2. L'enseignement des guerres ; enjeux et analyse dans
les programmes scolaires du secondaires.
2.1. Enjeux socio-politiques de l'écriture de
l'histoire des guerres.
Nous allons à présent aborder les enjeux
socio-politiques de l'histoire des guerres dans l'enseignement secondaire.
Avant cela, nous pouvons rappeler que, plus largement, l'écriture des
programmes scolaires d'histoire dans le secondaire répond à des
enjeux socio-politiques. Comme l'a dit Jules Isaac en 1953 «
L'enseignement historique doit tenir compte, non seulement des résultats
acquis par l'enquête scientifique, mais encore des exigences nouvelles du
milieu social »38.
Certains faits contribuent à l'évolution de
l'écriture des programmes d'histoire tels que la guerre elle-même.
Par exemple, la défaite française contre la Prusse en 1871 est
justifiée comme le résultat d'une défaillance du sentiment
national. C'est pour cela que les programmes qui font suite à cet
évènement revalorisent l'histoire nationale.
Toutefois, cette histoire nationale est controversée,
critiquée par exemple par Lucien Febvre et Marc Bloch dans les
années 1930 - 1940 qui prônent eux, une histoire scolaire qui soit
plus « élargie »39 à d'autres espaces. Le
contexte de la construction européenne (années 1950) permet
dès lors un élargissement historique. Cet enseignement s'appuie
principalement sur des points communs qui fondent l'identité
européenne. Ce grand récit européen souhaité dans
les programmes s'illustre aujourd'hui par exemple à travers
l'apprentissage de périodes et évènements ayant
marqué l'ensemble de l'Europe comme en témoigne l'intitulé
du thème 1 de
36 PROST Antoine, « Les limites de la
brutalisation : tuer sur le front occidental », Vingtième
siècle. Revue d'histoire, n°81, 2004, (p 5 - 20).
37 Politicologue norvégien, fondateur de
l'irénologie (science de la paix).
38 DOSSE François, DELACROIX Christian,
etc., Historiographies : concepts et débats, Paris Gallimard,
2010, 645 pages.
39OFFENSTADT Nicolas, L'Historiographie,
op.cit.
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3ème « L'Europe, un théâtre majeur des
guerres totales (1914 - 1945).40
Ensuite, l'histoire de la guerre répond à des
enjeux politiques et cela s'illustre à travers la mise en oeuvre de ces
enseignements. Cette mise en oeuvre est guidée par des outils
didactiques et pédagogiques que l'on nomme aujourd'hui « la
commande institutionnelle ». Ces documents d'instruction sont officiels et
sont du ressort du ministère. Bien que ces documents officiels ne soient
pas votés par le Parlement, ils revêtent un caractère
législatif. Ce travail est réalisé conjointement avec des
didacticiens, des historiens avant de paraître au Bulletin officiel de
l'Education.
La mise en oeuvre des programmes a toujours été
influencée par la politique. Par exemple, les programmes d'histoire
entre 1945 et 1948 dont l'intitulé comportait « jusqu'à nos
jours », s'arrêtent en réalité en 1939. Les programmes
imposent donc de ne pas traiter la période 1939 - 1945 et cela
répond à des choix politiques puisque cette période
correspond à la Seconde Guerre mondiale, période qui ne souhaite
pas être évoquée par les politiques. Le paradigme de
l'époque contraint les élèves dans le traitement de
certains faits, et la Seconde Guerre mondiale n'est étudiée
officiellement que quelques années plus tard notamment durant une
période marquée par le mythe résistancialiste dans les
années 1960. C'est une période durant laquelle domine
l'idée que tous les Français ont résisté durant le
régime de Vichy et que celui-ci n'a pas eu une forte étendue sur
la société. De ce fait, certains choix politiques ont conduit
à occulter la guerre (ici, la Seconde Guerre mondiale).
L'enjeu politique de l'enseignement de la guerre s'illustre
également à travers l'enseignement civique. En étudiant la
guerre en tant que concept dans le cadre de cet enseignement, cela participe
à l'acquisition de connaissances et de compétences qui permettent
de vivre en société par exemple grâce à
l'étude du pluralisme des opinions, des idéologies, mais
également grâce à la compréhension des règles
qui régissent une société durant une période
historique. Enfin, l'analyse de l'information et de l'image permettent
l'étude de la guerre, renforçant ainsi l'esprit critique.
Enfin, la demande sociale influence les choix politiques et de
ce fait, le politique pénètre les programmes d'histoire des
guerres. C'est le cas par exemple dans les années 1980 - 1990 durant
lesquelles la demande sociale se porte sur une prise en compte de la
mémoire. Ce « moment mémoriel »41 se
manifeste jusque dans l'espace politique, en témoigne le discours de
40 Fiche d'accompagnement Eduscol ; Programme de
3ème, 2016.
41 LEGRIS Patricia, « L'élaboration des
programmes d'histoire depuis la Libération, contribution à une
sociologie historique du curriculum », Histoire@politique,
n°21, 2013, (p 69 - 83).
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Jacques Chirac en 1995 visant à commémorer la
rafle du Vel' d'Hiv' ayant eu lieu durant la Seconde Guerre mondiale. En effet,
ce discours survient dans un contexte d'une politique de « repentance
»42 dans lequel l'Etat instrumentalise le devoir de
mémoire grâce aux médias. De ce fait, cette
médiatisation donne cours à l'intégration de ce devoir de
mémoire dans les programmes actuels d'histoire dans le secondaire, qui
s'illustre par ailleurs à travers le traitement des questions
mémorielles dans le cadre des guerres telles que celles de la guerre
d'Algérie. D'ailleurs, le traitement des questions mémorielles
relatives à la guerre d'Algérie (dans le programme de 3ème
et de Terminale depuis 1980) permet en outre de gérer certaines
polémiques d'actualité telles que celle autour de la torture
pendant la guerre, débats qui témoignent en outre d'une lecture
plus sociale et sociologique de la guerre.
D'autres politiques surgissent dans un contexte
spécifique et tentent d'influencer les programmes d'histoire des
guerres. Au tournant des années 2000, surgissent des débats sur
la portée des guerres coloniales au XXe siècle et notamment sur
le bien-fondé de certaines colonisations. Ainsi, la position
particulière de Nicolas Sarkozy en 2005 à propos du colonialisme
et de ses effets positifs a conduit à l'élaboration de la loi du
23 février 2005 portant sur la reconnaissance de la Nation et
contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Cette
loi prévoit en effet la mise en avant « du rôle positif
» de la colonisation dans les colonies françaises (et notamment en
Algérie) dans l'enseignement comme en témoigne le programme de
Première générale dans le thème 3 « La
Troisième République avant 1914 : un régime politique, un
empire colonial » et le chapitre 3 « Métropole et colonies
» durant lequel sont valorisés les échanges et contacts
commerciaux en Algérie. Cet exemple de polémique (qui concerne
ici les guerres coloniales et leur « rôle positif »)
témoigne de l'influence du politique sur les modes d'enseignement.
Par conséquent, les débats socio-politiques
impactent et influencent les perspectives d'enseignement de l'histoire des
guerres dans le secondaire. Aussi, en analysant l'écriture des
programmes d'histoire, nous pouvons ainsi saisir les choix politiques
opérés en réaction aux débats sociétaux.
2.2. Quelle est la place de l'enseignement des guerres
dans les programmes ?
À présent, nous pouvons tenter de dresser un
tableau de la présence de l'enseignement des guerres dans les programmes
de l'enseignement secondaire. Rappelons qu'avant le
42
Ibidem.
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secondaire, le programme primaire prévoit
également un enseignement des guerres notamment en CM1 avec le
thème 2 d'histoire intitulé « Le temps des rois »,
l'étude des rois permettant ainsi d'étudier les guerres de
religion par exemple. Le programme de CM2 prévoit également un
enseignement des guerres avec le thème 3 intitulé « La
France, des guerres mondiales à l'Union européenne »
permettant ainsi une première approche des deux conflits mondiaux.
Le tableau ci-dessous fait état de l'enseignement de la
guerre dans les classes du secondaire ;
Sixième
|
Thème 3 L'empire romain dans le monde romain.
|
|
ST1 Conquêtes, paix romaine et romanisation.
|
|
4 Thème qui traite de la guerre comme
une caractéristique dans la formation de l'empire romain
(conquêtes, colonisation etc. tout cela contribuant à l'expansion
du pouvoir romain).
|
Cinquième
|
Thème 2 Société, Église et pouvoir
politique dans l'occident féodal (XI-XVe siècles).
|
|
ST3 L'affirmation de l'État monarchique dans le royaume
des Capétiens et des Valois.
|
|
4 Sous thème 3 qui permet de traiter de
la guerre de Cent Ans (1337-1453)
|
sans que celle-ci ne soit centrale. Néanmoins,
étudier cette guerre permet d'analyser les modalités d'action
d'un Etat en pleine formation et affirmation.
|
Thème 3 Transformation de l'Europe et ouverture sur le
monde aux XVI-XVIIe siècles ?
|
|
ST2 Humanisme, réformes et conflits religieux.
|
|
ST3 Du prince de la Renaissance au roi absolu (François
Ier, Henri IV, Louis XIV).
|
|
4 Sous thème 3 qui permet de traiter des
guerres d'Italie et d'étudier ainsi, à
|
travers l'évènement qu'est la guerre, le contexte
« européen ».
|
Troisième
Thème 1 L'Europe, un théâtre majeur
des guerres totales.
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ST1 Civils et militaires dans la Première guerre
mondiale.
|
|
ST3 La deuxième guerre mondiale, une guerre
d'anéantissement.
|
|
ST4 La France défaite et occupée. Régime de
Vichy, collaboration, Résistance.
|
|
Thème 2 Le monde depuis 1945.
|
|
ST2 Un monde bipolaire au temps de la guerre froide.
|
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ST4 Enjeux et conflits dans le monde après 1989.
|
|
4 Thème 1 qui traite des guerres
mondiales avec un centrage militaire et
|
politique, mais avec une vision européenne d'ensemble +
pas de distinction entre civils et militaire car ce qui est mis au centre c'est
l'intérêt pour l'acteur quel qu'il soit.
|
4 Thème 2 qui traite de conflits qui
rythment l'actualité de l'époque. La guerre
|
est donc perçue dans le temps long, inhérente au
contexte international mais surtout aux évènements
antérieurs (les conflits mondiaux).
|
Première
|
Thème 4 La Première Guerre mondiale : le «
suicide de l'Europe » et la fin des empires
|
européens.
|
CHP1 Un embrasement mondial et ses grandes étapes.
|
|
CHP2 Les sociétés en guerre : des civils acteurs et
victimes de la guerre.
|
|
CHP3 Sortir de la guerre : la tentative de construction d'un
ordre des nations
|
démocratiques.
|
4 Thème 4 qui traite de l'aspect
chronologique d'une guerre ; la Première
|
guerre mondiale y est étudiée d'un point de vue
militaire, de fait, l'analyse des grandes batailles est nécessaire
(CHP1). Le chapitre suivant traite de l'aspect social de cette guerre et
renvoie aux acquis de 3eme (Thème 1), et enfin, le CHP3 dans une
perspective diplomatique (fait référence aussi à la
Terminale de spécialité), tend à analyser les relations au
sortir de la guerre.
|
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Terminale
|
Thème 1 Fragilités des démocraties,
totalitarismes et Seconde Guerre mondiale (1929-1945).
|
|
ST3 La seconde guerre mondiale.
|
|
Thème 2 La multiplication des acteurs internationaux dans
un monde bipolaire (de 1945 au
|
début des années 1970).
|
ST1 La fin de la Seconde guerre mondiale et les débuts
d'un nouvel ordre mondial.
|
|
4 Thème 1 et 2 Etude des contextes
politiques et diplomatiques à travers
|
l'analyse de la Seconde Guerre mondiale.
|
Terminale technologique
|
Thème 1 Totalitarismes et Seconde guerre mondiale.
|
|
Thème 2 Du monde bipolaire au monde multipolaire.
|
|
4 Thème 1 qui traite des facteurs de la
guerre (facteurs politiques) ainsi que les
|
conséquences de la guerre (génocide), tandis que
le Thème 2 traite des
|
différentes formes que peut prendre la guerre (avec la
guerre des étoiles dans le contexte de guerre froide).
|
Terminale de spécialité HGGSP
|
Thème 2 Faire la guerre, faire la paix : formes de
conflits et modes de résolution.
|
|
Axe 1 La dimension politique de la guerre : des conflits
interétatiques aux enjeux
|
transnationaux.
|
Axe 2 Le défi de la construction de la paix.
|
|
CCL Le Moyen-Orient : conflits régionaux et tentatives de
paix impliquant des
|
acteurs internationaux (étatiques et non
étatiques).
|
Thème 3 Histoires et mémoires.
|
|
Axe 1 Histoires et mémoires des conflits.
|
|
4 Thème 2 qui traite dans un premier
temps de la guerre en tant que concept et
|
|
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qui tend à analyser les caractéristiques d'une
guerre ainsi que ses conséquences (avec comme synthèse
l'étude des conflits au Moyen-Orient). D'autre part, ce thème est
le premier à interroger le concept de paix ; thème qui
étudie les objectifs et les issues de la guerre.
|
Tandis que le Thème 3 a une
approche sociologique et culturelle de la guerre (avec étude de la
guerre d'Algérie par exemple), c'est-à-dire que l'objectif est
d'étudier et analyser les phénomènes sociaux. Ces deux
thèmes permettent de se référer et étudier des
éléments épistémologiques et historiographiques
évoqués en partie I (évolution du concept de guerre) ;
cela est en adéquation avec les objectifs de Terminale de
spécialité qui est d'apporter un renforcement des connaissances
scientifiques mais également d'adopter une posture pluridisciplinaire
dans l'étude d'un phénomène (ici la guerre
d'Algérie et la question de la mémoire après la guerre
d'indépendance) qui est à la fois historique et sociologique.
|
2.3. Quelle mise en oeuvre de l'enseignement des
guerres dans les programmes du secondaire ? Un exemple de comparaison du
programme de Troisième et de Terminale.
A présent, il s'agit d'analyser la mise en oeuvre de
l'enseignement des guerres dans les programmes. Pour cela, nous pouvons tenter
de réaliser une analyse comparative des mises en oeuvre de
l'enseignement des guerres, préconisées par les programmes. A cet
effet, nous allons nous concentrer sur le programme de Troisième avec le
thème 1 « L'Europe, un théâtre majeur des guerres
totales » et le sous thème 3 « La deuxième guerre
mondiale, une guerre d'anéantissement »43, ainsi que le
programme de Terminale avec le thème 1 « Fragilités des
démocraties, totalitarisme et Seconde Guerre mondiale (1929 - 1945)
» et le sous thème 3 « La seconde guerre mondiale
»44. Ces deux programmes proposent donc d'enseigner le
deuxième conflit mondial, mais différemment.
En effet, bien que tous deux préconisent d'enseigner ce
thème autour de notions centrales (que ce soit « crise »,
« guerre totale » ou autres), ils ont une approche
différenciée. En classe de Troisième, l'objectif est de
rendre compte des mutations sociales et politiques en mettant
43 Fiche accompagnement Eduscol ; Programme de
3e, Thème 1, 2016.
44 Fiche accompagnement Éduscol ; Programme de
Terminale, Thème 1, 2016.
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l'accent sur les phénomènes politiques et
militaires. En revanche, en classe de Terminale, l'objectif est de mettre en
exergue la violence des événements, l'accent est mis sur le
génocide ainsi que les autres crimes qui ont été commis.
De ce fait, l'approche y est plus sociologique, c'est-à-dire que
l'objectif est d'étudier davantage les phénomènes sociaux.
De fait, la perspective militaire y est moins développée. Pour
autant, les deux programmes incitent fortement à enseigner selon une
progression chronologique et à lire les événements
indépendamment des autres.
Par conséquent, nous pouvons affirmer que
l'enseignement de l'histoire, et plus précisément de la guerre,
répond à des recommandations préalablement
formulées selon un processus institutionnelle.
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