Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
D- L'approche sémio-contextuelleDe nombreuses recherches ont montré l'importance de la contextualisation dans la genèse du sens des communications. Comme le rappellent Mucchielli, Corbalan et Ferrandez48(*) (1998, pp.15-16) : d'une part, « le sens d'une parole dépend des conditions dans lesquelles elle est prononcée », d'autre part « le sens n'est pas séparable des conditions de sa production ». Autrement dit : « Le sens est un « construit », une émergence. Ce n'est pas un effet déterminé par des causes, c'est une résultante provisoire de significations prises par les « productions » faites dans des contextes. » (Corbalan, 2003). Les recherches en sciences de la communication ont explicité les différents contextes d'une situation. Toute situation est constituée de sept contextes, tous ces concepts étant présents en même temps et enchevêtrés entre eux (Mucchielli, 2001, p.128). Les contextes qu'il faut considérer sont : - le contexte spatial (ce qui est dit prend un sens par rapport à la disposition du lieu et à ses contraintes s'imposant à tous) ; - le contexte physique et sensoriel (ce qui est dit prend un sens par rapport à l'ensemble des éléments sensoriels qui arrivent aux différents sens : vue, ouïe, odorat, toucher, goût) ; - le contexte temporel (ce qui est dit à tel moment prend un sens par rapport à ce qui s'est dit avant) ; - le contexte des positions respectives des acteurs (ce qui est dit prend un sens par rapport aux positionnements des acteurs entre eux) ; - le contexte relationnel social immédiat (ce qui est dit prend un sens par rapport à la qualité de la relation entre les acteurs et prend un sens dans l'ensemble du système interactionnel créé) ; - le contexte culturel ou subculturel de référence aux normes et règles collectivement partagées (ce qui est dit prend un sens par rapport à ces normes appelées ou construites au cours des échanges) ; - le contexte expressif des identités des acteurs (ce qui est dit prend un sens par rapport à ce que l'on sait ou à ce qui est affiché des intentions et des enjeux des acteurs en présence). » Le sens global de l'action est une résultante de significations prises par l'action de communication faite dans ces contextes. Autrement dit, en intervenant sur ces différents contextes, les acteurs vont transformer les contextes et ainsi vont participer à la construction du sens. Ce travail sur un contexte, cette transformation qui ajoute de la valeur est appelé un processus. « La communication est alors un processus qui travaille ces différents contextes, c'est-à-dire qu'elle fait apparaître/disparaître des objets cognitifs dans ces contextes. En définitive, la situation change donc et des phénomènes émergents de sens apparaissent » (Mucchielli, 2001, p.129). 1. Les processus de contextualisation spatiale Un travail ou une action sur le contexte spatial est un processus de contextualisation spatiale. Il est particulièrement important dans le domaine cinématographique et peut s'effectuer à plusieurs niveaux, selon plusieurs cadrages, notamment : - à celui des spectateurs et de la salle de cinéma, par exemple, cette dernière est-elle en centre-ville ou dans un complexe multisalles dans un centre commercial ou encore dans un quartier très particulier (Pigalle, par exemple), la salle est-elle spécialisée dans tel ou tel genre de films ? La salle est-elle éloignée du domicile des spectateurs, d'une station de transport en commun, propose-t-elle à ses clients un parking gratuit ?, etc . ; - à celui du spectateur et des autres spectateurs, ainsi la taille de la salle, la disposition spatiale de la salle, la taille de l'écran, la distance entre l'écran et la première rangée de sièges, seront porteurs de sens, etc. ; - à celui du spectateur et le film lui-même, etc.. Louis Skorecki (2001, p.53-54) explique que les cinéphiles des années soixante se reconnaissaient non seulement par ce qu'ils fréquentaient les mêmes salles obscures49(*) mais aussi par le fait qu'ils occupaient le même espace : celui des trois ou cinq premiers rangs de la salle. Il ne s'agissait pas, selon lui, seulement de se reconnaître entre cinéphiles avancés mais de respecter un rite et, surtout, de percevoir le film d'une autre façon : « Quand on se trouve si près de l'écran (et la place ne variera pas avec la taille de l'écran, c'est une place rituelle et symbolique), il y a quelque chose qu'on ne voit pas, qu'on ne peut (ni ne veut) voir : c'est le cadre. Sans recul, on entre, on essaie d'entrer dans le film. On s'oublie, on s'y noie, on s'y vautre pour oublier ce cadre essentiel, pour devenir aveugles ». A un autre niveau, même si l'exemple cité par Mucchielli et al. (1998, p.33) ne concerne pas uniquement la mise en scène filmique, on ne peut s'empêcher d'y songer en lisant : « Faire venir un acteur dans un lieu, disposer le lieu de telle et telle façon, contraindre (ou libérer) les postures ou les regards, contraindre la parole par des artifices techniques ou matériels, attribuer des places dans l'espace, permettre ou non tels ou tels types de mouvements ou de déplacements...sont des processus de contextualisation spatiale, participant à la mise en scène, qui interviendront ensuite sur le sens des communications que feront tel ou tel acteur dans la scène. Le metteur en scène est donc fondamentalement un communicateur, c'est-à-dire quelqu'un qui manipule des processus de communication spatiale et sensorielle pour favoriser les effets de sens qu'il attend ». Comment, en effet, ne pas songer à la mise en scène filmique, aux gestes, aux postures, à la distance entre deux comédiens, mais aussi aux décors intérieurs et extérieurs, etc. ? En outre, dans un film, l'importance de l'espace vient du fait qu'il saute aux yeux, que le spectateur ne peut pas y échapper contrairement à un lecteur qui peut survoler ou passer les pages d'un roman pour éviter la lecture d'une description qui lui semble fastidieuse et inutile. L'espace est porteur de signification au même titre que le temps, ces deux contextes servant toujours de contexte : « Le temps et l'espace sont, nous le savons depuis Kant, les formes a priori de notre sensibilité ». Le contexte spatial se manipule de différentes façons dans un film. « Le type d'espace dans lequel se déroule l'action d'un film en est une première caractérisation. Un espace intérieur annoncera une comédie ou un drame psychologique. Un espace extérieur et pluriel, ce sera un western ou un film d'aventure » (Roche et Taranger, 1999, p.95). Les espaces caractéristiques du genre policier sont également bien connus depuis l'étude d'Olivier Philippe (1999) : les hôtels et postes de police, les palais de justice, les endroits troubles (bars, boîtes de nuit, clubs, bars américains, cabarets, etc.), la rue, etc. Ceux des genres érotique et pornographique le sont également suite au recensement de Gérard Lenne (2002, p.33) qui associa à chacun des espaces possibles des personnages, des motivations et des fantasmes: « En matière d'érotisme, il n'y a pas mille schémas possibles. (...) La gamme des scénarios possibles combine un certain nombre de lieux et de décors classiques. Ce seront : - Le domicile, la maisonnée, l'ambiance domestique (villas, chambres à coucher, salles de bains, cuisines, piscines..) S'y croisent servantes et valets, maîtres et maîtresses (intérêt fétichiste du costume, de la livrée). - L'hôtel, de préférence de luxe, bref le palace, zone neutre qui a l'intérêt de conjuguer toutes les commodités du confort et une garantie de l'anonymat, de clandestinité. - Les moyens de transports, le plus souvent avions, parfois trains ou yachts, plus rarement paquebots (huis clos souvent de luxe). Figure incontournablement phantasmique, l'hôtesse de l'air. - Le milieu hospitalier et médical, les hôpitaux et les cliniques (avec tout le personnel en blouse blanche : médecins, infirmières, etc.). Intérêt du problème idéal à résoudre : le problème d'érection. Personnage hyper-érotisé : l'infirmière. - L'univers de la prostitution. (...) Mythe éternel de la courtisane, de l'experte vénale... - Le show-biz : le cinéma, le music-hall...Cumule les avantages, le prestige du monde du spectacle et les attraits de l'érotisme. - Le monde policier et pénitentiaire. Internement, prisons, cellules, fouilles, promiscuité, sévices... : tout ce qui convient à une thématique proche du sadomasochisme. - Le monde du travail. Rarement l'usine, parfois le garage (surtout dans la thématique gay) ou bien la campagne (la ferme, les granges, les meules de foin), mais par-dessus tout le bureau : relations entre patrons et secrétaires, droit de cuissage, etc. - La société sportive et vacancière. Le gymnase, la kinésithérapie et les massages. La plage, les vacances, la piscine, le farniente (avantage de la nudité facile, rapide et justifiée). Intérêt accru pour les amateurs de muscles (dimension importante dans le porno gay). » Dans cette description de Lenne, apparaît en filigrane un principe de la théorie des processus de communication sur lequel nous reviendrons à propos d'autres genres cinématographiques : celui selon lequel la manipulation des contextes devra être effectuée dans un esprit combinatoire. Les éléments spatiaux peuvent également faire appel à l'imagerie traditionnelle. Ainsi, Takeshi Kitano, interrogé par Ciment (2003, p.656) sur les raisons de l'utilisation dans son film Hana-Bi des stéréotypes visuels du Japon tels que les cerisiers en fleur, le Mont Fuji et les paysages enneigée, répondit : « Si je me suis servi de ces conventions pour le périple du couple, c'est qu'ils font pour la première fois un voyage ensemble. Et lorsque des gens mariés entreprennent ce genre de visite, ils choisissent généralement les lieux typiques du tourisme». Mais cette explication n'est bonne que pour les japonais. Pour un spectateur ignorant la culture japonaise, l'interprétation sera différente, sûrement moins coutumière que géographique. 2. Les processus de contextualisation physique et sensorielle Ces modifications du contexte physique et sensoriel concernent tous les organes sensoriels : vue, ouïe, odorat, toucher et goût. Un acteur « communique par et à travers tous ses organes sensoriels et des variations mettant en cause ce qu'il perçoit à travers ses organes des sens, ou modifiant les modalités de ses perceptions, interviennent et font changer le sens. » (Mucchielli et al., 1998, p.38). Au cinéma, la vue et l'ouïe sont, bien sûr, les sens les plus travaillés et sollicités (nous n'y reviendrons pas : voir les analyses de la bande image et de la bande son) mais des expériences ont été réalisées dans le domaine olfactif et dans le domaine du toucher, notamment grâce à des sièges mobiles, associés ou non à des systèmes tels que IMAX ou OMIMAX (Larouche, 1992, p.257-265) qui optimisent l'image et le son. En outre, les réalisateurs peuvent utiliser des pièges à regard que Leutrat (1988) décrit dans son ouvrage intitulé Kaléidoscope : « photographies, miroirs, effet stroboscopique, symétries, contrapposto, trompe-l'oeil, tableaux vivants, dos de femmes, etc. ». Dans un cadre plus large, et plus simplement, le fait que des pop corn très odorants soient consommés dans la salle de cinéma contribue au sens du film, éventuellement positivement du point de vue du spectateur qui prend plaisir à déguster ses friandises préférées et négativement pour son voisin dont l'attention est détournée par l'odeur, les mouvements et le bruit engendrés par le gourmand. 3. Les processus de contextualisation temporelle La dimension temporelle de la situation de communication est également présente dans le cinéma à plusieurs titres. Elle concerne le moment où se déroule l'action mais aussi la dynamique de la série d'actions (avant, pendant, après l'événement). Autrement dit, pour une situation cinématographique, elle intervient à au moins deux niveaux : - pour le spectateur en tant que tel, - entre les personnages du film. Dans le premier cas, le fait pour un spectateur d'aller au cinéma, le matin, dans l'après-midi, dans la soirée, à la dernière séance crée du sens. Toujours dans le premier cas, le fait d'aller dîner au restaurant avant la séance ou d'attendre la fin (faim) pour aller dîner a également son influence, etc. Dans le deuxième cas, celui de la dimension temporelle des échanges entre les personnages du film, les actions sur le temps sont également primordiales, une action se déroulant le jour n'a pas le même sens que si elle avait lieu la nuit. Les scénaristes l'ont bien compris en introduisant cette distinction Jour/Nuit voire plus précisément Aube/Crépuscule dans leur scénario. Les auteurs et réalisateurs utilisent également cette mise en perspective temporelle pour donner une dynamique à leur récit, éventuellement en utilisant les flash-back, les ellipses, plus rarement les flash-forward, etc. Les flash-back et flash-forward sont des interventions sur le temps, sur l'ordre (chronologique ou non) des événements qui se passent. Le flash-back est un retour dans le passé tandis que le flash-forward est une incursion dans l'avenir. Ce dernier prend des formes diverses : voyance, rêves prémonitoires, voyage dans le temps, etc. « En termes savants, on parle de prolepse50(*) pour le flash-forward, d'analepse pour le flash-back. Le flash-forward est beaucoup plus rare que le flash-back, il est toutefois utilisé dans des genres cinématographiques très différents les uns des autres : policier, science-fiction, western, aventure51(*), drame psychologique, etc. Mais on peut trouver encore d'autres façons de bouleverser l'ordre chronologique. On peut raconter suivant un principe d'alternance (différentes périodes) » (Roche et Taranger, 1999, p.116). Il existe bien d'autres moyens utilisés par les scénaristes et réalisateurs pour signifier le temps. Bien que différents, ils traduisent les relations de temps par des éléments visibles et/ou audibles. Un sens se dégage alors des communications-processus sur plusieurs contextes dont les contextes sensoriel et temporel. Il est à noter que certains moyens, contrairement au classique jour/nuit, n'ont pas de lien direct avec le temps. Ils se situent dans le domaine de l'évocation indirecte, de la connotation. Autres exemples de moyens utilisés par les réalisateurs pour signifier le temps (d'après Roche et Taranger, 1999, pp.129-131)
Ainsi, dans les films comme dans d'autres communications, ces actions sur le contexte temporel concernent le passé - souvenirs, événements marquants, déclencheurs, dans le passé proche ou lointain, personnel ou collectif - et l'avenir largement imprévisible, avec des temps, des directions, des craintes et des espoirs, des volontés et des freins, des arrêts, des ruptures, des reprises,...(Corbalan, 2003). 4. Les processus de positionnement et de structuration des relations Le positionnement des individus les uns par rapport aux autres est très présent également dans le cinéma. Traduisant les places relatives des acteurs dans l'échange, elle peut être étudiée à plusieurs niveaux : spectateur-spectateurs, spectateur-personnel de la salle de cinéma, personnage principal du film-autres personnages, spectateur-personnages du film, etc. Elle peut également évoluer au cours du temps : entre les spectateurs, au cours de la séance de projection (par exemple, avant/après un incident technique ou une dispute dans la salle), entre les personnages du film au cours de l'histoire, etc. Jullier (2002, p.65) montre bien que la réception d'un film n'est pas identique selon qu'elle se déroule dans la solitude, par exemple d'un salon équipé d'un home cinéma, ou sous forme d'expérience collective. « Dans une salle, au sein d'un groupe, les interactions publiques donnent un cadre de référence. Combien de fois nos yeux seraient-ils mouillés si une vague d'éclats de rire allant en s'amplifiant n'avait secoué l'assemblée incrédule de nos voisins ? ». Pour lui, les projections collectives, en salle, ont « des allures de minuscules rites d'initiation, où la victoire l'emporte à travers le regard des autres, un il est des nôtres qui ressemble parfois davantage à ce qu'autrui attend de nous qu'à ce que nous ressentirions laissés à nous-mêmes ». Roland Barthes a ressenti lui-même cette pression groupale lors de la projection de Perceval le Gallois (Eric Rohmer,1979), un drame historique dans lequel Rohmer restitue les octosyllabes de Chrétien de Troyes et utilise le mode de représentation de l'espace de la peinture et de la sculpture des XIIème et XIIIème siècles. Roland Barthes écrit, en effet, « Les jeunes gens s'esclaffaient au spectacle des costumes et des coiffures, rires qui me faisaient mal » (Barthes, 1995, p.909). Au-delà des ricanements, des interjections et autres exclamations, parfois au seul motif de montrer que l'on n'est pas dupe (alors que, souvent, ce n'est pas la première fois que le bruyant spectateur voit le film...), il existe, au niveau des spectateurs dans une même salle et, plus encore, aux autres niveaux, dont celui du personnage principal en relation avec les autres personnages du film, un grand nombre de moyens d'action possibles, de processus de communication participant au positionnement et de la structuration des relations. Parmi eux, citons : « l'évocation langagière des places (tu, on, vous, eux..) ; l'évocation langagière des places et rôles sociaux (le chef, le professeur, le préfet, le garagiste,..) ; les indices attitudinaux et paralinguistiques de définitions des places ou des rôles, donnés à travers les échanges ; les indices et marques culturelles, évoqués ou montrés, des places et des rôles des différents acteurs en présence (habits, insignes, espaces, ..) ; les postures et les attitudes évoquées ou montrées et liées culturellement à des positions ; les façons linguistiques, paralinguistiques ou comportementales de communiquer pour attribuer des positions ou évoquer des règles et des normes liées à des positions, etc. » (Mucchielli et al., 1998, pp.43-44). Ces transformations du contexte des positions respectives des acteurs assignent des places (égalitaire/hiérarchique, consensuel/conflictuel, dominant/dominé, intime/distant) aux acteurs de la situation (spectateurs, personnages, etc.), à leurs yeux ou aux yeux des autres, et peuvent ainsi affecter le sens du message. Les films de fiction utilisent souvent ce type de rapports entre les personnages, notamment les films comiques avec un couple de personnages paradoxal, par exemple Laurel et Hardy52(*) et les « tandem » qui ont fait le succès des films de Francis Veber, La chèvre (1981), Les compères (1983), Les fugitifs (1986), etc. 5. Les procédures d'appel, de construction ou d'émergence de normes Le contexte normatif fait référence aux codes, aux principes, aux us et coutumes, aux rituels et aux règles partagés par les acteurs. Comme l'écrit Mucchielli (1998, p.56) : « Le contexte normatif de toute communication est constamment présent si l'on veut bien considérer que l'on ne peut pas communiquer en dehors d'un minimum de référents communs sur le sens a priori des mots, des objets, des conduites et des sentiments. Parmi les processus de communication normatifs qui manipulent diversement les normes de référence, nous pouvons citer l'évocation ou l'appel à des règles ou normes existantes ici ou ailleurs. » On retrouve là l'idée qu'un message doit être compris de la même façon par les acteurs, qu'il est nécessaire qu'il y ait une compréhension mutuelle, que les acteurs co-construisent le sens. La compréhension est mutuelle lorsque, rappelons-le, le message traduit bien l'intention de l'émetteur et que l'interprétation du récepteur lui correspond, autrement dit, lorsque les interlocuteurs co-construisent une même réalité à partir de signes (Le Boeuf et al., 2000, p.44). Tous les codes filmiques, spécifiques ou non, les codes utilisés lors de la rédaction du scénario (code de la narrativité, code de la construction des dialogues, etc.), de la réalisation (code de la variation d'échelle de plans, code des mouvements de caméra, code des effets d'optique, code des gestes, code vestimentaire, code des décors, etc.), du montage (code du montage, code de la relation images-sons, code du synchronisme) sont autant de référents communs que les professionnels du cinéma peuvent utiliser. Tous les métiers du cinéma ont, en effet, leur « déjà-là , ce à quoi on fait appel pour dire (faire) ce qui doit être dit (fait) et comment cela doit être dit (fait), c'est-à-dire les allant-de-soi » (Corbalan, 2003). Les décorateurs, les chefs costumiers, les cadreurs, les bruiteurs, etc. ont les leurs. Dans chacun de ces métiers, il est important que les acteurs se comprennent, qu'ils se jugent entre eux au sein de leur propre corporation, mais il est plus important encore que les spectateurs interprètent correctement ces éléments codiques, ce qui bien entendu est moins sûr, dans la mesure où ils n'appartiennent pas « au sérail ». Ainsi, un fondu sera jugé, parce qu'il est mal placé, comme un manque de professionnalisme, un mauvais moyen de coller deux parties d'un même plan pour cacher les fautes des comédiens lors des prises de vues53(*), une erreur artistique par des spécialistes, alors qu'il passera totalement inaperçu auprès des spectateurs ordinaires qui au mieux l'interpréteront comme un saut d'images provoqué par l'appareil de projection ou comme un moyen d'évoquer la longueur du temps qui passe.. La recherche de la compréhension mutuelle passe donc par l'usage d'éléments codiques et normatifs connus par l'ensemble des acteurs. Il est alors possible soit de respecter ces normes pour que les spectateurs y voient le sens commun, soit de déroger à ces normes pour donner un sens différent au message. Dans le domaine filmique, le non-respect des codes est souvent à l'origine d'innovations, parfois de succès commerciaux qui, par rétroaction, conduisent à nouvelle normalisation, une nouvelle codification acceptée par les professionnels et les spectateurs, donc à l'apparition d'un genre cinématographique (voir plus loin). 6. Les processus de la qualité des relations La dimension relationnelle prend en compte les relations entre les acteurs qui se structurent au fur et à mesure de l'échange et qui évoluent par le jeu des actions, des réactions, des interactions, des rétroactions, etc. (Watzlawick, 1972). La transformation du contexte relationnel concerne donc l'ambiance, le climat relationnel, la qualité des relations (confiance/méfiance, coopération/conflit, séduction/injonction, plaisir/indifférence) qui existent entre les acteurs (Corbalan, 2003). Elle se réalise par la « manipulation des indices langagiers et paralangagiers (mots à connotations affectives, intonation,...), les diverses manifestations de sympathie et d'antipathie, des interactions valorisantes ou non, des attitudes, des gestes, des positionnements spatiaux qui ont des significations affectives culturelles ; les manières de faire, de dire, de se comporter, créatrices des ambiances relationnelles, etc. » (Mucchielli et al., 1998, p.65). Dans le domaine filmique, ces processus sont essentiels pour créer le climat général du film, les oppositions entre les personnages, les interventions des mentors ou des personnages secondaires, les alliances, les coopérations, les compétitions, les luttes de pouvoir, les sentiments favorables ou défavorables pour tel ou tel personnage, etc. Au-delà des relations entre les personnages du film, très dépendantes de la mise en scène, des dialogues, du jeu des comédiens et de leur talent, il faut considérer également la qualité des relations : - entre les spectateurs dans la salle, qualité des relations qui peut varier selon les perturbations éventuelles par certains retardataires, les rires communicatifs, etc. ; - entre les spectateurs et le personnel de la salle de cinéma qui dépend de la qualité de l'accueil, de la présence ou non d'ouvreuses pour trouver une place libre dans l'obscurité, autrement dit de la qualité des services proposés ; - également entre les spectateurs et les comédiens qui jouent dans les films. Ainsi, un spectateur peut avoir, avant le visionnage d'un film, une relation de confiance (vs méfiance), de sympathie (vs antipathie) avec un acteur connu qui influencera le sens des premières scènes. Certains réalisateurs tirent profit de ce capital relationnel pour perturber le spectateur ; la méthode la plus simple consistant à utiliser un comédien à contre-emploi. Il est à remarquer que cette méthode concerne plutôt des acteurs comiques que quelques réalisateurs n'hésitent pas à utiliser dans des films plus graves. Par exemple, Jean-Pierre Melville demanda à Bourvil de jouer le rôle du commissaire Mattéi, dans Le Cercle Rouge (1970). Dans Docteur Petiot (de Chalonge, 1990), Michel Serrault qui inspire plutôt la sympathie générale « défend » ce personnage monstrueux. Toutefois, malgré la bonne image du comédien, l'histoire de ce médecin qui tua de nombreux juifs qui tentaient d'échapper la Gestapo et le talent de Michel Serrault, l'image du personnage odieux prit le pas sur l'image de Zaza dans La Cage aux folles54(*).
7. Les processus d'expression identitaire L'identité d'une personne s'exprime au travers un ensemble de variables psychosociales et de style de vie (valeurs, croyances, intérêts, activités, opinions). Parmi les processus de communication qui vont participer à l'expression de l'identité des acteurs, il y a, par exemple, «l'évocation ou l'expression d'intentions ou de projets ; l'évocation ou l'expression d'enjeux ; l'évocation ou l'expression de préférences, de valeurs ou d'intérêts ; l'évocation ou l'expression d'orientations idéologiques, philosophiques, disciplinaires ou statutaires ». (Mucchielli et al., 1998, p.72). Le sens d'un message varie selon l'identité des interlocuteurs, de même que toute modification du contexte identitaire le modifiera. « Toutes les expressions (conduites, silences) comme les discours et les manières de se tenir des acteurs nous apportent des éléments pour dessiner le contour du système interne de l'acteur ainsi que le contour de sa vison du monde » (Mucchielli et al., 1998, p.77). Dans le domaine cinématographique, comme dans toutes les situations de communication, cette connaissance de l'identité de l'autre qui permet de mieux comprendre ses intentions et ses projets, va influencer le sens. La façon d'être des comédiens, leur façon de parler, leur morphologie, leurs gestes et attitudes, leurs postures, leur style vestimentaire, leur coiffure et maquillages, etc. évoquent les valeurs, la vision du monde des personnages. Ainsi, les réalisateurs ne se sont pas privés d'utiliser le « langage » des chapeaux, que Odin (1990, p.98) appelle le paradigme des couvre-chefs : « c'est ce paradigme qui donne un sens au chapeau : choisir un type de couvre-chef permet d'indiquer par opposition avec les autres types de couvre-chefs, le pays d'origine (le melon anglais vs le béret français ou le fez arabe), la classe sociale (le melon vs la casquette de l'ouvrier), le métier (le casque du pompier vs la toque du cuisinier), etc. de celui qui le porte.» Cet exemple de manipulation montre qu'une même action peut agir sur plusieurs contextes. Le chapeau peut modifier en plus du contexte identitaire, le contexte temporel (un chapeau d'une mode d'antan ou à venir), celui des positions respectives (un chapeau de gradé ou d'une certaine classe sociale) ainsi que le contexte normatif (le chapeau comme indicateur de genre, par exemple, les genres western et policier). Par ailleurs, le sens de ces manipulations dépend également de facteurs identitaires inhérents au spectateur lui-même : sa culture, son âge, son origine sociale, sa nationalité, etc. Jullier (2002, p.28) cite deux exemples dans son ouvrage « Qu'est-ce qu'un bon film ? » et montre que « souvent, le contexte seul permet de déduire le sens : à moins d'être un nippophile consommé, le spectateur français ne sait pas qu'un enfant japonais qui forme un O du pouce et de l'index veut dire : pouce ! à ses compagnons de jeu (et non nul ou zéro). (...) Par exemple, frère et soeur ou père et fille, dans un film classique américain, peuvent échanger un rapide baiser sur la bouche sans que son public de prédilection (américain) y trouve à redire - ce n'est pas la même chose avec un film ou un public français ». La théorie des processus de communication formulée par Alex Mucchielli considère la communication comme un processus de transformation de la situation. Processus global qui peut se décomposer en plusieurs processus selon les sept différents contextes. Autrement dit, toute situation étant composée de sept contextes, toute communication est un processus qui « travaille » ces sept différents concepts (Mucchielli, 2001, pp.128-129). Par ailleurs, comme nous l'avons constaté - ne serait-ce qu'en présentant les exemples cinématographiques - les processus ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres. Un même élément filmique, par exemple, les vêtements d'un personnage, peut agir sur plusieurs contextes ; dans notre exemple, sur le contexte identitaire, le contexte temporel surtout s'il s'agit d'un costume d'époque, le contexte des positions respectives surtout s'il s'agit d'un habillement très typé socialement ou d'un uniforme, le contexte relationnel si les costumes révèlent des relations d'influence ou/et de pouvoir (par exemple, une femme BCBG et une femme de ménage, un général et un deuxième classe), éventuellement le contexte spatial si les vêtements indiquent leur origine géographique (par exemple, tous les acteurs sont en kilt), etc. Comme l'écrit Alex Mucchielli, les processus « travaillent d'une manière systémique. Le sens lui-même est le résultat de processus complexes et systémiques » (Mucchielli, 1998, p.79). Par exemple, dans un road-movie comme Le Guet-Apens (Sam Peckinpah, 1972), Mad Max (George Miller, 1979) ou Telma et Louise (Ridley Scott, 1991), les transformations concernent notamment le contexte spatial et temporel, l'espace qui se modifie au fur et à mesure que le temps a une fonction structurante dans la narration. Ainsi, les processus de contextualisation présents dans un film vont travailler en synergie afin de faire surgir un sens pour les spectateurs, comme le synthétise le tableau suivant : Contextes et les éléments cinématographiques du processus de contextualisation
Pour faire surgir un sens cohérent, la manipulation des contextes devra être effectuée dans un esprit combinatoire. Dans le domaine cinématographique, la fabrication d'un film étant une oeuvre collective, le travail combinatoire des contextes et la recherche d'une cohérence sont, en France, de la responsabilité du réalisateur, véritable chef d'orchestre56(*). Cela signifie qu'aucun élément filmique ne peut être a priori considéré comme plus important qu'un autre. Mais aussi, qu'un élément isolé qui casse la cohérence peut être à l'origine d'une interprétation inverse de celles des significations des autres éléments. Les éléments cinématographiques du processus et les métiers du cinéma concernés [ Sources : Mucchielli (2001), Chion (1990), Parillaud et Besson (2002) ]
En outre, comme le souligne Mucchielli (1998, p.79), « dans le même ensemble de contextes, on sera susceptible de trouver des acteurs pour lesquels le sens émergent des contextes va être différent (cas évident, par exemple, dans la communication dite « interculturelle » avec le contexte des normes culturelles qui est différent pour des acteurs de cultures différentes)». Les spectateurs ne sont pas passifs et ne constituent pas un ensemble homogène qui partage les mêmes valeurs et qui aurait une lecture unique et universelle. « Les spectateurs français, hongkongais et américains ne se retrouvent sans doute pas de la même manière dans un western ou un film d'arts martiaux » (Moine, 2002, p.77). C'est pourquoi, Alex Mucchielli insiste sur le poids des acteurs, sur leur rôle dans les processus. « Ce sont toujours les acteurs qui font appel aux normes, qui font des recadrages temporels ou relationnels, qui privilégient tel ou tel enjeu ». Et de conclure : « finalement, la théorie des processus de communication donne un poids prépondérant aux acteurs dans la construction du sens ». Le cadrage est particulièrement important dans cette approche. Pour comprendre une situation de communication, il est en effet nécessaire d'adopter un cadrage pertinent. Ce principe fut développé par l'Ecole de Palo Alto pour laquelle le sens de la communication dépend du cadre dans lequel on la considère. Le cadrage consiste à définir le champ d'observation, à choisir en quelque sorte un point de vue, à déterminer dans le temps et l'espace, les acteurs à prendre en considération, etc. Le cadrage d'une situation est, dans le domaine cinématographique, à ne pas confondre avec le choix de l'échelle de plan, ou plus précisément, celui de l'objectif de la caméra, de l'organisation de l'espace et des objets filmés dans le champ. Malgré le danger que constitue cette homonymie, il existe néanmoins un point commun : celui du point de vue adopté, du choix d'un éclairage particulier. Un cadrage court se concentrera par exemple sur les échanges entre les comédiens et le spectateur dans une scène d'un film. Un cadrage plus dynamique et élargi s'intéressera aux échanges entre les spectateurs présents dans la salle et le film dans sa totalité. Plus large encore, « logique » ou « exhaustif » comme certains l'appellent, il prendra en considération non seulement ce qui se passe lors de la projection mais aussi ce qui se passe avant et après ; avant par l'intervention des acteurs du cinéma (producteur, réalisateur, comédiens, attaché de presse, responsable de la communication, etc.) ou des prescripteurs (critiques, journalistes, spectateurs faisant du bouche à oreille, etc.), après par l'influence des amis avec lesquels le spectateur a visionné le film, des discussions et des appréciations sur le film, etc. Les exemples contextuels et de cadrage tendent à montrer que cette approche communicationnelle semble adaptée aux études sur le cinéma et, notamment, au pragmatisme de la sémiologie du cinéma. Comme l'écrit Alex Mucchielli : « l'approche de plus en plus pragmatique de Roger Odin (1983, 1986)58(*) 59(*) rejoint l'approche communicationnelle typique en sciences info-com » (Muchielli, 2001, p.45) En outre, les différents niveaux de cadrage ne peuvent que rappeler les différences qui existent entre la pragmatique du cinéma qui s'intéresse aux rapports du spectateur et du cinéma, qui étudie les diverses institutions cinématographiques et leur influence sur la façon dont les films sont perçus (Odin) et la pragmatique du film qui étudie les relations entre le film et le spectateur et, notamment, ce qui se passe pendant la projection d'un film particulier et la façon dont ce dernier dirige la compréhension de son spectateur (Esquenazi). Les différents cadrages et leur imbrication (Sources : Esquenazi, Odin, Bordwell, Besson, Creton, etc.) Cadrage technique : choix de l'échelle de plan
Film Cadrage de la pragmatique Etude des relations film/spectateur du film
Cadrage de Spectateur la Etude des rapports cinéma/spectateurs
pragmatique
du cinéma
Comme nous l'avons déjà dit précédemment, notre propre cadrage, dans une optique communicationnelle, se situe entre celui de la pragmatique du cinéma, très large, et celui de la pragmatique du film, afin de tenir compte notamment de la culture cinématographique du spectateur et des pratiques professionnelles en matière de réalisation de films de fiction. C'est pourquoi, dans le chapitre suivant, nous allons étudier d'une part les effets du cinéma sur les spectateurs, d'autre part les influences réciproques de la culture cinématographique sur le spectateur, le film qu'il visionne et le cinéma. Puis, dans les autres chapitres de cette première partie, nous décrirons le langage cinématographique, sa grammaire, ses codes et conventions plus ou moins respectés par les cinéastes et plus ou moins connus et compris par les spectateurs Chapitre 2 : Une approche historique et théorique des effets sur les spectateurs Le cinéma a une influence certaine sur les spectateurs. Les réalisateurs depuis l'origine en eurent conscience comme les spécialistes de la propagande politique et les publicitaires60(*) : « Toutes les études démontrent que, de tous les médias, c'est le cinéma qui a le meilleur impact pour les deux raisons suivantes : - la richesse sensorielle du grand écran, de la qualité de l'image et de la plénitude du son ; - la grande disponibilité de l'audience » (Lendrevie, de Baynast, 2004, p.282). Dans ce chapitre, nous étudierons, en suivant dans un premier temps une trame historique, les effets escomptés, les objectifs poursuivis par certains acteurs du système Cinéma : les financeurs qu'ils soient chefs d'état, producteurs de cinéma ou représentants d'une corporation, d'une industrie militaire ou autre, les représentants d'un certain ordre moral, etc. Puis, nous analyserons d'une manière plus théorique les raisons invoquées de l'influence du cinéma sur les spectateurs. I- La perception primitive et le behaviorisme Il est certain que les premiers spectateurs eurent, à l'égard des films qui leur étaient proposés, des attitudes bien éloignées de celles que nous avons à l'heure actuelle. Les deux années qui suivirent la fameuse séance du 10 juin 1895 sont si caractéristiques que certains n'hésitent pas à les appeler le temps de la perception primitive. Jacques Rittaud-Hutinet (1985, p.214-220) a étudié cette période au cours de laquelle l'image suscita chez le spectateur « un moment d'éblouissement, voire de fascination, où celui-ci parut, au sens le plus fort, subir l'illusion des images animées ». L'émotion la plus intense, à ses yeux, est celle dont résulta la peur.61(*) Il s'étonne que « le spectateur non seulement croit - même une fraction de seconde - en l'existence de ce qui n'existe plus, mais il croit aussi avoir vu ce qui n'existe pas : la couleur, les dimensions réelles ...Tout se passe comme si le spectateur, dans ce temps primitif, complétait inconsciemment ce qui manquait à l'image pour être plus réaliste encore, en un mot le reconstituait. » Comment expliquer ces premières expériences de perception des images animées ? Certains auteurs y voient une application du modèle béhavioriste62(*) qui considère les comportements des individus comme des réactions aux stimuli (Grawitz, 2001, p.215) et prend en compte le phénomène d'apprentissage. De nombreux auteurs considèrent, en effet, que n'ayant en lui aucun souvenir d'un phénomène identique antérieur, les sens du spectateur sont perturbés. « Ce mouvement parfaitement reproduit, ne trouve dans son passé aucune référence lui permettant de l'accrocher à une expérience, à une signification, à un langage. Il se trouve donc dans l'incapacité absolue d'identifier le caractère illusoire de ce qu'il perçoit. Jusque-là, pour lui, le mouvement des objets et des êtres, la durée du mouvement, avaient été entièrement et exclusivement engagés dans le présent d'un ici-et-maintenant irréversible. » (Rittaud-Hutinet, 1985, p.215)63(*). Rittaud-Hutinet y voit alors un phénomène qui « à très peu près, entre dans la définition des processus hallucinatoires. 64(*) Pour illustrer sa thèse, il cite l'un des opérateurs des frères Lumière, Mesguich66(*) qui décrit des phénomènes de ce type à la Foire de Nijni-Novgorod : « la Vierge noire de Kazan, le Tsar, les popes, les icônes s'agrandissaient miraculeusement sur l'écran ». Et les spectateurs, dans la Russie paysanne très pieuse de cette fin de XIXème siècle, en conçurent une profonde et sainte terreur. Les opérateurs, ne situant pas leur « représentation » dans un cadre liturgique furent donc suspectés de pratiques magiques et s'attirèrent ces cris venus d'un autre âge de « au feu la sorcellerie ! ». Des groupes menaçants se formèrent et les opérateurs durent regagner leur hôtel sous la protection de la police, tandis que des fanatiques « arrosaient de pétrole la bâtisse qui servait de cinéma et y mirent le feu ». Pour atténuer les risques de toute nature, « les risques de l'émerveillement, du paroxysme émotionnel, (....) de cette attraction vertigineuse, de ce « mysterium fascinans » qui marque l'émergence d'un sacré », les opérateurs de Lumière vont organiser un apprentissage, en informant les spectateurs, avant la séance, de ce qui sépare la réalité de ce qu'ils nommèrent l'illusion. Ainsi, un autre opérateur des frères Lumière, Francis Doublier nous a appris que les directeurs venaient avant chaque spectacle informer le public de l'irréalité de ce qu'il allait voir. Aux Etats-Unis et dans quelques autres pays, les opérateurs demandaient aux spectateurs de passer derrière l'écran... II- Les influences recherchées
Le cinéma fut tour à tour considéré plutôt comme une invention, un spectacle, un loisir, un art, un commerce, avant d'être envisagé sous un angle culturel. A partir des années 20, de nombreux débats furent organisés sur le thème du caractère culturel du cinéma. En 1926, le formaliste russe, Boris Eikhenbaum67(*) écrivait : « C'est l'éternelle question : culture ou commerce ? Au cinéma, cette question prend une importance particulière parce que le cinéma est une affaire industrielle, « économique ». Néanmoins, il ne cesse pas pour autant d'être une affaire culturelle ». Ce à quoi, Boris Filippov68(*) répondit, semble-t-il choqué de cette approche peu orthodoxe en URSS : « la culture cinématographique soviétique n'est pas la culture cinématographique « en général » ; elle doit à toutes ses étapes répondre aux objectifs de l'éducation des masses, et non être l'apanage d'un petit public raffiné. » De ce débat sur le caractère culturel et éducatif du cinéma ressort une autre question fondamentale : le cinéma peut-il devenir un outil dangereux ? C'est une question que se sont posés de nombreux auteurs inquiets que l'école behavioriste ait directement inspiré les théoriciens de la propagande politique comme Serge Tchakhotine, disciple de Pavlov, qui publia en 1939, Le viol des foules par la propagande politique69(*). Formulée autrement, cette question subsiste de nos jours. Certains s'interrogent sur le fait de savoir si le cinéma peut agir sur le public, le manipuler, éventuellement idéologiquement, et si donc il pourrait servir à certains à contrôler l'univers (Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p.34). Les réalisateurs ont donc très vite pris conscience de l'influence du cinéma sur les spectateurs. Eisenstein écrit : « Nous avons découvert comment forcer le spectateur à penser dans une certaine direction. En montrant nos films dans un sens scientifiquement calculé pour créer une impression donnée sur le public, nous avons développé une arme puissante pour la propagation des idées sur lesquelles est fondé notre nouvel ordre social ». Pour sa part, Alfred Hitchcock parle régulièrement de contrôle du spectateur et de son désir de « diriger le spectateur »70(*) . En 1956, Ingmar Bergman déclare : « Selon moi, nous autres qui faisons des films, nous n'utilisons qu'une partie minuscule d'un pouvoir effrayant - nous ne faisons mouvoir que le petit doigt d'un géant, d'un géant qui est loin d'être sans danger ».71(*) Toutefois, les possibilités de manipulation offertes par le cinéma ne doivent pas faire conclure que le cinéma est par nature manipulateur. Comme l'a fait remarquer Christian Metz, rien autre que l'intention du cinéaste ne lie l'entreprise filmique à l'esprit manipulateur. Les motivations qui conduisent à utiliser le cinéma comme moyen d'influence sont nombreuses. Nous les présentons dans l'annexe III intitulée « Une analyse historique des utilisations du cinéma dans un esprit manipulateur72(*) ». III- Les raisons invoquées de l'influence du cinéma sur le spectateur Le pouvoir politique ne pouvait qu'être attiré par un média, le cinéma, qui est associé à des mots forts tels que « fascination », « drogue », « torpeur », « hypnose », « abrutissement », etc. (Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p 34-35 )73(*) et bien d'autres encore suggérant la manipulation des esprits, le viol des consciences, etc. Le pouvoir de fascination du cinéma est un sujet récurrent abordé par un grand nombre d'auteurs, théoriciens, cinéastes, critiques, pédagogues, etc. A- La puissance de l'image et la passivité du spectateur Selon Pecha (2000, p.8), le cinéma fascine pour deux raisons majeures : la puissance de l'image, si captivante, si facile à suivre, et la passivité des spectateurs - le fait d'être assis dans une salle plongée dans l'obscurité. Nous retrouvons là, dites autrement, les constations des spécialistes de la publicité qui considèrent que le cinéma est, de tous les médias (publicitaires), celui qui a le meilleur impact74(*) (Lendrevie et de Baynast, 2004). Plus que de la passivité des spectateurs, certains auteurs, sans doute agacés par ce procès d'intention, parlent de paresse : « L'hypnose filmique dont on nous rabat les oreilles ne le doit qu'à la paresse possible du spectateur » (Mitry, 2001, p.285). Toutefois, cette paresse n'est-elle pas due à une éducation reçue par les spectateurs et donnée par les cinéastes eux-mêmes ? Plusieurs auteurs, dont Paul Warren (1995, dir.), considèrent, en effet, que ce sont les cinéastes américains qui ont créé et développé jusqu'à sa perfection « le système-cinéma », à savoir l'attelage écran lumineux/salle obscure. Selon eux, l'objectif que s'est fixé Hollywood depuis le début du XXème siècle est de souder la salle, le public à l'écran par une éducation du regard, un véritable « dressage de l'oeil du spectateur ». A relire les écrits et les témoignages des frères Lumière et de leurs opérateurs, de Méliès, d'Eisenstein et, même, de Gorki75(*), la paternité de ce phénomène semble largement partagée. Gorki décrit, dans un article écrit après sa première expérience cinématographique, d'une part la soumission du spectateur à l'illusion des images animées, « un train occupe l'écran, il fonce droit sur nous - attention, on dirait qu'il veut se précipiter dans l'obscurité où nous sommes », d'autre part le pouvoir hypnotique de ces premières images, « cela fait défaillir le coeur. On oublie qui l'on est. Des idées étranges envahissent les esprits. On est de moins en moins conscient », enfin l'identification à la mort : « « C'est terrible à voir ce mouvement d'ombres, rien que d'ombres, ces spectres, ces fantômes ; on pense aux légendes où quelque mauvais génie fait saisir une ville par un sommeil perpétuel » (in Rittaud-Hutinet, 1985, p.1219-220). Rittaud-Hutinet remarque avec pertinence que selon les observateurs, le cinéma est soit le mouvement pris sur le vif autrement dit la vie, soit à l'inverse une vision spectrale que son irréalité rend terrifiante : « Dans tous les cas, qu'on l'identifie à la vie ou à la mort, qu'on s'en méfie ou qu'on s'en émerveille, (...), l'image animée n'épargne à personne ses effets hallucinatoires. » (Rittaud-Hutinet, 1985, p.220) Certains auteurs, quoique d'autres n'hésitent pas à les contredire, vont jusqu'à comparer le spectacle cinématographique à l'allégorie de la caverne de Platon76(*) (Château, 2003, p.33-43). L'immobilité forcée des prisonniers est celle des spectateurs dans la salle obscure. Elle provoque leur incrédulité et les place dans un état de confusion qui leur fait prendre des images, des « ombres que le feu fait se projeter sur la paroi de la caverne », pour du réel. Les caractéristiques de la projection cinématographique - l'obscurité, le silence, le corps au repos, l'inhibition de la motricité, l'isolement, l'attention attirée vers une surface lumineuse, etc. - plongent le spectateur dans une sorte d'engourdissement, un état proche du rêve duquel les spectateurs sortent à la fin du film, suite à un éblouissement, « brutalement rejetés par le ventre noir de la salle dans la lumière vive et méchante du hall, avec parfois le visage ahuri (heureux ou malheureux ) de ceux qui se réveillent » (Metz, 2002, p.143), « un sommeil éveillé »77(*) (Metz, 2002, p.142), un état de conscience modifié, «quasi-hypnotique, dans un stade psychologique régressif, sans moyen de défense face au message filmique. Tels les prisonniers de la caverne, les spectateurs sont conditionnés mais à la différence des prisonniers, ils ne doivent pas se sentir attachés » (De Voghelaer, 2001, p.64-65). Comme le suggère Metz, le film captive le spectateur au point qu'à la fin de la projection, lorsque les lumières se rallument, il est dans un état semblable à celui du réveil, de reprise de contact avec soi et avec le monde. Esquenazi explique ce phénomène non pas par la passivité mais par le mouvement, la rapidité du défilement des images qui oblige au contraire le spectateur à un effort, un travail mémoriel : « ce travail nécessaire s'effectue à une vitesse réglée par le film, vitesse à laquelle, dans des circonstances normales, la vie quotidienne ne nous habitue pas (...) Cette rapidité que nous demande le film peut expliquer un phénomène fréquent qui est la perte des coordonnées temporelles habituelles durant la projection » (Esquenazi, 1994, p.49). Il rejoint en cela Gilbert Cohen-Séat78(*) et se rapproche d'auteurs tels que Bazin, Azel et même Eisenstein, pour qui le spectateur échappe aux structures spatiales et temporelles dans lequel il est. Le miracle secret du cinéma serait l'intemporalité (Azel, 1994, p.34) et pour y arriver, comme le disait Eisenstein, « il faut voir par les oreilles et entendre par les yeux », ce qui nécessite « une attitude quasi religieuse »79(*). L'emprise des images et la question de l'état du spectateur sont deux grands thèmes récurrents de la recherche sur le cinéma. Elles ont intéressé de nombreux auteurs, « en particulier ceux qui dans les années cinquante (...) formulèrent le projet de constituer une discipline, la filmologie, chargée d'expliquer, entre autres, l'emprise des images. A l'état spectatoriel furent associées les notions de participation et d'identification : participation du spectateur au déroulement du film, identification aux personnages » (Meunier et Peraya, 1993, p.137). Ainsi, dans la Revue Internationale de filmologie, Michotte publie, dans les premières années de la décennie 50, des articles sur la participation émotionnelle du spectateur et définit l'empathie qui, selon lui, caractérise le rapport qui lie le spectateur au personnage. Les phénomènes d'empathie «se manifestent lorsque le spectateur d'une action exécutée par une autre personne, la « vit » lui-même en quelque sorte, et ne se borne pas à la comprendre d'une façon purement intellectuelle »80(*). Cette empathie s'exprime par « la correspondance entre les mouvements de l'acteur et ceux, plus ou moins semblables, qu'ils induisent chez le spectateur, de même que par la correspondance entre les expressions affectives de l'acteur et les émotions éprouvées par le spectateur, tendent à provoquer la fusion de ces processus » (Michotte, 1953). Quant à la participation affective du spectateur au film, elle est, selon Morin (1965), la conséquence d'un processus de projection-identification : «La projection-identification (participation affective) joue sans discontinuer dans notre vie quotidienne, privée et sociale (...). Nous jouons un rôle dans la vie, non seulement pour autrui mais aussi et surtout pour nous-mêmes. Le costume (ce déguisement), le visage (ce masque), les propos (ces conventions), le sentiment de notre importance (cette comédie), entretiennent dans la vie courante ce spectacle donné à soi et aux autres, c'est-à-dire les projections-identifications imaginaires. Dans la mesure où nous identifions les images de l'écran à la vie réelle, nos projections/identifications propres à la vie réelle se mettent en mouvement »81(*). L'adhésion ou la participation au spectacle par le spectateur que nous venons de voir au travers des notions telles que l'empathie de Michotte et la projection/identification de Morin mérite une analyse fondée sur la psychanalyse. B- Les apports de la psychanalyse à l'étude de l'influence du cinéma La puissance de l'image, la fascination exercée sur le spectateur par l'écran, la transformation du spectateur en voyeur souverain mis en état de sous-motricité et de sur-regard, en un individu qui boit le monde-reflet et s'y perd comme Narcisse dans l'eau ; toutes ces observations et remarques, à l'origine intuitives, ont conduit certains auteurs à avoir une réflexion psychanalytique du cinéma82(*). Comme l'écrit André Akoun (1976, p.124) : « le cinéma et la psychanalyse sont nés ensemble, avec le XXème siècle, et il y a là une coïncidence qui mériterait d'être érigée en signe. Lorsque Freud, découvrant le secret du rêve, montre comment celui-ci est un scénario mis en images qui raconte l'histoire du désir et des interdits sur lesquels il bute, avec lesquels il ruse et que parfois il contourne masqué, n'est-ce pas de film qu'il nous parle ? Et lorsqu'il analyse des mécanismes psychiques comme la « projection », cette similitude avec le vocabulaire cinématographique n'est-elle que métaphorique ? » La ressemblance entre le film et le rêve a, en effet, très vite suscité l'intérêt des chercheurs qui voyaient dans cette analogie un moyen d'expliquer les effets du cinéma sur le spectateur par les connaissances qu'ils avaient accumulé en étudiant les produits de l'inconscient tels que les rêves (Casetti, 2000). Dans cet esprit, Lebovici (1949)83(*) tenta : - de démontrer que le film est un moyen d'expression très proche de la pensée onirique, - de prouver que le spectateur de cinéma peut être comparé au rêveur. Selon lui, de nombreux traits communs se retrouvent dans le film et dans le rêve. Le rêve est, comme un film, un ensemble presque exclusivement visuel. « Comme dans le rêve, les images filmiques ne sont pas unies par des liens temporels, ni par des liens spatiaux solides et logiques ». « Tout comme les images oniriques, les séquences filmiques avancent sur la base de « rapports de contiguïté, d'imagination », plutôt que sur la base de « rapports logiques ». Ou encore, la présence de « grammaires », qui coïncident fondamentalement : « des procédés techniques comme les fondus enchaînés, le travelling ne sont-ils pas ceux même qu'utilise le rêveur ? ». Pour finir, le recours à un même pouvoir évocateur : comme les images des rêves, dans les images filmiques aussi « rien n'est explicite ; des images ne font souvent que suggérer. » (Casetti, 2000, p. 179) De ces constats, Lebovici en conclut que « tous les types classiques de film offrent à leur spectateur un matériel très onirique »84(*). La comparaison du spectateur à un rêveur ne manque pas, selon lui, de preuves : - les conditions de projection, caractérisées par l'obscurité de la salle, par l'isolement des corps, par l'abandon psychologique, par le caractère irréel des images, sont semblables à celles qui interviennent dans le sommeil ; - le film suscite une adhésion empathique, bien loin de la simple passivité, et proche d'un « certain état de communion relâchée » qui rappelle le rapport que le rêveur entretient avec son rêve ; - l'état de léger étourdissement dans lequel le spectateur quitte le cinéma est « analogue au demi-sommeil du rêveur qui refuse de quitter son sommeil et se plaît à en prolonger dans une rêverie les divers épisodes » ; - enfin, la présence de processus d'identification (qui conduisent le spectateur à entrer dans la peau de tel ou tel personnage) et de processus de projection (qui conduisent le spectateur à prêter ses propres problèmes à celui qui vit sur l'écran), et la présence donc de véritables transferts avec le spectacle filmique. A la suite de Lebovici, bien d'autres auteurs ont fait l'analogie entre le rêve et les images cinématographiques. Le rêveur et le spectateur de cinéma ont en commun, à leurs yeux, au moins deux attitudes : le désinvestissement du réel et l'immobilité, voire le retrait de la motricité. « Or, dans la perspective psychanalytique, c'est la motricité qui est à la base de ce qu'on appelle l' « épreuve de la réalité ». Que le sujet ne dispose plus de la motricité, et c'est son sens de la réalité qui s'en trouvera considérablement amoindri. Le sujet régressera alors vers une forme primitive de rapport au réel, antérieure à la constitution du monde comme réalité extérieure au sujet. La caractéristique de ce type de rapport est que le sujet ne peut encore faire la distinction nette entre ce qui relève de l'extérieur (la réalité précisément) et ce qui relève de l'intérieur (la représentation, l'image subjective) » (Meunier et Peraya, 1993, p.126). La régression serait facilitée par le dispositif cinématographique lui-même. Selon Baudry 85(*), « si l'on tient compte de l'obscurité de la salle, de la situation de passivité relative, de l'immobilité forcée du ciné-sujet, comme sans doute des effets inhérents à la projection d'images douées de mouvement, le dispositif cinématographique déterminerait un état régressif artificiel. Il entraînerait artificiellement le sujet dans une position antérieure de son développement (...) ». Baudry va plus loin encore en suggérant que le spectateur a un désir de régression : « Ce serait le désir, évidemment non reconnu comme tel par le sujet, de retrouver cette position, un stade précoce de développement avec ses formes propres de satisfaction, qui pourrait être déterminant dans le désir de cinéma et le plaisir qu'il y trouve. Retour vers un narcissisme relatif, et plus encore vers une forme de relation à la réalité, qu'on pourrait définir comme enveloppante, dans laquelle les limites du corps propre et de l'extérieur ne seraient pas strictement précisées. ». Désireux ou pas, le spectateur se met à l'écart du monde, à l'écart des réalités externes, et se laisse envelopper par les images. Il est dans un état de moindre alerte que Metz compare à celui de l'ivresse alcoolique : « le spectateur, durant la projection, se met en état de moindre alerte (il est au spectacle, rien ne peut lui arriver) ; en accomplissant l'acte social d'aller au cinéma, il est d'avance motivé à abaisser d'un cran les défenses de son Moi, à ne pas refuser ce qu'il refuserait ailleurs. (...) Ce n'est pas le seul cas où il en est ainsi (il y a aussi l'ivresse alcoolique, l'exaltation, etc.) » (Metz, 2002, p.157-158). A la différence près que les conditions ne sont pas les mêmes : situation de spectacle, présence d'une fiction matérialisée. Il en conclut que : « Parmi les différents régimes de veille, l'état filmique est un de ceux qui dissemblent le moins du sommeil et du rêve, du sommeil avec rêve » (Metz, 2002, p.158). Certains auteurs vont plus loin encore en affirmant que « l'écran cinématographique réactive le temps préoedipien, d'avant la différenciation du moi et du non-moi, ce stade que Jacques Lacan a appelé le « stade du miroir » parce que l'enfant s'y identifie à son image spéculaire et appréhende son moi dans le leurre, comme reflet de son reflet double de son double ; identification première qui rend possible toutes les autres. » (Akoun, 1976, p.124). C'est un miroir singulier comme l'explique Christian Metz (2002, p.65) : « le film est comme un miroir...mais...il est une chose, une seule, qui ne se reflète jamais : le corps propre du spectateur. Sur un certain emplacement, le miroir devient brusquement glace sans tain ».86(*) D'où la distinction maintenant classique dans la littérature cinématographique entre l'identification primaire et l'identification secondaire. * 48 Mucchielli, Corbalan et Ferrandez (1998 pp.7-8) : « La théorie des processus de la communication essaie de rendre compte, d'une manière systémique et constructiviste, des phénomènes communicationnels qui concourent à l'apparition du sens accompagnant tout élément de communication. Cette théorie repose d'abord sur un postulat que l'on peut énoncer ainsi : la quasi-totalité des expressions humaines : productions en tout genre, réalisations concrètes, objets techniques, manipulations des réalisations et des objets, conduites et actions, écrits multiples, discours et paroles, attitudes et divers paralangages...sont des communications, c'est à dire des éléments communicationnels qui peuvent se comprendre (se lire), si on les rapporte à des contextes pertinents dans lesquels justement ils prennent leurs sens » * 49 La cinémathèque de la rue d'Ulm, celle de Chaillot et des ciné-clubs spécialisés tels que le Nickel Odéon, etc. * 50 du latin prolepsis (d'origine grecque) qui signifie anticipation. La prolepse est une figure de rhétorique par laquelle on prévient une objection en la réfutant d'avance * 51 Dans Michel Vaillant, par exemple * 52 Série de courts métrages burlesques d'une ou deux bobines (300 à 600m) avec Stan Laurel et Oliver Hardy, 1927-1935. Puis quatre longs métrages : Laurel et Hardy, au farwest (1937), conscrits (1939), chefs d'îlot (1943), en croisière (1940). * 53 Dans le film N d'Antoine de Caunes (2003), ce procédé est utilisé dans un long dialogue entre Napoléon et Sa jeune amie anglaise. * 54 D'après les personnages imaginés pour le théâtre par Jean Poiret, La Cage aux folles est une série de trois films : le premier fut réalisé par Edouard Molinaro en 1978, le deuxième par le même réalisateur en 1980 et enfin La Cage aux folles III par Georges Lautner en 1985. * 55 Le typage consiste à choisir un comédien doté de traits physiques caractéristiques d'une classe ou d'un groupe social. C'est « une technique de jeu propre au cinéma soviétique des années 20 » (Bordwell et Thompson, 2000, p.589) * 56 Ce rôle est, aux Etats-Unis, partagé entre le producteur, dont le poids est souvent prépondérant, et le réalisateur. * 57 Bordat (1998, pp.275-276) : « L'intérêt de Chaplin pour les mots se manifeste encore dans son choix des noms propres (...) L'éclat bruyant du nom du dictateur Hynkel est contredit par la connotation maladive de son prénom : Adenoid (en anglais, végétations) (...) On remarque aussi le détournement des noms de Goebbels et Göring, le premier devenant Garbitsch (qui fait penser à garbage, les ordures, et à bitch, chienne ou putain), le second Herring (hareng, en anglais) ». * 58 ODIN, Roger, « Pour une sémiopragmatique du cinéma », Iris, vol.1, N°1, 1983, pp.67-82 * 59 ODIN, Roger, « Il était trois fois, numéro deux », Revue Belge du cinéma, N°16, 1986 * 60 Le premier film publicitaire au cinéma fut réalisé par les Frères Lumière en faveur du savon Sunlight, en 1897. * 61 Rittaud-Hutinet (1985, p.211) : « Au loin, on aperçoit de la fumée, puis la locomotive de l'express et, en quelques secondes, le train se rue à l'intérieur (de la salle) si rapidement que, comme la plupart des gens des premiers rangs, je m'agite sur mon siège, fort mal à l'aise, dans l'attente d'un accident de chemin de fer » écrit un chroniqueur anglais. A l'intérieur même de l'émotion suscitée par un réalisme dont il s'épouvante, le spectateur voit les silhouettes « grandeur nature ». Un article écrit à Paris (Le Radical, 30 septembre 1895) : « quelle que soit la scène ainsi prise et si grand que soit le nombre de personnages ainsi surpris, vous les revoyez en grandeur naturelle, avec les couleurs, la perspective, etc. » * 62 Behaviorisme de l'anglais Behaviour qui signifie comportement * 63 Rittaud-Hutinet (1985, p.215) : « Il ramène l'inconnu au connu de son expérience : il « actualise » psychologiquement sa perception, la réfère à ce qu'il sait ; autrement dit, il croit, pour un instant, à la réalité immédiate d'une durée révolue, en l'existence matérielle et présente d'une ombre. » * 64 Rittaud-Hutinet (1985, p.215) : « Dans l'hallucination, en effet, le sujet perçoit comme actuels et réels des faits anciens enregistrés par sa mémoire et resurgissant soudainement à sa conscience lors d'une situation pathologique déterminée. Le Cinématographe, qui « donne le portrait enfin vivant »65, s'impose donc comme une réalité-durée révolue, mais néanmoins enclavée dans une réalité présente, un fragment de vie à la fois détaché et enchâssé dans une pérennité faisant confondre une image avec l'existence même de ce qu'elle représente. » * 66 Félix Mesguich, Tours de manivelle. Souvenirs d'un chasseur d'images, Paris, Grasset, 1933 in Rittaud-Hutinet (1985) * 67 Boris Eikhenbaum, La culture cinématographique (Eléments pour un débat), 1926, in Albèras (1996, p. 223-226) * 68 Boris Filippov, réponse in Albèras (1996, p.224) * 69 Une synthèse des travaux de Tchakhotine est disponible sur le site : wwww.attention-spna.net, rubrique PSYOPS * 70 propos tenus au sujet de son film Psycho (1960) * 71 Cité par Liandrat-Guigues et Leutrat (2001) * 72 Dont le plan est : 1) L'utilisation du cinéma à des fins idéologiques et politiques ; 2) La censure morale aux Etats-Unis ; 3) Les effets de la censure morale sur la création cinématographique ; 4) L'utilisation du cinéma américain à des fins politico-militaires ; 5) L'utilisation du cinéma à des fins idéologiques en France ; L'utilisation du cinéma à des fins macro-économiques. * 73 Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p.34) : « On a beaucoup parlé de la puissance hypnotique du cinéma ou de l'abrutissement résultant de son spectacle. » * 74 Lendrevie et de Baynast( (2004, p.282) : « Certaines études montrent qu'un film de cinéma publicitaire a un taux de mémorisation prouvée généralement supérieur à 50% alors qu'il n'est, en moyenne, que de 15% pour un 30 secondes à la télévision ». * 75 Il écrivit un article sur les films Lumière dans le quotidien, Nijegorod-skilistok, le 4 juillet 1996.Un article, signé sous le pseudonyme Pacatus, dans lequel il relate ses impressions lors de sa première expérience du cinéma, pendant la foire de Nijni-Novgorod. * 76 Château (2003, p.34-35) : «Dans la République, Platon décrit une caverne ouverte vers le haut où, depuis leur enfance, des prisonniers sont si bien enchaînés qu'ils ne peuvent ni bouger, ni tourner la tête ; ainsi forcés à regarder devant eux, ils ne peuvent rien soupçonner de ce qui se passe derrière : entre eux et un feu qui brûle en haut, il y a une route montante barrée par un mur, comme la cloison que les montreurs de marionnettes placent devant les hommes qui manoeuvrent celles-ci. (...) Ces marionnettistes plus ou moins bavards promenant derrière le mur des objets fabriqués (statues, animaux de pierre, etc.), les prisonniers n'entendent d'autres sons que leurs voix et n'ont d'autre vision que celle des ombres que le feu fait se projeter sur la paroi de la caverne qui leur fait face. Supposons maintenant qu'on libère un de ces enchaînés, qu'on le force à se lever et à se tourner vers la lumière, d'abord, il souffrira en raison des éblouissements, il sera impuissant à regarder lesdits objets dont autrefois il ne voyait que les ombres... » * 77 Metz (2002, p.142-143 ) : « La situation filmique porte en elle certains éléments d'une inhibition motrice, et elle est en cela un petit sommeil, un sommeil éveillé. Le spectateur est relativement immobile, il est plongé dans une relative obscurité (...) ; pendant la durée de la projection, il sursoit à tout projet d'action. (...) Chez le spectateur, les manifestations motrices se réduisent peu à peu : changements de position dans le fauteuil, modifications plus ou moins conscientes de l'expression du visage, commentaires éventuels à mi-voix, rire, poursuite en pointillé d'une relation verbale ou gestuelle avec le voisin de fauteuil, etc. (...) Sortir d'un cinéma, c'est un peu comme se lever : pas toujours facile (sauf si le film était vraiment indifférent ». * 78 Gilbert Cohen-Séat, Essai sur les principes d'une philosophie du cinéma, Paris, PUF, 1958, in Esquenazi (1994, p.49) : « Ne voir que torpeur et fièvre dans l'état morbide indéniable qu'on observe devant le film, c'est ignorer la diversité d'une longue suite d'états que le spectateur ne cesse de traverser pendant toute la durée du spectacle. C'est confondre les effets directs d'innombrables phénomènes successifs, compliqués, subtils, rapides, tantôt imperceptibles, tantôt d'une extrême violence, avec le résultat de leur accumulation ». Gilbert Cohen-Séat, Essai sur les principes d'une philosophie du cinéma, PUF, 1958, p.100. * 79 Henri Agel (1994, p.14), parlant de sa mère : «Maman était très sensible au mirage cinématographique. On partageait le mystère du cinéma ; nous allions là comme à une célébration. La salle de cinéma, c'était un autre monde ; le noir (...) Jamais ma mère ne m'a dit un mot pendant une projection ; elle était devant le film dans une attitude quasi religieuse » * 80 Michotte Van Den Berck A., « La participation émotionnelle du spectateur à l'action représentée à l'écran. Essai d'une théorie », Revue Internationale de filmologie, avril-juin 1953, p.87 in Meunier et Peraya (1993, p.137) * 81 Morin E., Le cinéma ou l'homme imaginaire, Paris, Gonthier, 1965 * 82 Christian Metz, dans Le Signifiant imaginaire (2002, p.37-60) distingue plusieurs sortes d'études psychanalytiques sur le cinéma : 1) les études qui permettent de remonter à la névrose du cinéaste ou du scénariste ; 2) les analyses de scénario (« Le scénario ressemble au rêve...en tant que signifiant pour l'interprétation » (Metz, 2002, p.43) ; 3) les analyses de l'ensemble du matériel filmique manifeste et non pas seulement du seul scénario. « C'est le film tout entier qui est maintenant constitué en signifiant » (Metz, 2002, p.46). * 83 Lebovici (S.), Psychanalyse et cinéma, Revue Internationale de Filmologie, 5, 1949, cité par Casetti (2000) * 84 Toutefois, comme l'écrit Christian Metz (2002, p.123) : « le rêveur ne sait pas qu'il rêve, le spectateur du film sait qu'il est au cinéma : première et principale différence entre situation filmique et situation onirique. » Mais ajoute-il (p.131) : « l'état filmique et l'état onirique tendent à se rejoindre quand le spectateur commence à s'endormir (bien que la langue commune, à ce degré ne parle pas de sommeil) ou quand le rêveur commence à se réveiller ». * 85 Baudry J.-L., « Le dispositif », Communications, n°23, Paris, Le Seuil, 1975, p. 69, cité par Meunier et Peraya (1993, p.126-127) * 86 Metz (2002, p.65) : « L'enfant, dans le miroir, aperçoit les objets familiers de la maison, et aussi son objet par excellence, sa mère, qui le tient dans ses bras devant la glace. Mais il aperçoit sa propre image. C'est de là que l'identification primaire (la formation du Moi) tient certains de ses caractères majeurs : l'enfant se voit comme un autrui, et à côté d'un autrui ». |
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