Les enjeux politiques et sociétaux de l'étude de la guerre dans l'enseignement et les programmes du secondairepar Anissa LAICHI Université de Grenoble Alpes - Master 2 MEEF 2021 |
1.3. L'épistémologie de la guerre.Nous pouvons enfin détailler l'évolution du concept de la guerre. Ce concept est forgé au gré des époques par divers penseurs, apportant ainsi des éléments de compréhension et notamment des concepts et ce dès l'Antiquité. En effet, des hommes se sont longuement interrogés sur les modalités de la guerre mais également sur sa portée morale. Le concept de bellum iustum (guerre juste) est structurant dans la société romaine, s'illustrant à travers la figure de Cicéron qui plaide pour sa cause. Théoriser la guerre juste est un acte à la fois politique mais également moral, et permet de régir les règles entre les hommes afin d'encadrer la guerre. Plus largement, la théorisation des modalités de la guerre se retrouve également durant le Moyen Âge. Le penseur Thomas d'Aquin a par exemple formulé un ensemble de règles qui justifient et délimitent la guerre dans son ouvrage écrit entre 1266 et 1273 intitulé Somme théologique. Plus tard, durant l'époque moderne, le juriste et humaniste Grotius apporte des éléments dans la théorisation de la guerre juste. En effet, dans un ouvrage Le droit de la guerre et de la paix (1625), il traite de l'origine de la guerre ainsi que de ses possibles motivations, l'amenant à aborder la distinction entre guerre publique et guerre privé30. L'élaboration d'un tel traité apparaît plus que nécessaire dans le contexte des guerres modernes et permet de comprendre la réalité de l'époque moderne et de la construction du système westphalien. Aujourd'hui, la notion de guerre juste ne renvoie plus aux mêmes motivations de l'époque moderne et la particularité étant qu'elle ne dépend plus d'un seul et même paradigme. En 29 ARON Raymond, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 1962, 794 pages. 30 GROTIUS Hugo, Le droit de la guerre et de la paix, Paris, Presse universitaires de France, 2012, 888 pages. P a g e 12 | 47 témoigne la diversité des formes de conflits actuels qui sont le résultat de motivations à la fois politiques, idéologiques et économiques. Enfin, Carl von Clausewitz, a également forgé des notions relatives à la guerre notamment les notions de guerre absolue (absoluter Krieg) et guerre d'anéantissement (Vernichtungskrieg). En effet, c'est dans son traité de stratégie militaire qu'il théorise ces notions lesquelles font référence à une guerre dont le but précis est l'anéantissement total de l'ennemi. Ces notions influencent et sont utilisées au sujet de la Première Guerre mondiale au début du XXe siècle. Mais ce conflit mondial a lui aussi contribué à l'ébauche de nouvelles notions telles que celle de guerre totale désignant un conflit idéologique, engageant une pluralité de belligérants, qui est particulièrement meurtrier. Quant à la deuxième guerre mondiale, elle est aussi à l'origine de la construction de certaines notions telles que celle de la Blitzkrieg. Signifiant « guerre éclair », la Blitzkrieg est développée dans les années 1930 en France, en témoignent deux ouvrages de Charles de Gaulle Le Fil de l'épée (1932)31 ainsi que Vers l'armée de métier (1934)32 dans lesquels l'auteur aborde des éléments de compréhension de ce concept tels que l'utilisation d'une armée blindée autonome. Au Royaume Uni, l'historien Basil Henry Liddell Hart contribue à la théorisation de la Blitzkrieg33. Après les deux guerres mondiales, les réflexions autour du concept de guerre et de ses conséquences poursuivent. L'historien George Mosse interroge les conséquences de la guerre et développe l'idée d'une « culture de guerre » qui se manifeste par la généralisation et une acceptation de la violence dans la société34. Il développe la notion de brutalisation, que nous avons évoqué précédemment, qui serait la conséquence de cette culture de guerre, soit « le transfert de l'expérience de la violence au front vers la société civile et sa banalisation »35. Cependant, la notion est « critiquée », certains intellectuels reprochent à George Mosse à la fois la non prise en compte de facteurs extérieurs à la guerre ayant participé à l'émergence de la violence dans le champs politique, mais également la généralisation à tous les soldats. Parmi les intellectuels ayant critiqué certaines thèses de George Mosse, on peut citer Antoine Prost qui publie un article en 2004 dans la revue d'Histoire intitulé « Les limites de la brutalisation : 31 DE GAULLE Charles, Le fil de l'épée, op. cit. 32 DE GAULLE Charles, Vers l'armée de métier, op.cit. 33 LLIDEL HART Basil Henry, Stratégies, Paris, Perrin, 1998, 433 pages. 34 MOSSE George, De la Grande Guerre au totalitarisme - La brutalisation des sociétés européennes, op.cit. 35 https://www.reseau-canope.fr/apocalypse-10destins/fr/dossiers-pedagogiques/lexperience-combattante.html P a g e 13 | 47 tuer sur le front occidental »36. Ainsi, de nombreux événements et figures intellectuelles ont contribué à la consolidation des théories des guerres, façonnant ainsi une discipline scientifique traitant de ce thème. En effet, la polémologie, sciences de conflits, ainsi que l'irénologie, science de la paix impulsée par Johan Galtung37, sont parties intégrantes des sciences politiques. |
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