Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
D- Les degrés de participation-identificationDans sa présentation des principaux apports de la psychanalyse au cinéma, Casetti (2000) cite un article de Cesare Musatti94(*) dans lequel ce dernier estime que, dans le rêve ou dans un film, « les représentations que tous deux élaborent possèdent un « caractère de réalité » particulier, qui est en fait, à la fois une copie et quelque chose de différent de la vie. Ce statut, qui caractérise aussi bien les images cinématographiques que les images oniriques, explique au moins en partie pourquoi entre films et rêves il y a une aussi grande facilité de passage de matériels : il arrive très souvent que des extraits cinématographiques finissent dans nos réélaborations nocturnes. » (Casetti, 2000, p.180). Rêve, état de conscience modifié pour ne pas dire hypnose, identification secondaire, ces concepts apparaissent dans la littérature sur le cinéma, pour certains auteurs comme synonymes ou presque, pour d'autres au contraire comme un risque des confusions malheureuses. Jean Mitry réfute, pour sa part, l'idée selon laquelle le spectateur serait soumis à l'hypnose, à des phénomènes hypnotiques. « Malgré une analogie évidente, il me semble que le problème est à la fois plus simple et plus complexe. Jean Mitry n'accepte pas le principe, voire peut-être davantage le mot même, d'hypnose. « Il s'agit d'un fait quelque peu semblable à l'hypnose par la captation de notre conscience attentive, mais aussi et surtout d'un état analogue à celui du rêve (intermédiaire entre le rêve proprement dit et le rêve éveillé) par le fait de ce transfert perceptif où l'imaginaire se substitue au réel » (Mitry, 2001, p.123). Jean Mitry semble même assez réservé sur le principe d'identification. Il préfère parler de participation ajoutant « voire d'identification » comme si l'identification était un stade plus élevé de la participation. « Alors qu'une confusion du Moi et de l'Autre serait inévitable dans le cadre d'une identification, il n'y a, au cinéma, qu'une simple analogie de comportement dans une situation générale donnée : la raclée que le héros inflige à son adversaire est celle-là même que j'aurais aimé flanquer à un certain malotru mais que ma civilité - et ma faiblesse - m'ont empêché de lui administrer » (Mitry, 2001, p.126). Il ajoute : « Le spectateur agit et réagit avec l'acteur mais il se confond d'autant moins avec lui que cette association projective ne s'applique pas seulement à l'un quelconque des personnages du drame mais à tous - ou presque tous (...). Il n'y a que lorsque leur comportement est contraire à celui qui pourrait être le mien que je me désolidarise d'avec eux. Ma participation alors se retourne contre eux..95(*) ». Mais un phénomène semblable ne se retrouve-t-il pas dans l'hypnose96(*) ? (Jagot, 1986, p.14-15 ; Barone et Mandorla, 1987, p. 33-34). Des thèses de Mitry, nous retiendrons le principe de l'existence de différents degrés de participation-identification. L'un des plus élevés pouvant conduire le spectateur à des extrêmes. La plus grave des conséquences de ce phénomène est, effet, le développement de « phobies de cinéma » dues à un excès d'identification. Les cas ne sont malheureusement pas rares, ils sont, en outre, de plus en plus liés à la violence. Ils sont parfois la cause de véritables tragédies. L'une des plus sanglantes qu'aient connu les Etats-Unis fut celle de Littleton, le 20 avril 1999. Ce jour-là, le lycée de Columbine fut le théâtre d'un massacre où 13 personnes ont trouvé la mort et une vingtaine d'autres ont été blessées. Les causes et le profil des responsables de cette tuerie interpellèrent et choquèrent l'opinion : il s'agissait de deux élèves du lycée, a priori sans problème, adolescents d'une famille américaine de classe moyenne. L'explication donnée à leur acte est que quelques jours auparavant les deux meurtriers avaient vu le film Matrix.97(*) En France, en 2002, un adolescent assassina de quarante deux coups de couteau une de ses amies, sans mobile apparent autre que de vivre réellement une scène qu'il avait vue dans le film Scream98(*). * 94 Cesare Musatti, Le cinéma et la psychanalyse, Revue Internationale de Filmologie, 1949, 6, cité par Casetti (2000) * 95 Mitry (2001, p.126) : « De toute façon, ce n'est pas moi, en tant qu'individu, qui m'identifie au héros ; c'est un vouloir inassouvi, un moi idéal que je reconnais en lui. Tout se passe comme si l'acteur était notre double, l'incarnation de notre moi intentionnel ». * 96 Jagot (1936, réed.1986, p.15) : « Pour qu'une suggestion engendre des effets, il faut qu'elle détermine l'assentiment d'une tendance ou du moins qu'elle n'éveille aucune disposition antagoniste » * 97 Pecha (2000, p.7) : « De nombreuses voix se sont alors élevées pour dénoncer l'influence néfaste des films violents (...) Cette attaque portée à l'industrie cinématographique a été soutenue par des personnalités de la plus haute importance ; les anciens présidents Jimmy Carter et Gerald Ford ont ainsi signé une pétition visant à restreindre la violence des programmes audiovisuels. (...) Quant au Sénat, il a voté à l'unanimité qu'une enquête soit effectuée pour déterminer l'impact des films violents, des jeux vidéos et de la musique sur les jeunes. » * 98 D'autres utilisations de la psychanalyse par le cinéma. La plus simple consiste à l'introduire dans le récit comme l'a fait le cinéma américain dès les années quarante et cinquante, lorsque la psychanalyse connut un succès populaire. Ce fut le cas dans des films comme Le Mystérieux Docteur Korvo (Otto Preminger, 1949) dans lequel une kleptomane est psychanalysée par le Docteur Korvo qui la fait accuser d'un crime qu'elle n'a pas commis. Ou dans Le Septième Voile (Compton Bennett, 1945) qui narre l'histoire d'un jeune médecin qui guérit par auto-suggestion la névrose d'une pianiste célèbre. Ou encore, dans Les Trois Visages d'Eve (Nunnalys Johnson, 1957), drame psychologique basé sur les trois visages différents d'une femme qui souffre de troubles de la personnalité jusqu'à ce qu'un médecin la guérisse. Janet Walker (1993, pp.220-240) distingue plusieurs périodes dans l'incorporation à l'intrigue des concepts psychanalytiques : - A la fin des années quarante, « les films psychanalytiques sont souvent structurés, selon elle, autour d'un traumatisme situé dans le passé d'un personnage et dont les racines inconscientes et sexuelles doivent être mises à jour pour assurer la cure psychologique et le résolution du récit. » (Walker, 1993, p.239) - Dans les années cinquante, « les films psychanalytiques vont embrayer encore plus clairement sur les discours auto-descriptifs et contradictoires dans le contexte de la psycho-sexualité féminine. La cas clinique sera mis davantage en évidence. S'ajoute à la notion d'événement passé, empruntée à la psychanalyse, celle de la personnalité multiple », comme dans Les Trois Visages d'Eve (op.cit.) - Au début des années soixante, « la croissance des organisations psychanalytiques commence à ralentir (...) La thérapeutique de groupe ou celle par téléphone se joignent au behaviorisme et à la psychologie humaniste. » (Walker, 1993, p.240) Les thèmes évoluent donc. Dans Trente Minutes de Sursis (Sydney Pollack, 1965), un étudiant (Sidney Poitier), de permanence à la station S.O.S. Amitié, reçoit un appel d'une jeune femme qui vient de tenter de se suicider. Ce récit fut tiré d'un fait divers authentique. Au cours de cette période, la folie des malades s'étend aux médecins et aux infirmiers, voire à la société elle-même, par exemple dans Lilith (Robert Rossen, 1964). Les critiques émises à l'encontre de certains praticiens sont également reprises dans des films. |
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