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Les enjeux politiques et sociétaux de l'étude de la guerre dans l'enseignement et les programmes du secondaire


par Anissa LAICHI
Université de Grenoble Alpes  - Master 2 MEEF 2021
  

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1.1. La théorisation du concept de guerre : de multiples recherches scientifiques.

Pour commencer, nous allons étayer la théorisation du concept de guerre en évoquant certaines des recherches scientifiques dont elle a fait l'objet. L'analyse et le questionnement du concept de guerre en France s'inscrivent dans de larges études et débats qui participent à la théorisation de ce concept. Nous pouvons préciser que la guerre est un concept puisqu'elle est une représentation abstraite d'un ensemble de perceptions associées au conflit, à la violence, mais également au désaccord. Toutefois, les réflexions autour de ce concept ont donné lieu à de multiples notions telles que la guerre juste et la guerre totale.

Nous pouvons ainsi aborder les recherches scientifiques autour de la guerre à travers les travaux de Carl Von Clausewitz. Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz est un officier ayant vécu à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Ce théoricien est célèbre pour ses écrits militaires, principalement pour son traité de stratégie intitulé De la guerre1. Cette oeuvre a une influence considérable dans le domaine des sciences politiques et militaires, et contribue ainsi à la définition du concept de guerre.

Cette oeuvre de la pensée de la guerre est rédigée entre 1816 et 1830 alors que l'auteur devint directeur des études de l'Académie militaire de Berlin après avoir combattu durant les guerres napoléoniennes. L'ouvrage est une conceptualisation de la guerre à travers laquelle Carl von Clausewitz s'appuie sur diverses théories, façonnant ainsi la définition de la guerre. Tout au long de son exposé, l'auteur soulève plusieurs caractéristiques de la guerre qui la rendent effective. Parmi elles, nous pouvons développer le caractère politique en nous appuyons sur une de ses citations, tirée de son ouvrage De la guerre « La guerre d'une communauté de peuples entiers et notamment des nations civilisées surgit toujours d'une situation politique et n'éclatera que pour un motif politique. Elle est donc un acte politique. [...] Nous voyons donc que la guerre n'est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une continuation des relations politiques, un accomplissement de celles-ci par d'autres moyens2 ».

1 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, Paris, Les éditions de Minuits, « Collection Arguments », red. 1955, 760 pages.

2 Ibidem.

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Par cette définition, Carl Clausewitz affirme que la guerre n'est pas autonome, et qu'elle répond à des objectifs et des intentions préalablement établis par un groupe d'hommes. De ce fait, on apprend que la guerre est le résultat d'un jeu d'intérêt entre plusieurs groupes d'hommes. D'ailleurs, par la dénomination de « communauté de peuples entiers », le théoricien militaire introduit ainsi un principe populaire qui rentre dans le jeu de la guerre ; selon lui, cela s'explique principalement par le contexte qui continue d'animer la scène publique, à savoir un contexte marqué par des mouvements politiques et sociaux de la Révolution française.

D'autre part, une autre caractéristique de la guerre est mise en lumière par Carl von Clausewitz et s'illustre à travers la citation suivante « La guerre est un acte de violence engagé pour contraindre l'adversaire à se soumettre à notre volonté [...] Pour atteindre cette fin avec certitude nous devons désarmer l'ennemi. [...] La guerre est un acte de violence, et l'emploi de celle-ci ne connaît pas de limites. [...] La guerre du temps présent est une guerre de tous contre tous. Ce n'est pas un roi qui fait la guerre à un autre roi, ni une armée qui fait la guerre à une autre armée, mais tout un peuple qui fait la guerre à un autre peuple. ». Par-delà, Carl von Clausewitz souligne la manifestation de la violence dans la guerre. En effet, le militaire s'est intéressé dans son ouvrage aux « guerres populaires » telles que la guérilla espagnole durant la guerre d'indépendance espagnole, dans lesquelles il voit une « radicalisation de la violence »3.

Dans le même temps, le théoricien militaire soulève les enjeux d'organisations étatiques et sociales mises en place pour mener une guerre. De fait, la violence n'est plus centrale dans le déploiement de la guerre, elle apparait comme complémentaire à toute une organisation. D'ailleurs, on l'observe durant la Première Guerre mondiale, qui est une guerre totale4 dont le but est de vaincre les ennemis grâce à une organisation sociale soumise aux moyens de la guerre. Ceci s'illustre notamment par le travail des femmes durant cette période (1914-1918) permettant la mobilisation des hommes sur le front.

Ce traité de stratégie militaire a permis une théorisation de la guerre contemporaine. Cependant, le concept de la guerre a été l'objet de renouvellement et de controverses en France. Des chercheurs questionnent et interrogent les définitions du célèbre théoricien. Certains d'entre eux reprennent certaines de ses définitions et les contestent. Il existe aujourd'hui trois conceptions de la guerre. Raymond Aron a été l'un des chercheurs qui ont interrogé la conception de la guerre de Carl Von Clausewitz. À propos de la guerre, il a surnommé « La Formule » ce qui faisait référence à la définition de la guerre héritée de Carl von Clausewitz,

3 PELPRAS Samuel, « Penser la guerre avec Clausewitz ? », GeopoWeb, 29 mai 2017.

4 LUDENDORFF Erich, La guerre totale, Paris, Perrin, « Collection Tempus », red.2014, 224 pages.

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soit « La guerre est une simple continuation de la politique par d'autres moyens »5.

Bien que Carl von Clausewitz s'est attaché à analyser et comprendre le concept de la guerre, de nombreux points de divergence sont soulevés par Raymond Aron concernant les définitions de la guerre6. En effet, selon lui « La Formule » du théoricien soulève trois définitions possibles de la guerre à savoir ;

- « La guerre d'une communauté - de peuples entiers et notamment des nations civilisées - surgit toujours d'une situation politique et n'éclatera que pour un motif politique. Elle est donc un acte politique ».

- « La guerre est un acte de violence, et l'emploi de celle-ci ne connaît pas de limites. Chacun des adversaires impose sa loi à l'autre. Il en résulte une interaction qui, selon la nature de son concept, doit forcément conduire aux extrêmes. »

- « La guerre n'est rien d'autre qu'un duel amplifié. Si nous voulons saisir comme une unité l'infinité des duels particuliers dont elle se compose »7.

Certains éléments soulevés apparaissent désordonnés. Tout d'abord, lorsque Clausewitz avance que la guerre est la « continuation de la politique », il ne définit pas le terme « politique » laissant place à la confusion. Aussi, il avance que la guerre est un instrument politique, or dans un autre élément de définition il affirme que la guerre est le résultat d'une interaction entre deux groupes d'hommes, cela apparait confus8.

Ces questionnements modifient la perception que l'on peut avoir de la manifestation de la guerre, c'est-à-dire soit un moment violent entre deux groupes d'hommes, soit une « forme que prennent les relations entre groupes organisés (...) une forme alternative des relations entre les hommes »9. Malgré certaines confusions soulevées par Raymond Aron, il est cependant possible à ce stade d'identifier une caractéristique majeure de la guerre selon Carl von Clausewitz : elle est tout à la fois un instrument politique donnant lieu à une confrontation violente des armées et une « des formes que prennent les interactions bilatérales entre groupes organisés »10.

5 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, op.cit.

6 ARON RAYMOND, Penser la guerre, Clausewitz, Gallimard, « Collection Bibliothèque des sciences humaines », 1976, 480 pages.

7 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, op.cit.

8 ARON Raymond, Penser la guerre, Clausewitz, op. cit.

9 VON CLAUSEWITZ Carl, De la guerre, Paris, op. cit.

10 SCHU Adrien, « Qu'est-ce que la guerre ? Une réinterprétation de la « Formule » de Carl von Clausewitz », Revue française de science politique, 2017 (Vol.67), p 291 - 308.

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Par ailleurs, Carl von Clausewitz ainsi que d'autres penseurs ont tenté de rendre compte de la diversité de la forme des guerres au cours du temps. Aujourd'hui, on associe le concept de guerre à un « combat intense, animé par une forte volonté politique »11. Communément, la guerre désigne « un conflit armé à grande échelle opposant au moins deux groupes humains »12. Dorénavant, on distingue la guerre conventionnelle, soit la guerre classique précédemment définie, de la guerre non-conventionnelle telle que la guérilla qui a la particularité d'illustrer un combat asymétrique.

D'autres théorisations de la guerre ont donc fait suite à celles de Carl von Clausewitz. Des hommes politiques tels que Lénine, Mao Zedong, ou Charles de Gaulle participent au développement de la pensée de la guerre. Charles de Gaulle par exemple, écrit des oeuvres militaires telles que Le Fil de l'épée (1932)13 mais aussi Vers l'armée de métier (1934)14. Dans ces deux ouvrages, le secrétaire général de la Défense nationale développe des théories militaires notamment sur l'importance du renseignement en temps de guerre, mais aussi sur l'importance de recourir à la modernisation des moyens de guerre15. Les nombreuses recherches sur le concept de guerre ont donné naissance à une discipline à part entière appelée « polémologie » impulsée par le sociologue Gaston Bouthoul.

Le concept de guerre est ainsi marqué par de multiples définitions qui ont évolué au fil du temps, mais surtout, qui témoignent des évolutions diverses et variées du phénomène guerrier. Dorénavant, la guerre ne se définit plus seulement selon les théories de Clausewitz.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe