Paragraphe 2 : le fondement lié au
déséquilibre entre la caution et le créancier
La recherche d'égalité entre les cocontractants
trouve sa raison dans le constat de déséquilibre entre les
parties à un contrat. Tantôt, ledit déséquilibre est
causé par le droit lui-même (A), tantôt le
manque d'équilibre est plutôt dû à des
inégalités socioéconomiques (B).
A- Le déséquilibre psychologique et
juridique : le caractère unilatéral de l'engagement et l'oubli de
l'engagement
Le plus curieux c'est lorsque le droit provoque lui-même
des déséquilibres entre les parties à un contrat
spécifique (1) et que ce déséquilibre
entraîne des désagréments tels que l'oubli
(2).
1) Le caractère unilatéral du
cautionnement
La spécificité du contrat de cautionnement
oblige le législateur français (puis le législateur OHADA)
à imposer des règles supplémentaires à l'une des
parties.
En effet, les professeurs Séverine CABRILLAC et
Philippe PETEL observent qu'« en règle général, le
cautionnement ne fait naître d'obligation qu'à la charge de la
caution ; il est pour cela unilatéral. Le fait que la caution n'ait
guère de possibilités de défendre elle-même ses
54 Ibid.
55 Ph. Malaurie (dir.), L. Aynès, P. Crocq,
Les sûretés, la publicité foncière, 7e
éd., coll. Droit privé, Defrénois, 2013, n° 297, p.
136-137.
25
intérêts, en raison de son absence de
contribution à la dette, entraîne pour le créancier un
devoir original : prendre en charge, pour partie, la protection des
intérêts de la caution »56.
Aussi, le professeur Stéphane PIEDELIEVRE explique que
« les obligations d'information ont pour but de contrebalancer le
caractère unilatéral du contrat de cautionnement qui peut
n'être établi qu'en un seul exemplaire, même si cela devient
rare en pratique »57.
En effet, comme en dispose l'article 1326 de l'ancien Code
civil français, « l'acte juridique par lequel une seule partie
s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui
livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui
comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la
mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité
en toutes lettres et en chiffres (...) ». L'instrumentum constatant le
cautionnement peut donc légalement n'être tiré qu'en un
seul exemplaire souvent gardé par le créancier.
Toutefois, en dépit de la dangerosité des
contrats unilatéraux, certains auteurs contestent le comportement
protecteur du législateur français. Ainsi, le professeur Manuela
BOURASSIN s'insurge en rappelant que « le solidarisme contractuel dans les
contrats unilatéraux n'a pas de sens. (...) Dans la mesure où ces
contrats ont pour fonction de protéger les intérêts d'une
seule partie »58. Mais, l'on constate que ces auteurs ne
s'appuient que sur des arguments purement juridiques sans tenir compte de la
réalité.
Les informations obligatoires dans le contrat de cautionnement
qui est un engagement unilatéral servent alors de contrepoids et
tiennent leur essence dudit caractère unilatéral du cautionnement
qui nuit à la caution qui oublie souvent son engagement...
2) La possibilité d'oubli de l'engagement par
la caution
Le doyen SIMLER regrette d'une part que « Le formalisme
du contrat de cautionnement en un seul original, conséquence de son
caractère unilatéral, [ne soit] pas sans inconvénient.
L'acte ainsi dressé est destiné au créancier, seul
censé en avoir besoin en tant qu'instrument
56 M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac, Ph.
Pétel, Op. cit., 10e éd., 2015, LexisNexis, n° 78,
p.65.
57 S. Piedelièvre, obs. sous Cass. Civ.1re, 9
nov. 2004, n° 01-03-772, Bull.I n° 252, p. 210.
58 M. Bourassin, L'efficacité des garanties
personnelles, préf. V. Brémont et M-N. Jobard-Bachellier,
coll. Bibliothèque de droit privé, Paris, LGDJ, 2006, n°
156, p.77.
26
de preuve. Il se peut donc que la caution n'en conserve aucune
trace. Or, le contentieux révèle une singulière
faculté d'oubli de la part des cautions ».59
Pourtant, d'autre part, le professeur note que dans la
pratique les établissements de crédit suppléent alors la
loi en remettant un exemplaire du contrat de cautionnement à la
caution60.
À l'instar des professeurs PIEDELIEVRE et SIMLER, le
juriste NKOU MWONDO Prosper constate les mêmes inconvénients en
droit de l'OHADA qu'en France ; « dans la pratique, on a observé
que généralement, la caution s'engage en signant simplement un
document que conserve seul le créancier. Pourtant, la caution qui n'a
pas un exemplaire du contrat dans ses propres archives peut oublier qu'elle
s'est engagée quelque part »61.
Le juriste déplore également que « le
législateur africain (OHADA) n'[ait] pas profité des nouveaux
textes pour imposer la rédaction du contrat de cautionnement en double
exemplaire, dont un sera détenu par la caution »62.
L'oubli de l'engagement provoqué par le
caractère unilatéral du cautionnement peut être un
fondement ou du moins l'une des raisons d'être de l'obligation
d'information de la caution surtout dans le cas d'un cautionnement de longue
durée ou à durée indéterminée. L'information
obligatoire tient alors le rôle de sonnette d'alarme contre l'oubli de
l'engagement souscrit par la caution. Toutefois, au-delà de l'oubli et
du caractère unilatéral de certains engagements un état de
fait est pris en considération pour imposer des obligations aux
contractants dominants.
B- Le déséquilibre de fait : La
vulnérabilité de la caution au fondement de l'obligation
d'information
Avec la montée des mouvements solidariste et
consumériste marquant la France en ce XXIe siècle, nous pouvons
relever comme dernier fondement de l'obligation d'information de la caution, la
vulnérabilité de la partie la plus faible au contrat, en
l'occurrence la caution qui est alors assimilée à un
consommateur.
La vulnérabilité d'une partie au contrat renvoie
en pratique à la relation entre profane et professionnel, voilà
pourquoi, les auteurs J. CALAIS-AULOY et F. STEINMETZ estiment
59 Ph. Simler, Op. cit., n° 57, p.69.
60 Ibid.
61 NKOU MVONDO P., Op. cit., n ° 47, p.
20.
62 Ibid.
27
que « les consommateurs sont naturellement en position de
faiblesse vis-à-vis des professionnels »63. Or, pour les
auteurs, « la loi a pour fonction de protéger les faibles contre
les forts »64.
Pour mener à bien notre travail, il convient
d'expliciter non seulement le terme vulnérabilité, mais aussi les
notions de consommateurs et de professionnels au sens juridique
(1). Aussi nous ferons mention d'une certaine animosité
de la part de certains auteurs au sujet de la notion de
vulnérabilité (2).
1) Définitions et notions
Tout d'abord, il n'existe aucune définition
particulière du terme vulnérabilité en droit, ce mot est
donc employé au sens courant. Ainsi, selon le dictionnaire Larousse, la
vulnérabilité signifie le caractère de ce qui est
vulnérable et le mot « vulnérable » désigne
celui ou celle qui est susceptible d'être attaqué.
Ensuite, le lexique des termes juridiques du Raymond GUILLIEN
indique que le consommateur est « une personne qui conclut avec un
professionnel un contrat lui conférant la propriété ou la
jouissance d'un bien ou d'un service destiné à un usage personnel
ou familial, à l'exclusion de toute finalité professionnelle
»65, aussi la définition ajoute que « la
jurisprudence assimile parfois au consommateur le professionnel qui conclut un
contrat sans lien direct avec son activité »66.
Enfin, le professionnel est une « personne physique ou
morale qui, dans le cadre de sa profession, exerce une activité de
fabrication, de distribution ou de prestation de service », le lexique des
termes juridique ajoute que le professionnel est réputé
compétent et avisé voilà pourquoi il est soumis à
des règles dérogatoires protectrices du consommateur
profane67.
Mais, si cette présomption de
vulnérabilité du consommateur est tolérée par
certains auteurs, elle est également largement critiquée en
doctrine en dépit de la justesse de ce principe.
63 J. Calais-Auloy et F. Steinmetz, Droit de la
consommation, Précis Dalloz, 1996, 4e éd., n° 18.
64 Ibid.
65 Raymon Guillien et al., Op.cit.,
p. 221.
66 Idem.
67 Ibid., p.691
28
2) La critique de la notion de
vulnérabilité des contractants en tant que fondement de la
protection exorbitant du droit commun
La vulnérabilité comme fondement de la
protection du contractant ne fait pas l'unanimité. En effet, en
dépit de l'état de dépendance économique de l'une
des parties (a), certains auteurs ne trouvent guère ce
fondement pertinent (b).
a. La violence économique et la
vulnérabilité du consommateur
Pour les partisans de la vulnérabilité comme
fondement de la protection du contractant, la situation de fait du
débiteur justifie les obligations pesant sur la partie la plus forte au
contrat. Toutefois, comment se manifeste concrètement cette
vulnérabilité du contractant ?
Dans le milieu du crédit par exemple, Mademoiselle
Audrey HUYGENS constate une certaine violence économique exercée
par les créanciers sur les débiteurs et cautions. Il faut
signaler que la violence économique n'est pas une notion nouvelle, car
il s'agit tout simplement du vice de consentement qu'est la violence à
laquelle l'on a rajouté le terme « économique » afin
d'identifier la nature de la violence subie par le contractant et distinguer
ladite violence économique de la violence physique ou morale.
Ainsi, tout d'abord, dans le contrat de prêt, la juriste
fait remarquer que « l'établissement de banque dispose d'un pouvoir
déséquilibrant dont il peut faire usage lorsqu'il affronte un
emprunteur économiquement fragile »68, puisque « le
prêteur sait que la menace d'un refus de prêt et la position
économique embarrassante qui s'en suivrait, exerce une pression que la
volonté de l'emprunteur telle qu'il acceptera les termes imposés
(sic) »69.
Ensuite, dans la relation triangulaire du cautionnement,
Mademoiselle Audrey HUYGENS explique comment le débiteur est contraint
de fournir une caution. En effet, selon la juriste, « Un débiteur
en situation d'infériorité, du fait de ses difficultés
financières, se voit obliger par [le pouvoir
déséquilibrant de l'établissement de banque] d'offrir une
garantie personnelle dont l'étendue est déterminée par ce
dernier, la caution quant à elle tant à l'égard du
débiteur principal que de cette dernière se trouver
également en état de dépendance (sic)
»70.
La vulnérabilité de la caution et celle du
débiteur principal créent alors un déséquilibre
considérable entre ceux-ci et le créancier.
68 Audrey Huygens, La violence
économique, Mémoire de l'université de Lille II,
2001, n° 68, p. 39.
69 Ibid.
70 Ibid.
29
En effet, le professeur Georges RIPERT confirmait une telle
pensée lorsqu'il affirmait que « si l'un des contractants peut
imposer sa volonté, si l'autre est obligé par la
nécessité d'adhérer sans discuter, le contrat n'est que la
loi du plus fort »71.
Au vu de la situation précaire des consommateurs par
rapport à celle des créanciers professionnels, la jurisprudence a
jugé que « le consommateur moyen, au regard notamment du Code de la
consommation, ne peut plus être considéré comme l'homme
actif, instruit, diligent, avisé qu'était le bon père de
famille, dans le Code Napoléon, mais comme un être plus
vulnérable auquel doivent être présentés de
façon claire tous les termes du marché et tous les risques
auxquels il s'expose »72.
Mais, certains auteurs se sont insurgés contre le
solidarisme contractuel au profit des consommateurs naturellement
vulnérables.
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