine ou l'alcool.

Une nouvelle explication du développement des substances émerge au début du vingtième siècle : il s'agirait d'une épidémie menaçant l'ensemble de la société38(*). Le toxicomane est décrit alors par un médecin comme un « malade dangereusement contagieux, contre lequel les mesures les plus sévères doivent être prises, aussi bien dans son propre intérêt que dans celui de la société »39(*). Certains médecins prônent une loi répressive afin d'endiguer les « toxiendémies » qui menacent la civilisation. Les hygiénistes décrivent trois épidémies d'abus de drogues qui ont eu lieu en France40(*) : la morphinomanie de 1880 à 1900, l'opiomanie à partir du début du 20ème siècle puis la cocaïnomanie qui se développe considérablement au début du vingtième siècle et qui supplante la morphine et l'héroïne en France juste avant la guerre de 1914. La cocaïne symbolise l'arrivée massive de la drogue dans le monde de la rue.

La seconde moitié du 20ème siècle représente la diffusion massive de substances psychoactives. Le passage des années 50, ou très peu ont recours aux « stupéfiants » à une période à laquelle beaucoup auront recours aux drogues correspond à une période de bien être social et à un mode de production et de consommation élevée. La première apparition des substances a cependant eu lieu à travers le biais légal. En Italie, en Suède, en Grande Bretagne et en France la consommation de substances psychoactives est liée au développement des médicaments comme les tranquillisants, les amphétamines, les analgisants qui venaient régulièrement prescrites et distribuées dans les pharmacies. Il s'agissait de substances légales dotées d'un fort pouvoir de dépendance. Les amphétamines étaient déjà utilisées durant la Seconde guerre mondiale, tandis que Albert Hoffman décrit en 1943 les effets de l'acide lysergique, connu sous le nom de LSD.

Certaines dépendances induites par ces médicaments ont été d'autant plus fortes par exemple que les amphétamines (dont le commerce a été interdit en 1944 en Suède, en 1972 en Italie) étaient fréquemment injectées par voie veineuse. Luigi Cancrini note que ceci a probablement contribué à constituer un premier groupe de personnes « dépendantes », qui, une fois fermée la porte des amphétamines, se sont dirigées d'autant plus facilement vers les substances « dures » intraveineuses41(*). Il ne s'agit pas ici de critiquer les substances appelées communément antidépresseurs, qui constituent une grande découverte médicale, mais de souligner les erreurs qui ont accompagné leur usage42(*). La première consiste dans la très forte prescription de ces nouveaux médicaments et ce dans de nombreuses circonstances (sommeil, anxiété, régimes amincissants, etc.). La seconde a été la très forte pression des industries pharmaceutiques face à la faiblesse des institutions politiques.

La diffusion des drogues est également à mettre en lien avec un phénomène culturel43(*). Au cours des années soixante, Timothy Leary, un jeune docteur en psychologie de l'université de Harvard, travaille sur les effets du LSD 25 et publie L'expérience psychédélique qui connaît un succès foudroyant. Les premières communautés hippies s'installent en 1966 sur les hauteurs de San Francisco et les Etats-Unis connaissent dès 1967, une extension rapide de l'usage de drogue. Celle-ci atteint rapidement les couches sociales les plus pauvres, telles que les communautés portoricaines et les afro-américaines.

Les pays européens (Grande Bretagne, Pays Bas, France, Allemagne, Italie), où l'usage de substances psychoactives était avant tout le fait de quelques élites, de petits cercles restreints, pas nécessairement jeunes, bien que moins touchés que les Etats-Unis, connaissent les retombées de ce phénomène44(*). Le mouvement hippie accélère l'élargissement des drogues grâce à l'installation de communautés qui pratiquent un usage important des drogues. Les jeunes appartenant à la contre-culture underground, qui s'est développée durant les années soixante dans de nombreux pays européens, a été une des principales cibles des substances45(*). Ces groupes deviennent plus visibles au début des années soixante-dix, à travers certaines publications tel que « Re nudo » en Italie reprenant à son compte le message contestataire américain. L'orientation favorable en faveur des drogues s'explique par le besoin de prendre des distances avec une réalité sociale et culturelle trop rigide. « L'élévation de l'esprit » est fréquemment invoquée comme motif au sein de ces communautés. Leur consommation se tourne uniquement vers des drogues plus « douces » tels que la marijuana, le haschich et le Lsd et laissera à part l'héroïne. La drogue s'élargit progressivement aux populations en difficulté et ne se limite plus dès lors à certaines classes sociales. Le « temps des fleurs » prend cependant très rapidement fin et le cannabis cède la place aux drogues dures telles que la cocaïne ou encore l'héroïne. Ainsi, de 1969 à 1971, le nombre d'interpellations pour usage ou trafic d'héroïne passe en France de 210 à 98246(*).

« Au sein des structures et des centres de récupération on rencontre encore parfois quelques représentants de cette génération de jeunes, dont beaucoup sont heureusement sortis de la drogue et dont d'autres sont morts : des toxicomanes historiques, ou militants ou alternatifs, avec parfois vingt ou vingt cinq années de dépendance derrière eux, qui sont passés, entre temps, des hallucinogènes aux opiacés et à la cocaïne . Ils sont reconnaissables par les mots avec lesquels ils justifient l'origine de leur rapport avec les substances (« c'était un mode de refuser le système, parfois violent », « alors nous avions des idées »), ils souffrent de dépression, ils manifestent un comportement tout à la fois détaché et pugnace, bien différent de celui des toxicomanes de la phase successive »47(*)

Luigi Cancrini a mis en évidence que l'arrivée massive d'opiacées (morphine puis héroïne) au début des années soixante-dix constituent une étape décisive dans la diffusion des substances psychoactives en Italie. Celle-ci a lieu légèrement plus tard qu'en France. La première mort par overdose est signalée en 1973. Les drogues légères sont alors progressivement remplacées par l'héroïne. Le développement d'une clientèle se fit à partir de 1973/1974. C'est seulement ensuite que des structures organisées comme la mafia vont s'emparer des réseaux de distribution tout en continuant à avoir recours aux petits revendeurs. La période 1976-1977 marque la fin de la distinction entre les groupes alternatifs et les jeunes de banlieue. Le phénomène se développe et le groupe des consommateurs s'étend en direction des périphéries.

Les années quatre-vingt ne présentent, mis à part une forte croissance des personnes usant de substances, qu'une seule nouveauté : l'augmentation de la consommation de la cocaïne qui semble pendant un temps devancer l'usage d'héroïne. La cause de cette préférence est simple : après la découverte du syndrome d'immunodéficience, le Sida, et de son virus, le VIH, transmis à travers les rapports sexuels ou par voie sanguine. Les consommateurs s'éloignent de l'héroïne, injectée par voie intra veineuse, et optent pour une substance qui puisse être absorbée par voie nasale. Toutefois ce changement reste limité aux consommateurs les plus aisés en raison du prix plus élevé de la cocaïne.

Un autre facteur de l'évolution des consommations, et de la diminution de l'héroïne, est selon Pascal Courty48(*) la situation économique des ménages qui va considérablement se détériorer au cours des années quatre-vingt tandis que les substances sont dotées d'une très forte rigidité des prix (le prix moyen de l'héroïne revient à 1000 francs le gramme qui correspond à la dose journalière moyenne). L'alcool fait ainsi son apparition au début des années quatre-vingt comme substitut aux substances. De nombreux médicaments vont également être détournés de leur utilisation tels que les sirops antitussifs ou les tranquillisants comme les benzodiazépines. Les années quatre-vingt-dix se caractérisent enfin par l'apparition de nouveaux modes de consommation des drogues synthétiques (LSD, amphétamines, etc.) et par le développement du cannabis qui a fortement contribué à aggraver la consommation de substances des plus jeunes.

L'extension des drogues en Europe peut se résumer en un plan linéaire en 4 phases, similaire à celui que Ravenna utilise pour analyser le développement de la drogue en Italie49(*): une première phase de diffusion des années 60 aux années 70, une seconde marquée par la diffusion d'héroïne des années 70 aux années 80, puis une phase d'expansion du marché de la cocaïne des années 80 aux années 90, et enfin l'apparition des drogues synthétiques des années 90 jusqu'à aujourd'hui. Chaque phase serait caractérisée, selon Ravenna, non seulement par la prédominance d'une substance mais, surtout, par un nouveau mode de consommation qui viendrait se rajouter aux précédents.

L'usage de substances psychoactives, appelées drogues, est un phénomène concomitant aux sociétés humaines. En revanche, l'image du toxicomane est un concept social puisqu'elle caractérise une étape spécifique de l'histoire des drogues qui a profondément évoluée au cours de l'histoire. Cette distinction entre l'usage de substances et le toxicomane révèle l'impossibilité de rendre conte du concept de toxicomane uniquement à partir des substances psychoactives. Ainsi, comme le rappelle Simone Piccone Stella : « L'histoire des toxicomanies ne saurait se résumer à celle des drogues. Il faut dès lors s'interroger sur la construction sociale de la « maladie »50(*). L'analyse de cette construction sociale suppose de considérer quelles ont été les représentations sociales du consommateur de drogues et selon quels processus celui ci est devenu toxicomane.

* 35 Charras Igor., « L'Etat et les « stupéfiants » : archéologie d'une politique publique répressive », Les cahiers de la sécurité intérieure, n°32, 2ème trimestre 1998, p.8.

* 36 Morel A.(dir.), Prévenir les toxicomanies, op.cit., p.10

* 37 Guimabail H., Les morphinomanes, Paris, Baillière et fils en 1891

* 38 Morel A.(dir.), Prévenir les toxicomanies, op.cit., p.15

* 39 Maier H.W., La cocaïne, Paris, Payot, 1928.

* 40 Coppel A., «Epidémies de drogues et lutte contre la toxicomanie. Approche historique», in. Guffens Jean-Marie, Toxicomanie, Hépatites, Sida, Synthélabo, coll. « Les empêcheurs de tourner en rond », 1994, pp.39-46.

* 41 Cancrini L. Quei temerari sulle macchine volanti. Studio sulle terapie dei tossicomani, NIS, Rome, 1982.

* 42 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit, p.23.

* 43 Cf., Angel P., Richard D., Valleur M, « Contexte, Drogues et Société », in Angel P., Richard D.,Valleur.M, Toxicomanies, op.cit, p.12.

* 44 Courty Pascal, Le travail avec les usagers des drogues. Pour une approche humaine des soins, Ed. ASH, Paris 2001, 138.p.

* 45 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit, p.25.

* 46 Cf., Angel P., Richard D., Valleur M, « Contexte, Drogues et Société », in Angel P., Richard D.,Valleur.M, Toxicomanies, op.cit, p.13.

* 47 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.26.

* 48 Courty P., Le travail avec les usagers des drogues, op.cit.,.22.

* 49 Ravenna M., Psicologia delle tossicodipendenze, Il Mulino, Bologna, 1997.

* 50 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit, p.25.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984