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Les enjeux politiques et sociétaux de l'étude de la guerre dans l'enseignement et les programmes du secondaire


par Anissa LAICHI
Université de Grenoble Alpes  - Master 2 MEEF 2021
  

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2. L'enseignement des guerres ; enjeux et analyse dans les programmes scolaires du secondaires.

2.1. Enjeux socio-politiques de l'écriture de l'histoire des guerres.

Nous allons à présent aborder les enjeux socio-politiques de l'histoire des guerres dans l'enseignement secondaire. Avant cela, nous pouvons rappeler que, plus largement, l'écriture des programmes scolaires d'histoire dans le secondaire répond à des enjeux socio-politiques. Comme l'a dit Jules Isaac en 1953 « L'enseignement historique doit tenir compte, non seulement des résultats acquis par l'enquête scientifique, mais encore des exigences nouvelles du milieu social »38.

Certains faits contribuent à l'évolution de l'écriture des programmes d'histoire tels que la guerre elle-même. Par exemple, la défaite française contre la Prusse en 1871 est justifiée comme le résultat d'une défaillance du sentiment national. C'est pour cela que les programmes qui font suite à cet évènement revalorisent l'histoire nationale.

Toutefois, cette histoire nationale est controversée, critiquée par exemple par Lucien Febvre et Marc Bloch dans les années 1930 - 1940 qui prônent eux, une histoire scolaire qui soit plus « élargie »39 à d'autres espaces. Le contexte de la construction européenne (années 1950) permet dès lors un élargissement historique. Cet enseignement s'appuie principalement sur des points communs qui fondent l'identité européenne. Ce grand récit européen souhaité dans les programmes s'illustre aujourd'hui par exemple à travers l'apprentissage de périodes et évènements ayant marqué l'ensemble de l'Europe comme en témoigne l'intitulé du thème 1 de

36 PROST Antoine, « Les limites de la brutalisation : tuer sur le front occidental », Vingtième siècle. Revue d'histoire, n°81, 2004, (p 5 - 20).

37 Politicologue norvégien, fondateur de l'irénologie (science de la paix).

38 DOSSE François, DELACROIX Christian, etc., Historiographies : concepts et débats, Paris Gallimard, 2010, 645 pages.

39OFFENSTADT Nicolas, L'Historiographie, op.cit.

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3ème « L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales (1914 - 1945).40

Ensuite, l'histoire de la guerre répond à des enjeux politiques et cela s'illustre à travers la mise en oeuvre de ces enseignements. Cette mise en oeuvre est guidée par des outils didactiques et pédagogiques que l'on nomme aujourd'hui « la commande institutionnelle ». Ces documents d'instruction sont officiels et sont du ressort du ministère. Bien que ces documents officiels ne soient pas votés par le Parlement, ils revêtent un caractère législatif. Ce travail est réalisé conjointement avec des didacticiens, des historiens avant de paraître au Bulletin officiel de l'Education.

La mise en oeuvre des programmes a toujours été influencée par la politique. Par exemple, les programmes d'histoire entre 1945 et 1948 dont l'intitulé comportait « jusqu'à nos jours », s'arrêtent en réalité en 1939. Les programmes imposent donc de ne pas traiter la période 1939 - 1945 et cela répond à des choix politiques puisque cette période correspond à la Seconde Guerre mondiale, période qui ne souhaite pas être évoquée par les politiques. Le paradigme de l'époque contraint les élèves dans le traitement de certains faits, et la Seconde Guerre mondiale n'est étudiée officiellement que quelques années plus tard notamment durant une période marquée par le mythe résistancialiste dans les années 1960. C'est une période durant laquelle domine l'idée que tous les Français ont résisté durant le régime de Vichy et que celui-ci n'a pas eu une forte étendue sur la société. De ce fait, certains choix politiques ont conduit à occulter la guerre (ici, la Seconde Guerre mondiale).

L'enjeu politique de l'enseignement de la guerre s'illustre également à travers l'enseignement civique. En étudiant la guerre en tant que concept dans le cadre de cet enseignement, cela participe à l'acquisition de connaissances et de compétences qui permettent de vivre en société par exemple grâce à l'étude du pluralisme des opinions, des idéologies, mais également grâce à la compréhension des règles qui régissent une société durant une période historique. Enfin, l'analyse de l'information et de l'image permettent l'étude de la guerre, renforçant ainsi l'esprit critique.

Enfin, la demande sociale influence les choix politiques et de ce fait, le politique pénètre les programmes d'histoire des guerres. C'est le cas par exemple dans les années 1980 - 1990 durant lesquelles la demande sociale se porte sur une prise en compte de la mémoire. Ce « moment mémoriel »41 se manifeste jusque dans l'espace politique, en témoigne le discours de

40 Fiche d'accompagnement Eduscol ; Programme de 3ème, 2016.

41 LEGRIS Patricia, « L'élaboration des programmes d'histoire depuis la Libération, contribution à une sociologie historique du curriculum », Histoire@politique, n°21, 2013, (p 69 - 83).

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Jacques Chirac en 1995 visant à commémorer la rafle du Vel' d'Hiv' ayant eu lieu durant la Seconde Guerre mondiale. En effet, ce discours survient dans un contexte d'une politique de « repentance »42 dans lequel l'Etat instrumentalise le devoir de mémoire grâce aux médias. De ce fait, cette médiatisation donne cours à l'intégration de ce devoir de mémoire dans les programmes actuels d'histoire dans le secondaire, qui s'illustre par ailleurs à travers le traitement des questions mémorielles dans le cadre des guerres telles que celles de la guerre d'Algérie. D'ailleurs, le traitement des questions mémorielles relatives à la guerre d'Algérie (dans le programme de 3ème et de Terminale depuis 1980) permet en outre de gérer certaines polémiques d'actualité telles que celle autour de la torture pendant la guerre, débats qui témoignent en outre d'une lecture plus sociale et sociologique de la guerre.

D'autres politiques surgissent dans un contexte spécifique et tentent d'influencer les programmes d'histoire des guerres. Au tournant des années 2000, surgissent des débats sur la portée des guerres coloniales au XXe siècle et notamment sur le bien-fondé de certaines colonisations. Ainsi, la position particulière de Nicolas Sarkozy en 2005 à propos du colonialisme et de ses effets positifs a conduit à l'élaboration de la loi du 23 février 2005 portant sur la reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Cette loi prévoit en effet la mise en avant « du rôle positif » de la colonisation dans les colonies françaises (et notamment en Algérie) dans l'enseignement comme en témoigne le programme de Première générale dans le thème 3 « La Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial » et le chapitre 3 « Métropole et colonies » durant lequel sont valorisés les échanges et contacts commerciaux en Algérie. Cet exemple de polémique (qui concerne ici les guerres coloniales et leur « rôle positif ») témoigne de l'influence du politique sur les modes d'enseignement.

Par conséquent, les débats socio-politiques impactent et influencent les perspectives d'enseignement de l'histoire des guerres dans le secondaire. Aussi, en analysant l'écriture des programmes d'histoire, nous pouvons ainsi saisir les choix politiques opérés en réaction aux débats sociétaux.

2.2. Quelle est la place de l'enseignement des guerres dans les programmes ?

À présent, nous pouvons tenter de dresser un tableau de la présence de l'enseignement des guerres dans les programmes de l'enseignement secondaire. Rappelons qu'avant le

42 Ibidem.

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secondaire, le programme primaire prévoit également un enseignement des guerres notamment en CM1 avec le thème 2 d'histoire intitulé « Le temps des rois », l'étude des rois permettant ainsi d'étudier les guerres de religion par exemple. Le programme de CM2 prévoit également un enseignement des guerres avec le thème 3 intitulé « La France, des guerres mondiales à l'Union européenne » permettant ainsi une première approche des deux conflits mondiaux.

Le tableau ci-dessous fait état de l'enseignement de la guerre dans les classes du secondaire ;

Sixième

Thème 3 L'empire romain dans le monde romain.

 

ST1 Conquêtes, paix romaine et romanisation.

 

4 Thème qui traite de la guerre comme une caractéristique dans la formation de l'empire romain (conquêtes, colonisation etc. tout cela contribuant à l'expansion du pouvoir romain).

Cinquième

Thème 2 Société, Église et pouvoir politique dans l'occident féodal (XI-XVe siècles).

 

ST3 L'affirmation de l'État monarchique dans le royaume des Capétiens et des Valois.

 

4 Sous thème 3 qui permet de traiter de la guerre de Cent Ans (1337-1453)

sans que celle-ci ne soit centrale. Néanmoins, étudier cette guerre permet d'analyser les modalités d'action d'un Etat en pleine formation et affirmation.

Thème 3 Transformation de l'Europe et ouverture sur le monde aux XVI-XVIIe siècles ?

 

ST2 Humanisme, réformes et conflits religieux.

 

ST3 Du prince de la Renaissance au roi absolu (François Ier, Henri IV, Louis XIV).

 

4 Sous thème 3 qui permet de traiter des guerres d'Italie et d'étudier ainsi, à

travers l'évènement qu'est la guerre, le contexte « européen ».

Troisième

Thème 1 L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales.

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ST1 Civils et militaires dans la Première guerre mondiale.

 

ST3 La deuxième guerre mondiale, une guerre d'anéantissement.

 

ST4 La France défaite et occupée. Régime de Vichy, collaboration, Résistance.

 

Thème 2 Le monde depuis 1945.

 

ST2 Un monde bipolaire au temps de la guerre froide.

 

ST4 Enjeux et conflits dans le monde après 1989.

 

4 Thème 1 qui traite des guerres mondiales avec un centrage militaire et

politique, mais avec une vision européenne d'ensemble + pas de distinction entre civils et militaire car ce qui est mis au centre c'est l'intérêt pour l'acteur quel qu'il soit.

4 Thème 2 qui traite de conflits qui rythment l'actualité de l'époque. La guerre

est donc perçue dans le temps long, inhérente au contexte international mais surtout aux évènements antérieurs (les conflits mondiaux).

Première

Thème 4 La Première Guerre mondiale : le « suicide de l'Europe » et la fin des empires

européens.

CHP1 Un embrasement mondial et ses grandes étapes.

 

CHP2 Les sociétés en guerre : des civils acteurs et victimes de la guerre.

 

CHP3 Sortir de la guerre : la tentative de construction d'un ordre des nations

démocratiques.

4 Thème 4 qui traite de l'aspect chronologique d'une guerre ; la Première

guerre mondiale y est étudiée d'un point de vue militaire, de fait, l'analyse des grandes batailles est nécessaire (CHP1). Le chapitre suivant traite de l'aspect social de cette guerre et renvoie aux acquis de 3eme (Thème 1), et enfin, le CHP3 dans une perspective diplomatique (fait référence aussi à la Terminale de spécialité), tend à analyser les relations au sortir de la guerre.

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Terminale

Thème 1 Fragilités des démocraties, totalitarismes et Seconde Guerre mondiale (1929-1945).

 

ST3 La seconde guerre mondiale.

 

Thème 2 La multiplication des acteurs internationaux dans un monde bipolaire (de 1945 au

début des années 1970).

ST1 La fin de la Seconde guerre mondiale et les débuts d'un nouvel ordre mondial.

 

4 Thème 1 et 2 Etude des contextes politiques et diplomatiques à travers

l'analyse de la Seconde Guerre mondiale.

Terminale technologique

Thème 1 Totalitarismes et Seconde guerre mondiale.

 

Thème 2 Du monde bipolaire au monde multipolaire.

 

4 Thème 1 qui traite des facteurs de la guerre (facteurs politiques) ainsi que les

conséquences de la guerre (génocide), tandis que le Thème 2 traite des

différentes formes que peut prendre la guerre (avec la guerre des étoiles dans le contexte de guerre froide).

Terminale de spécialité HGGSP

Thème 2 Faire la guerre, faire la paix : formes de conflits et modes de résolution.

 

Axe 1 La dimension politique de la guerre : des conflits interétatiques aux enjeux

transnationaux.

Axe 2 Le défi de la construction de la paix.

 

CCL Le Moyen-Orient : conflits régionaux et tentatives de paix impliquant des

acteurs internationaux (étatiques et non étatiques).

Thème 3 Histoires et mémoires.

 

Axe 1 Histoires et mémoires des conflits.

 

4 Thème 2 qui traite dans un premier temps de la guerre en tant que concept et

 

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qui tend à analyser les caractéristiques d'une guerre ainsi que ses conséquences (avec comme synthèse l'étude des conflits au Moyen-Orient). D'autre part, ce thème est le premier à interroger le concept de paix ; thème qui étudie les objectifs et les issues de la guerre.

Tandis que le Thème 3 a une approche sociologique et culturelle de la guerre (avec étude de la guerre d'Algérie par exemple), c'est-à-dire que l'objectif est d'étudier et analyser les phénomènes sociaux. Ces deux thèmes permettent de se référer et étudier des éléments épistémologiques et historiographiques évoqués en partie I (évolution du concept de guerre) ; cela est en adéquation avec les objectifs de Terminale de spécialité qui est d'apporter un renforcement des connaissances scientifiques mais également d'adopter une posture pluridisciplinaire dans l'étude d'un phénomène (ici la guerre d'Algérie et la question de la mémoire après la guerre d'indépendance) qui est à la fois historique et sociologique.

2.3. Quelle mise en oeuvre de l'enseignement des guerres dans les programmes du secondaire ? Un exemple de comparaison du programme de Troisième et de Terminale.

A présent, il s'agit d'analyser la mise en oeuvre de l'enseignement des guerres dans les programmes. Pour cela, nous pouvons tenter de réaliser une analyse comparative des mises en oeuvre de l'enseignement des guerres, préconisées par les programmes. A cet effet, nous allons nous concentrer sur le programme de Troisième avec le thème 1 « L'Europe, un théâtre majeur des guerres totales » et le sous thème 3 « La deuxième guerre mondiale, une guerre d'anéantissement »43, ainsi que le programme de Terminale avec le thème 1 « Fragilités des démocraties, totalitarisme et Seconde Guerre mondiale (1929 - 1945) » et le sous thème 3 « La seconde guerre mondiale »44. Ces deux programmes proposent donc d'enseigner le deuxième conflit mondial, mais différemment.

En effet, bien que tous deux préconisent d'enseigner ce thème autour de notions centrales (que ce soit « crise », « guerre totale » ou autres), ils ont une approche différenciée. En classe de Troisième, l'objectif est de rendre compte des mutations sociales et politiques en mettant

43 Fiche accompagnement Eduscol ; Programme de 3e, Thème 1, 2016.

44 Fiche accompagnement Éduscol ; Programme de Terminale, Thème 1, 2016.

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l'accent sur les phénomènes politiques et militaires. En revanche, en classe de Terminale, l'objectif est de mettre en exergue la violence des événements, l'accent est mis sur le génocide ainsi que les autres crimes qui ont été commis. De ce fait, l'approche y est plus sociologique, c'est-à-dire que l'objectif est d'étudier davantage les phénomènes sociaux. De fait, la perspective militaire y est moins développée. Pour autant, les deux programmes incitent fortement à enseigner selon une progression chronologique et à lire les événements indépendamment des autres.

Par conséquent, nous pouvons affirmer que l'enseignement de l'histoire, et plus précisément de la guerre, répond à des recommandations préalablement formulées selon un processus institutionnelle.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote