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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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VI- Conclusions des analyses longitudinales des cinq versions

Les analyses longitudinales des cinq versions font apparaître un certain nombre de points communs :

- Les divergences d'interprétation sont fréquentes chez les spectateurs, et cela dans de nombreux domaines : les objets de décoration, les costumes, les personnages (leur physique et leur personnalité), le montage, etc. Un même élément peut non seulement être interprété différemment selon les spectateurs mais, en plus, dans un sens opposé à celui souhaité par le réalisateur.

- L'influence des éléments filmiques sur la construction du sens du film est, selon le spectateur, à la fois variable dans son contenu et dans sa force. Un élément jugé primordial par un spectateur peut passer totalement inaperçu pour d'autres.

- Même lorsqu'ils sont ni vagues, ni ambigus, les signes sont souvent interprétés de multiples façons par le spectateur. Leur combinaison au sein d'un plan, d'une séquence, d'un film en entier est donc polysémique. En revanche, lorsqu'un signe est très précis, simple, explicite, socialement reconnu, donc proche d'un signal, il peut bouleverser la cohérence de la série des significations générées par les autres éléments filmiques et donc orienter la plupart des spectateurs vers le sens global du film souhaité par le réalisateur. Une interprétation commune, ou presque, à tous les spectateurs est généralement provoquée par un élément filmique à fort impact, mis en valeur ostensiblement par le réalisateur et répondant à des normes partagées par tous. Autrement dit, pour qu'un élément filmique ait l'effet escompté par le réalisateur, il faut qu'il soit à la fois mis en valeur, par exemple par un gros plan, et partagé par le spectateur. Dans le cas contraire, soit il passe inaperçu, soit il est remarqué mais interprété dans un sens différent.

- Dans un plan, et donc plus encore dans un film, les signes porteurs de sens sont innombrables. Ils sont généralement placés avec beaucoup de soin par le réalisateur avec une intention de communiquer. Or, plus qu'un signe isolé, c'est la combinaison de ces signes qui est porteuse de sens. Il n'est donc pas anormal que les plans, et les éléments filmiques, qui ont le plus d'effets soient généralement ceux qui viennent en conflit avec ceux qui précèdent.

- Parmi les éléments filmiques qui influent sur la perception et la compréhension du film par le spectateur, la structure narrative est l'un plus des importants. Toute ambiguïté narrative bouleverse le sens global et conduit à de multiples interprétations.

- En revanche, les plans qui n'ont pas d'effet particulier sur les spectateurs sont principalement ceux qui préservent la continuité narrative. Toutefois, il ne faut pas conclure que les plans «apparemment sans effet particulier» soient inutiles. L'accumulation par le réalisateur d'éléments filmiques complémentaires facilite chez le spectateur la construction progressive du sens, sans préjuger du fait que ce sens soit celui souhaité par le réalisateur.

- Le faible niveau de connaissances techniques des spectateurs en matière de codes cinématographiques, de montage notamment, est surprenant dans une population jeune et d'un niveau supérieur d'éducation. Les codes filmiques de la bande image, même les plus classiques et courants, sont peu connus des spectateurs : par exemple, le fondu au noir. Ce faible niveau est en complet décalage avec la haute idée que certains spectateurs se font de leur culture cinématographique.

- Bien que très peu de participants aux groupes de discussion aient une réelle culture cinématographique, ces rares spectateurs ont utilisé leurs connaissances pour anticiper la suite du film, pour construire leur récit, pour classer le film dans un genre et juger de sa qualité. Il est à noter que leurs avis s'opposaient fréquemment à ceux des autres spectateurs.

La culture cinématographique des spectateurs modifie la perception et la compréhension des signes utilisés par le réalisateur. En conséquence, la perception filmique est bien une construction complexe de l'esprit dans laquelle interviennent non seulement les données sensorielles, les éléments fournis par les sens, mais aussi les connaissances cinématographiques du spectateur et, plus largement, son expérience passée, ses attentes, ses motivations, son affectivité, sa personnalité, son appartenance sociale, etc.

- Chaque spectateur a tendance à créer un récit qui lui est propre à partir de la même combinaison d'éléments sensoriels. Pour paraphraser Christian Metz, on peut dire que « ce n'est pas le film qui est polysémique, mais le spectateur ».

- L'influence de la culture télévisuelle et les fréquentes références aux téléfilms et séries ont tendance à brouiller les interprétations des éléments codiques du montage cinématographique. La culture audiovisuelle des spectateurs est très influencée par la diffusion de fictions en dehors des salles de cinéma (téléfilms, séries, films en DVD ou en cassettes, films diffusés à la télévision, etc.) ce qui explique que les codes de la bande image soient de moins en moins connus ou apparaissent parfois comme démodés.

- Le fait de ne pas connaître le genre cinématographique auquel appartient le film avant son visionnage multiplie les possibilités d'interprétation du sens du film. Le film a un commencement et une fin contrairement à l'expérience cinématographique du spectateur. En effet, le spectateur vient voir un film de métrage déterminé (court, moyen, long) avec sa personnalité et son expérience de la vie, visionne le film proposé par le réalisateur du début jusqu'à la fin. A partir de cette fin, il construit sa propre fin de l'histoire, histoire qui peut évoluer au cours du temps quitte à être en décalage complet avec le début du récit alors oublié.

- Les débats, les échanges lors des discussions de la fin de la première partie et de la fin du film, ne changent pas réellement l'interprétation des spectateurs pris individuellement comme si ces derniers suivaient le fil de leur pensée, le fil du récit personnel qu'ils avaient construit tout au long du visionnage. Plus le spectateur avance dans le film, plus il lui est difficile d'accepter un changement brutal de sens, plus il est nécessaire que le conflit soit fort avec ce qui précède pour qu'il détruise son récit pour le reconstruire sur d'autres bases.

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