1.1. La théorisation du concept de guerre : de
multiples recherches scientifiques.
Pour commencer, nous allons étayer la
théorisation du concept de guerre en évoquant certaines des
recherches scientifiques dont elle a fait l'objet. L'analyse et le
questionnement du concept de guerre en France s'inscrivent dans de larges
études et débats qui participent à la théorisation
de ce concept. Nous pouvons préciser que la guerre est un concept
puisqu'elle est une représentation abstraite d'un ensemble de
perceptions associées au conflit, à la violence, mais
également au désaccord. Toutefois, les réflexions autour
de ce concept ont donné lieu à de multiples notions telles que la
guerre juste et la guerre totale.
Nous pouvons ainsi aborder les recherches scientifiques autour
de la guerre à travers les travaux de Carl Von Clausewitz. Carl Philipp
Gottlieb von Clausewitz est un officier ayant vécu à la fin du
XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Ce
théoricien est célèbre pour ses écrits militaires,
principalement pour son traité de stratégie intitulé
De la guerre1. Cette oeuvre a une influence
considérable dans le domaine des sciences politiques et militaires, et
contribue ainsi à la définition du concept de guerre.
Cette oeuvre de la pensée de la guerre est
rédigée entre 1816 et 1830 alors que l'auteur devint directeur
des études de l'Académie militaire de Berlin après avoir
combattu durant les guerres napoléoniennes. L'ouvrage est une
conceptualisation de la guerre à travers laquelle Carl von Clausewitz
s'appuie sur diverses théories, façonnant ainsi la
définition de la guerre. Tout au long de son exposé, l'auteur
soulève plusieurs caractéristiques de la guerre qui la rendent
effective. Parmi elles, nous pouvons développer le caractère
politique en nous appuyons sur une de ses citations, tirée de son
ouvrage De la guerre « La guerre d'une communauté de
peuples entiers et notamment des nations civilisées surgit toujours
d'une situation politique et n'éclatera que pour un motif politique.
Elle est donc un acte politique. [...] Nous voyons donc que la guerre n'est pas
seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une
continuation des relations politiques, un accomplissement de celles-ci par
d'autres moyens2 ».
1 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre,
Paris, Les éditions de Minuits, « Collection Arguments », red.
1955, 760 pages.
2 Ibidem.
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Par cette définition, Carl Clausewitz affirme que la
guerre n'est pas autonome, et qu'elle répond à des objectifs et
des intentions préalablement établis par un groupe d'hommes. De
ce fait, on apprend que la guerre est le résultat d'un jeu
d'intérêt entre plusieurs groupes d'hommes. D'ailleurs, par la
dénomination de « communauté de peuples entiers », le
théoricien militaire introduit ainsi un principe populaire qui rentre
dans le jeu de la guerre ; selon lui, cela s'explique principalement par le
contexte qui continue d'animer la scène publique, à savoir un
contexte marqué par des mouvements politiques et sociaux de la
Révolution française.
D'autre part, une autre caractéristique de la guerre
est mise en lumière par Carl von Clausewitz et s'illustre à
travers la citation suivante « La guerre est un acte de violence
engagé pour contraindre l'adversaire à se soumettre à
notre volonté [...] Pour atteindre cette fin avec certitude nous devons
désarmer l'ennemi. [...] La guerre est un acte de violence, et l'emploi
de celle-ci ne connaît pas de limites. [...] La guerre du temps
présent est une guerre de tous contre tous. Ce n'est pas un roi qui fait
la guerre à un autre roi, ni une armée qui fait la guerre
à une autre armée, mais tout un peuple qui fait la guerre
à un autre peuple. ». Par-delà, Carl von Clausewitz souligne
la manifestation de la violence dans la guerre. En effet, le militaire s'est
intéressé dans son ouvrage aux « guerres populaires »
telles que la guérilla espagnole durant la guerre d'indépendance
espagnole, dans lesquelles il voit une « radicalisation de la violence
»3.
Dans le même temps, le théoricien militaire
soulève les enjeux d'organisations étatiques et sociales mises en
place pour mener une guerre. De fait, la violence n'est plus centrale dans le
déploiement de la guerre, elle apparait comme complémentaire
à toute une organisation. D'ailleurs, on l'observe durant la
Première Guerre mondiale, qui est une guerre totale4 dont le
but est de vaincre les ennemis grâce à une organisation sociale
soumise aux moyens de la guerre. Ceci s'illustre notamment par le travail des
femmes durant cette période (1914-1918) permettant la mobilisation des
hommes sur le front.
Ce traité de stratégie militaire a permis une
théorisation de la guerre contemporaine. Cependant, le concept de la
guerre a été l'objet de renouvellement et de controverses en
France. Des chercheurs questionnent et interrogent les définitions du
célèbre théoricien. Certains d'entre eux reprennent
certaines de ses définitions et les contestent. Il existe aujourd'hui
trois conceptions de la guerre. Raymond Aron a été l'un des
chercheurs qui ont interrogé la conception de la guerre de Carl Von
Clausewitz. À propos de la guerre, il a surnommé « La
Formule » ce qui faisait référence à la
définition de la guerre héritée de Carl von Clausewitz,
3 PELPRAS Samuel, « Penser la guerre avec
Clausewitz ? », GeopoWeb, 29 mai 2017.
4 LUDENDORFF Erich, La guerre totale, Paris,
Perrin, « Collection Tempus », red.2014, 224 pages.
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soit « La guerre est une simple continuation de la politique
par d'autres moyens »5.
Bien que Carl von Clausewitz s'est attaché à
analyser et comprendre le concept de la guerre, de nombreux points de
divergence sont soulevés par Raymond Aron concernant les
définitions de la guerre6. En effet, selon lui « La
Formule » du théoricien soulève trois définitions
possibles de la guerre à savoir ;
- « La guerre d'une communauté - de peuples
entiers et notamment des nations civilisées - surgit toujours d'une
situation politique et n'éclatera que pour un motif politique. Elle est
donc un acte politique ».
- « La guerre est un acte de violence, et l'emploi de
celle-ci ne connaît pas de limites. Chacun des adversaires impose sa loi
à l'autre. Il en résulte une interaction qui, selon la nature de
son concept, doit forcément conduire aux extrêmes. »
- « La guerre n'est rien d'autre qu'un duel
amplifié. Si nous voulons saisir comme une unité
l'infinité des duels particuliers dont elle se compose
»7.
Certains éléments soulevés apparaissent
désordonnés. Tout d'abord, lorsque Clausewitz avance que la
guerre est la « continuation de la politique », il ne définit
pas le terme « politique » laissant place à la confusion.
Aussi, il avance que la guerre est un instrument politique, or dans un autre
élément de définition il affirme que la guerre est le
résultat d'une interaction entre deux groupes d'hommes, cela apparait
confus8.
Ces questionnements modifient la perception que l'on peut
avoir de la manifestation de la guerre, c'est-à-dire soit un moment
violent entre deux groupes d'hommes, soit une « forme que prennent les
relations entre groupes organisés (...) une forme alternative des
relations entre les hommes »9. Malgré certaines
confusions soulevées par Raymond Aron, il est cependant possible
à ce stade d'identifier une caractéristique majeure de la guerre
selon Carl von Clausewitz : elle est tout à la fois un instrument
politique donnant lieu à une confrontation violente des armées et
une « des formes que prennent les interactions bilatérales entre
groupes organisés »10.
5 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre,
op.cit.
6 ARON RAYMOND, Penser la guerre,
Clausewitz, Gallimard, « Collection Bibliothèque des sciences
humaines », 1976, 480 pages.
7 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre,
op.cit.
8 ARON Raymond, Penser la guerre, Clausewitz,
op. cit.
9 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, Paris,
op. cit.
10 SCHU Adrien, « Qu'est-ce que la guerre ?
Une réinterprétation de la « Formule » de Carl von
Clausewitz », Revue française de science politique, 2017
(Vol.67), p 291 - 308.
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Par ailleurs, Carl von Clausewitz ainsi que d'autres penseurs
ont tenté de rendre compte de la diversité de la forme des
guerres au cours du temps. Aujourd'hui, on associe le concept de guerre
à un « combat intense, animé par une forte volonté
politique »11. Communément, la guerre désigne
« un conflit armé à grande échelle opposant au moins
deux groupes humains »12. Dorénavant, on distingue la
guerre conventionnelle, soit la guerre classique précédemment
définie, de la guerre non-conventionnelle telle que la guérilla
qui a la particularité d'illustrer un combat asymétrique.
D'autres théorisations de la guerre ont donc fait suite
à celles de Carl von Clausewitz. Des hommes politiques tels que
Lénine, Mao Zedong, ou Charles de Gaulle participent au
développement de la pensée de la guerre. Charles de Gaulle par
exemple, écrit des oeuvres militaires telles que Le Fil de
l'épée (1932)13 mais aussi Vers
l'armée de métier (1934)14. Dans ces deux
ouvrages, le secrétaire général de la Défense
nationale développe des théories militaires notamment sur
l'importance du renseignement en temps de guerre, mais aussi sur l'importance
de recourir à la modernisation des moyens de guerre15. Les
nombreuses recherches sur le concept de guerre ont donné naissance
à une discipline à part entière appelée «
polémologie » impulsée par le sociologue Gaston Bouthoul.
Le concept de guerre est ainsi marqué par de multiples
définitions qui ont évolué au fil du temps, mais surtout,
qui témoignent des évolutions diverses et variées du
phénomène guerrier. Dorénavant, la guerre ne se
définit plus seulement selon les théories de Clausewitz.
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