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Les enjeux politiques et sociétaux de l'étude de la guerre dans l'enseignement et les programmes du secondaire


par Anissa LAICHI
Université de Grenoble Alpes  - Master 2 MEEF 2021
  

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1.2. Le concept de la guerre dans l'historiographie européenne.

Pour comprendre le concept de la guerre, il faut pouvoir en établir une histoire. En effet, l'écriture de la guerre est marquée par de nombreux renouvellement selon les époques. Le sujet de la guerre a toujours interrogé les historiens tels que Thucydide ou Hérodote. Ce fut un sujet considéré comme une expérience de vie dont il faut tirer des leçons et qui a permis d'enseigner la tactique et la stratégie aux hommes.

11 TERTRAIS Bruno, La guerre, Paris, Presses Universitaires de France, « Collection Que sais-je ? », 2014, 128 pages.

12 Ibidem.

13 DE GAULLE Charles, Le Fil de l'épée, Paris, Plon, « Collection les acteurs de l'Histoire », red. 1996, 142 pages.

14 DE GAULLE Charles, Vers l'armée de métier, Paris, Plon, « Collection les acteurs de l'Histoire », red. 1971, 256 pages.

15 OFFENSTADT Nicolas, L'Historiographie, Paris, Presse universitaire de France, « Collection Que sais-je ? », 2017, 127 pages.

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Selon Nicolas Offenstadt16, les récits de guerre ont longtemps été écrits par les militaires eux-mêmes. On qualifie cela d'histoire militaire car l'écriture est très stratégique, sans réelles réflexions. C'était donc une histoire-bataille, c'est-à-dire centrée sur l'événement. En cela, elle suscitait de la méfiance et subit des critiques de la part de certains historiens tels que Hans Delbrück (1848-1929) qui reproche à cette histoire écrite par les états-majors d'être trop détachée du politique, de l'économique et du culturel17.

Cette période (XIXe siècle) marquée par les écrits des généraux est donc longtemps marquée et influencée par l'approche clausewitzienne au détriment d'une prise en compte des acteurs et de leurs témoignages, éloignant ainsi les écrits de la réalité des combats. Cette tendance se perpétue tout au long du XIXe siècle jusque-là première moitié du XXe siècle. Les premiers traitements de la Grande Guerre s'opèrent selon cette approche clausewitzienne comme en témoigne l'ouvrage Penser la Grande Guerre : un essai d'historiographie d'Antoine Prost et Jay Winter18 dans lequel ils montrent qu'il y a eu trois configurations historiographiques19.

Dans un premier temps, l'histoire de la Première Guerre mondiale débute dès 1915, soit avant même que celle-ci se termine. C'est une écriture qui mêle principalement des récits militaires à des récits diplomatiques, et cette tendance se poursuit après la fin de la guerre. En témoigne ainsi la Revue d'histoire de la guerre mondiale, née en 1923, qui réunit des articles d'historiens avec des articles de généraux. Ce premier temps historiographique est marqué par l'occultation des aspects économiques. Les revues telles que Clio ou La crise européenne et la Grande Guerre ne consacrent que très peu d'articles aux dettes et aux dépenses de guerre. Pour autant, quelques historiens sont précurseurs de la deuxième configuration historiographique notamment Ernest Lavisse et Charles Seignobos. En effet, le premier, avec le dernier volume de son Histoire de la France contemporaine20, opère une approche moins centrée sur les aspects militaires et diplomatiques que sur les aspects économiques. Il en est de même pour Charles Seignobos qui suit cette tendance en montrant de l'intérêt pour les conséquences économiques de guerre en analysant la dette publique21. Aussi, cette deuxième configuration

16 Ibidem.

17 Ibidem.

18 PROST A., WINTER J., Penser la Grande Guerre. Un essai d'historiographies, Paris, Editions du Seuil, 2004, 344 pages.

19 Ibidem.

20 LAVISSE Ernest, Histoire de la France contemporaine, depuis la Révolution jusqu'à la paix de 1919, Paris, Hachette, 1922, 10 tomes.

21OFFENSTADT Nicolas, L'Historiographie, op. cit, page 23.

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historiographique se caractérise par un élargissement de l'approche à travers une reconfiguration sociale. Celle-ci s'illustre notamment avec une prise en compte des acteurs et de leurs témoignages, tels que les poilus et les civils. En collaboration, les historiens et soldats André Ducasse, Jacques Meyer, et Gabriel Perreux écrivirent l'ouvrage Vie et morts de Français, 1914-1918 en 195822 dans lequel la parole est donnée aux poilus à travers le récit de leur vie quotidienne au front, mais aussi aux civils.

Une troisième configuration historiographique de la Grande Guerre s'opère au tournant des années 1990 avec le passage d'une histoire sociale à une histoire culturelle. En effet, l'approche permet l'étude de la mémoire, mais aussi du comportement au combat. L'ouvrage de John Keegan The Face of Battle (1976) traduit cet intérêt pour le soldat en tant qu'acteur culturel notamment à travers l'étude du comportement de l'homme face au combat, avec une influence anthropologique. D'ailleurs, l'auteur déclare « La guerre est un acte culturel »23. D'autre part, des thèses d'approches culturelles sont élaborées dans cette troisième configuration. George Mosse étudie et analyse l'expérience combattante et théorise ainsi la banalisation de la violence et la brutalisation de la société à l'issue de la Première Guerre mondiale24. Ainsi, ces études moins centrées sur l'histoire militaire et davantage influencées par une approche culturelle, rendent compte des réalités sociales et sociologiques de la guerre à travers l'analyse de nouveaux types de sources (des carnets, des journaux privés, des lettres de soldats etc.), permettant de détailler le vécu des combattants.

Par la suite, le regain d'intérêt pour le soldat dans une dimension culturelle se poursuit et se distingue notamment durant la période de la microhistoria (années 1970 - 1990)25, qui caractérisait des historiens (historiens italiens au départ) ayant un fort intérêt pour les sciences sociales, tels que Giovanni Levi. Au-delà du seul traitement de la Grande Guerre, l'écriture de la guerre a pu se faire au prisme de l'histoire-bataille. C'est le courant des méthodiques (deuxième moitié du XIXe siècle) qui caractérise la période de l'histoire-bataille, à savoir une histoire centrée sur l'événement, écrite par des militaires, comme évoqué précédemment. Cette approche, bien que contribuant à l'élaboration d'un récit national, est vivement critiquée, on reproche aux méthodiques de privilégier une histoire du récit, trop technique et factuelle.

22 DUCASSE A., MEYER J., PERREUX G., Vie et mort des Français 1914-1918, Paris, Hachette, 1959, 611 pages.

23 KEEGAN John, Histoire de la guerre, Du néolithique à la guerre du Golfe, Paris, « Collection Tempus », Perrin, 2019, 620 pages.

24 MOSSE George, De la Grande Guerre au totalitarisme - La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 2003, 293 pages.

25 PROST A., WINTER J., Penser la Grande Guerre. Un essai d'historiographies, op. cit.

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La bataille en tant qu'objet de recherche ne cesse de susciter de l'intérêt et bénéficie d'un renouvellement de son traitement après les conflits mondiaux. En effet, les historiens s'interrogent sur la nature même d'une guerre. S'effectue alors un élargissement de l'approche autour de la guerre elle-même. En témoigne l'ouvrage de Georges Duby Le dimanche de Bouvines en 197326, dans lequel il accorde une plus grande importance au contexte et à la portée de la guerre. Aussi, bien que le titre laisse paraître le contraire, cet ouvrage ne s'inscrit donc pas dans le mouvement de l'histoire-bataille. Ce renouvellement survient durant le temps des Annales (années 1920 - 1970), un courant de fortes critiques à l'encontre du courant des méthodiques et de l'histoire événementielle. En effet, ce courant intellectuel né d'une revue du même nom, se caractérise par une mise en avant de l'interdisciplinarité mais aussi par une promotion de l'histoire économique et sociale, à l'inverse des méthodiques (années 1870 -1920) qui sont centrés sur le fait historique. Du fait de cette interdisciplinarité, l'écriture de l'histoire de la guerre est davantage marquée par l'influence de la sociologie. L'approche sociologique (années 1980) permet un élargissement des recherches aboutissant sur de nouvelles observations. La Nouvelle histoire-bataille témoigne de cette approche sociologique, comme l'évoque Nicolas Offenstadt dans L'Historiographie, puisqu'elle s'intéresse principalement aux acteurs « d'en bas ». Jusque-là l'histoire bataille est centrée sur « l'histoire des combats vue d'en haut ». Cette Nouvelle histoire-bataille vise au contraire à analyser l'expérience du combat mais également les relations ainsi que les pratiques durant la guerre (telles que le ravitaillement). En témoigne par exemple l'ouvrage de Victor Hanson, The Western Way of War Infantry Battle in Classical Greece écrit en 198927, dans lequel celui-ci étudie l'expérience de l'hoplite au combat ainsi que ses pratiques militaires durant l'Antiquité. En outre, le renforcement de l'approche sociologique dans l'histoire de la guerre a conduit à exploiter des documents produits par les soldats (lettre, journal de bord etc.), contribuant ainsi à la prise en compte de nouvelles sources historiques. Aussi, l'approche sociologique a permis d'interroger les violences de guerre jusque-là occultées. Avec son ouvrage Charonne 8 février 1962. Anthropologie historique d'un massacre d'Etat, Alain Dewerpe tente d'analyser la violence en temps de guerre (ici, guerre d'Algérie)28.

De plus, l'évolution des recherches liées à la guerre se lit au regard du contexte

26 DUBY George, Le dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard, 1973, 312 pages.

27 HANSON Victor, The Western Way of War : Infantry Battle in Classical Greece, California, University of California Press, 2009, 271 pages.

28 DEWERPE Alain, Charonne 8 février 1962 : Anthropologie historique d'un massacre d'Etat, Paris, Gallimard, 2006, 897 pages.

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international. En effet, un certain intérêt pour l'histoire de la guerre s'opère en réaction aux conflits internationaux comme c'est notamment le cas dans les années 1980 - 1990 au moment de la chute de l'URSS. Dans un contexte mondialement marqué par les conflits, l'histoire des relations internationales se renforce. Initialement, ce sont les historiens de l'école des Annales qui développèrent l'histoire diplomatique avant qu'elle ne devienne une histoire des relations internationales. En France, Pierre Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle soutiennent ce développement et cet élargissement des études diplomatiques qui se traduisent par exemple avec l'ouvrage de Raymond Aron intitulé Paix et guerre entre les nations29.

Par conséquent, au cours du XIXe et XXe siècle, l'histoire de la guerre témoigne de diverses approches qui ont permis à la fois d'approfondir la définition même de ce concept, mais également d'interroger de nouveaux aspects inhérents à celui-ci.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams