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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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C- L'identification

Avant d'être un concept cinématographique, l'identification est un processus psychologique de structuration de la personnalité qui commence avec l'imitation inconsciente et se poursuit par l'assimilation-intériorisation du modèle (Sillamy, 1983). Ainsi, un enfant constitue, selon eux, son identité par des identifications successives87(*). Au cours du premier stade, celui de l'identification primaire, c'est-à-dire jusqu'à trois ans environ, l'enfant communique avec le monde extérieur en imitant le comportement des membres de son entourage : « Il s'agit d'ailleurs moins d'une imitation à proprement parler que d'une fusion avec l'objet, d'une unité à deux ; par exemple, l'enfant qui mime son père lisant le journal n'a pas conscience de l'imiter : il est réellement son père dont il s'approprie le rôle et la puissance » (Dracoulidès in Sillamy, p.338). Freud conçoit, pour sa part, l'identification primaire comme assimilation orale à la mère (Mousseau et Moreau, 1976).

Ces notions furent reprises dans la théorie du cinéma d'inspiration psychanalytique (Baudry, Metz) qui les a, toutefois, adaptées pour ne pas dire transformées.

L'identification primaire est liée à la présence de l'écran-miroir et est indépendante du contenu narratif du film (excepté en cas de caméra subjective, voir plus loin). L'identification primaire à la caméra a lieu, lors de la projection du film sur l'écran, lorsque l'oeil du spectateur s'assimile, s'identifie, à l'objectif de la caméra, au moment du tournage.

L'identification du spectateur à tel ou tel personnage du film, voire à tel ou tel acteur, est une identification secondaire et dépend du contenu narratif du film.

Comme le rappellent Aumont et Marie (2000, p.166-173), dès les années 70, de nombreux chercheurs ont théorisé le « dispositif » cinématographique et mis en valeur le fait que, « quel que soit le film, l'ensemble des conditions de la fabrication et de la vision des films (le dispositif technique) assigne au sujet spectateur, en tant que sujet, une certaine « place », ce qui se traduit par un ensemble de dispositions psychologiques a priori (le dispositif psychique) du spectateur envers le film. » Selon eux, les deux pièces maîtresses de ce dispositif psychique, en quelque sorte résultant du dispositif technique, seraient d'une part l'identification primaire - également appelée identification à la caméra ou identification du spectateur à son propre regard - d'autre part la position de voyeuriste du spectateur.

Le dispositif technique est un facilitant de certaines conditions psychiques. Mais, il induit une situation spectatorielle en tant que telle et non un rapport particulier entre le spectateur et un film donné. Autrement dit, il ne serait pas manipulable par un cinéaste pris isolément, mais seulement par une profession, voire par une classe sociale (Château, 2003).88(*) Comment imaginer, en effet, qu'un réalisateur modifie pour son film le dispositif cinématographique composé de la salle, de l'écran et de la cabine de projection ?

Dans l'hypothèse d'une innovation technologique dans la production , celle-ci concernerait tous ceux qui, dans la profession, souhaiteraient l'utiliser.

Par déduction, l'identification secondaire du spectateur semble donc le seul niveau sur lequel un cinéaste puisse agir (Metz, 2002, p.66). Mais à ce niveau-là également les débats ne sont pas clos.

Ces identifications secondaires qui dépendent du rapport de chaque individu-spectateur à la situation fictionnelle se traduisent, chez le spectateur, par des affects, de la sympathie (vs de l'antipathie) envers les personnages qui le conduisent, par exemple, à s'identifier à tel ou tel personnage. Or, comme le font remarquer Aumont et Marie (1999, p.171) : « il n'existe aucune analyse publiée sous forme écrite qui soit centrée sur cette question - pour une raison évidente : l'identification est un phénomène subjectif, à tous les sens du mot ».

Considérant qu'une identification était nécessaire sous peine que le film devienne incompréhensible, Christian Metz a tenté, néanmoins, de répondre à sa propre interrogation : « A quoi s'identifie le spectateur durant la projection du film ? ». Selon lui, « le spectateur a l'occasion de s'identifier au personnage de la fiction ». Mais ce type d'identification ne vaut que pour les films narratifs. « Le spectateur peut aussi s'identifier à l'acteur » (Metz, 2002, p.67). Toutefois, ces deux réponses ne le satisfaisant pas, Metz en propose deux autres : « le spectateur s'identifie à lui-même, à lui-même comme pur acte de perception » (Metz, op cit, p.69) et « s'identifiant à lui-même comme regard, le spectateur ne peut faire autrement que s'identifier aussi à la caméra, qui a regardé avant lui ce qu'il regarde à présent » (Metz, op cit, p.70). Par un jeu de questions-réponses implicites, il admet l'absence de la caméra lors de la projection du film, mais la caméra auquel s'identifie le spectateur a « un représentant qui consiste en un autre appareil justement (du point de vue psychanalytique) appelé projecteur »89(*). Et Metz d'en conclure que « sans cette identification à la caméra, on ne saurait comprendre certains faits qui sont pourtant constants : comment se peut-il, par exemple, que le spectateur ne s'étonne pas lorsque l'image tourne (= panoramique) et qu'il sait pourtant bien qu'il n'a pas tourné la tête ? C'est qu'il n'a pas eu besoin de la tourner vraiment, il l'a tournée en tant que tout voyant, en tant qu'identifié au mouvement de la caméra, comme sujet transcendantal et non comme sujet empirique » (Metz, 2002, p.71).

En ce qui concerne, plus particulièrement, le film de fiction, il existe, dans la narration, des éléments qui prêtent à identification. La plupart des auteurs s'accordent pour citer les personnages et les situations dans lesquelles ils se trouvent : - les personnages, bien sûr, mais plus exactement les traits constitutifs des personnages (physique, personnalité, voix, façon de parler, de s'habiller, de se mouvoir, etc.) à condition qu'ils soient visualisés ; - et les situations ou plus précisément les événements unitaires constitutifs de la situation.

C'est donc sur ces deux niveaux que les cinéastes peuvent agir sur l'identification secondaire. Le premier niveau, celui des personnages est plus vaste qu'il n'y paraît. Il ne se limite pas aux personnages principaux, comme certains le pensent, même si, lorsque le personnage principal est joué par une star, l'identification est très fréquente (Brassart90(*), 2004).

Ainsi Edgar Morin (1965) a montré que « la force de participation du cinéma peut entraîner l'identification jusqu'aux méconnus, ignorés, haïs de la vie quotidienne : prostituées, noirs pour les blancs, blancs pour les noirs, etc. ». Autrement dit, un film peut présenter des modèles auxquels les spectateurs peuvent s'identifier et qu'ils peuvent imiter même si ces modèles sont hors normes ce que Morin (1965) exprime en comparant le cinéma au rêve : « le cinéma comme le rêve, comme l'imaginaire, réveille et révèle des identifications honteuses, secrètes »91(*).

En ce qui concerne le deuxième niveau, celui des situations, Linda Williams (1993, pp.47-74) prend l'exemple de la forme narrative des feuilletons pour femmes de la télévision américaine et cite Tania Modlevski qui a observé que leur public essentiellement féminin ne s'identifie pas au protagoniste. « La forme même du soap opera encourage l'identification avec des points de vue multiples. A un moment donné la spectatrice s'identifiera à une femme réunie avec son amant, à un autre moment aux souffrances de sa rivale. Tandis que l'effet produit par l'identification à un protagoniste unique est de donner au spectateur un sentiment de pouvoir, celui produit par l'identification multiple associée à la forme diffuse de ces feuilletons est de dépouiller la spectatrice de tout pouvoir mais d'accroître chez elle l'empathie » (Williams, 1993, p.67).

En ce qui concerne l'identification à un acteur, et cela quel que soit le film visionné, elle fut sans doute l'une des premières à être « gérée » par les studios de production dans le cadre de leur politique de « construction » de stars. Leur volonté d'estomper la distinction entre la fiction cinématographique et la réalité extracinématographique vient de là : « la star se doit d'être belle, aussi héroïque, aussi vertueuse...à la ville qu'à l'écran. D'où ce souci des studios de réglementer aussi la vie privée des stars, ou du moins les signes extérieurs de cette vie privée » (Bourget, 2002, p.132). Comme si la star à qui s'identifient certains spectateurs se devait elle-même de s'identifier à l'image qu'elle donnait à l'écran. Et, dans le cas où, elle ne correspondrait pas à cette image, ses agents lui fabriqueraient une vie92(*).

L'enjeu est important, il est avant tout économique, « des stars ont pu sauver de la faillite le studio qui les emploie » (Brassart, 2004, p.14).

Selon certains auteurs, en plus du contenu narratif du film et de la présence d'une star dans le casting, il existe d'autres façons utilisées par le réalisateur de stimuler l'identification du spectateur. C'est tout au moins l'avis d'Alfred Hitchcock qui considère qu'il suffit pour cela de diminuer la part intellectuelle et d'augmenter la part émotionnelle de l'activité du spectateur. Selon Aumont (2002, p.85), pour augmenter cette part émotionnelle, donc faciliter l'identification, Hitchcock utilisait souvent le thème du « faux coupable » qui permet plus facilement l'identification du spectateur et suscite chez lui une participation au sentiment de danger : « Hitchcock considère que le spectateur s'identifie au personnage en danger, qu'il soit le héros ou non, qu'il soit le méchant ou non (le phénomène est évidemment plus fort si le personnage en danger est sympathique ».

En outre, Aumont estime, avec Hitchcock, que le principe d'identification est l'aspect psychologique de la notion de suspense. Le suspense vise à une sorte de contamination émotionnelle, qui doit mettre le spectateur dans un état où il ne soit plus maître de ses réactions. D'où la conclusion qu'un « spectacle n'est pas fait pour être compliqué et faire réfléchir, mais pour être simple et faire participer émotionnellement (on n'est pas très loin de la catharsis aristotélicienne » (Aumont, 2002, p.86). En analysant le film Psychose d'Alfred Hitchcock, Rémi Adjiman (in Le Boeuf, 1999, p.157-165) constate que, pour le spectateur, voir celui qui voit l'action ou même qui l'imagine, dans le cas du personnage de Marion, crée une sensation plus intense que d'assister directement à la scène. « Il s'identifie au personnage et ressent la situation à sa place. Par cette maîtrise, le réalisateur opère un transfert d'angoisse sur le spectateur ».

D'autres moyens93(*), filmiques ou cinématographiques, pour stimuler l'identification du spectateur sont souvent cités dans la littérature, bien que certains soient contestés (Metz, 2002, p.76) : les angles rares, les cadrages insolites qui expriment le point de vue du cinéaste, réveillent le spectateur et imposent à son regard une certaine direction, mais aussi le champ-contrechamp ou, plus simplement, un hors-champ, dans une scène où deux personnages se regardent, se parlent parce que « tout hors-champ nous rapproche du spectateur, puisque le propre de ce dernier est d'être hors-champ. Le personnage hors-champ a donc un point commun avec lui : il regarde l'écran » (Metz, 2002, p.77).

* 87 Nicolas N. Dracoulidès (in Sillamy, 1983, p.338) distingue trois étapes à ce processus : - l'identification primaire (jusqu'à trois ans environ), - l'identification structurante (depuis l'âge oedipien à quatorze ans) où le moi et le sur-moi s'organisent en fonction du modèle donné par les adultes de l'entourage, - l'identification indépendante (après la puberté) où le moi de l'adolescent, fort de sa propre expérience, se valorise à l'égal de ses modèles au lieu de se soumettre à eux.

* 88 Château (2003, p.40) : « Cette critique idéologique fut abondamment glosée dans la théorie du dispositif des années 1960-1970, qui, parfois combinées avec les théories de la représentation perspectiviste et la théorie psychanalytique peu ou prou lacanienne du sujet, attribuèrent à la caméra ou au projecteur le rôle d'instrument de l'idéologie bourgeoise. Il s'ensuivit entre les partisans et les adversaires de cette conception idéologique des instruments techniques une polémique qui paraît aujourd'hui quelque peu désuète.(...) Pour résumer le débat a deux enjeux : le dispositif cinématographique a-t-il un effet idéologique par lui-même, une thèse impliquée tautologiquement dans l'idée que l'appareil de base qui englobe le dispositif est idéologique, mais dont certains contestent le déterminisme ? Si ce déterminisme est admis par hypothèse, peut-on y échapper, et si oui, comment ? Certains cinéastes y parviennent-ils, certains « grands auteurs » et surtout des expérimentateurs ? »

* 89 Metz (2002, p.70) : « Appareil que le spectateur a derrière lui, derrière sa tête soit à l'endroit exact où se trouve, fantasmatiquement, le foyer de toute vision ».

* 90 Brassart (2004, p.16-17) : « A la fin des années 1950, par exemple, de nombreuses jeunes filles imitent la coiffure, la tenue vestimentaire voire le comportement de la star Brigitte Bardot. »

* 91 Edgar Morin semble en désaccord avec Jean Mitry selon lequel l'identification secondaire ne peut se faire qu'avec les individus de son propre sexe ( ?), en prétextant des « considérations psychanalytiques hors de propos » qu'il se garde bien de développer.

* 92 Bourget (2002, pp.132-133) : «Il a fallu attendre 1985 pour que Rock Hudson, mourant du Sida, soit le premier à sortir du placard et explique comment, dans les années cinquante, son image de star virile mais familiale, à la sexualité saine implicitement opposée à celle des Brando, Clift et autres James Dean, était entièrement fabriquée par Universal-International, qui avait notamment veillé à ce que l'acteur se marie. Et jusqu'à sa mort en 1986, Cary Grant maintint la fiction de sa normalité sexuelle, fiction elle aussi nourrie des mariages successifs de la star » (...) « Le secret de l'homosexualité de Cary Grant était bien gardé, il fallait que les apparences soient sauves et les stars hollywoodiennes irréprochables » (p.19)

* 93 Jean Mitry (2001, p.121-126), pour sa part, voit une relation entre les conditions de réception dans lesquelles le spectateur se trouve et sa participation au film, voire à son identification (secondaire) avec les personnages : « Il est évident que la participation est d'autant plus vive, sinon, plus active, que le spectateur est plus près de l'écran. (...) Il semble que les meilleures places soient situées entre le 5ème et le 15ème rang à partir de l'écran - du moins pour les spectateurs ayant une vue normale. » Dans ces conditions, selon lui, l'impression de la réalité est flagrante.

« Au contraire, la situation au fond de la salle n'éloigne pas seulement l'image au sens géométrique du mot, mais aussi au sens psychologique. L'image est alors perçue presque toujours comme d'une réalité étrangère insérée dans un monde auquel elle ne se substitue absolument pas, même si la salle est maintenue dans une obscurité totale. (...). Mitry compare alors ces conditions de réception au fond d'une salle à celles devant un téléviseur : « C'est encore ce qui se passe devant l'écran minuscule d'un appareil de télévision. Le film vu au téléviseur et vu des premiers rangs d'une salle de cinéma n'a pas du tout le même effet. Ce n'est plus le même film... »

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand