Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Chapitre 1 : Réflexion et choix méthodologiqueSachant l'importance du cadrage, pour comprendre une situation de communication, nous avons opté, après réflexion, pour un cadrage qui se situe à mi-chemin entre celui de la pragmatique du film (Esquenazi) et celui de la pragmatique du cinéma (Odin). Comme la pragmatique du film, nous étudierons les relations, non pas entre le spectateur et le cinéma, mais entre le film et le spectateur et, notamment, ce qui se passe pendant la projection d'un film particulier et la façon dont ce dernier dirige la compréhension de son spectateur. Mais comme la pragmatique du cinéma, nous nous ne négligerons pas les rapports du spectateur et du cinéma. Sans aller jusqu'à étudier les diverses institutions cinématographiques et leur influence sur la façon dont les films sont perçus, nous prendrons en considération le fait que le spectateur puisse être influencé par le cadre de projection, sa culture cinématographique, sa connaissance du réalisateur, etc. Concrètement, nous avons cherché à étudier les relations entre le spectateur et un court métrage de fiction réalisé en respectant autant que faire ce peut les codes filmiques traditionnels. Les questions auxquelles nous tenterons de répondre découlent de notre problématique d'ensemble : - Les codes filmiques utilisés sont-ils connus par les spectateurs ? - Comment les différents codes filmiques sont-ils perçus par les spectateurs ? - Y en a-t-il de plus connus que d'autres, de plus importants que d'autres ? - Sont-ils interprétés comme le souhaite le réalisateur ? - Si les codes ne sont ni connus, ni perçus, cela empêche-t-il les spectateurs de construire leur histoire ? - Existent-ils des éléments codiques ou des transformations contextuelles qui construisent davantage de sens que d'autres ? Lesquels et pourquoi ? Pour répondre à notre problématique, plusieurs solutions méthodologiques furent envisagées. La première, la plus classique, consistait à projeter un film de fiction en entier et à demander aux personnes présentes de participer à une discussion de groupe, un peu dans l'esprit des réunions des ciné-clubs, comme les avaient organisées Henri Agel (1994), dès 1943, dans le milieu scolaire, qu'il avait ensuite ouvert aux adultes à partir de 1945.384(*) Après réflexion, nous avons abandonné cette piste craignant que ces causeries, comme les appelait Agel, ne se transforment en débats difficiles à animer et à analyser en raison de « l'anarchie de joutes verbales subjectives » (Agel, 1994, p.18). La deuxième solution pouvait être de ne présenter qu'un extrait d'un film de fiction. Cette solution que nous avions adoptée pour notre recherche sur la perception des placements de produits dans les films de fiction, dans le cadre de notre DEA, nous sembla inadaptée pour étudier les éléments générateurs du sens du film en entier. L'idée d'organiser des arrêts sur image pour permettre des débats à des moments choisis du déroulement du film fut également abandonnée. Indépendamment du fait que sa mise en oeuvre aurait considérablement augmenté la durée de la réunion, entre la diffusion du film, les arrêts successifs, les discussions partielles et la discussion finale, nous avons décidé d'abandonner cette solution pour éviter d'introduire une trop grande directivité. Le découpage de la projection du film que nous aurions arbitrairement imposé au public - modifiant également le sens voulu par le réalisateur - mais aussi et surtout les interprétations du groupe, à un moment donné du film, nous semblèrent être trop directifs pour l'interprétation de la suite du film par chacun des interviewés. Par ailleurs, le choix même du film dont nous aurions « remonté » un extrait, à moins de diffuser la bande annonce, était délicat. Le fait que le film soit connu par certains spectateurs risquait, en effet, de biaiser leurs réponses. De plus, cela ne nous aurait pas permis de tester l'influence d'un élément filmique parmi d'autres sur le sens global du film. Enfin, il nous aurait fallu obtenir des autorisations pour utiliser légalement tout ou partie d'une oeuvre déposée. La troisième solution que nous avons envisagée alors, notamment pour éviter une pression groupale trop forte en cas de nombreux arrêts sur image, fut de prendre un film de fiction de court métrage. Cette approche qui avait été utilisée dans les années 70-80 ne connut un renouveau que dans les années 2000 comme le rappelle Jean-Paul Achard dans un article intitulé Apprendre à lire les images en mouvement, édité sur le Net385(*) : « Dans les années 70-80, nous avons vu passer un certain nombre de films pédagogiques consacrés à l'analyse du langage et de l'audiovisuel. Bien souvent simplificateurs et construits autour d'un vocabulaire obligé, ils ont conduit parfois à des visions figées, frôlant parfois la caricature. Dans un passé plus récent, c'est surtout la quasi absence de ce type de produits qui était remarquable (...) ». Le renouveau de cette approche vient, à ses yeux, de la collaboration entre réalisateurs, pédagogues et analystes. Dans le cadre de notre recherche, le choix de ce format du court métrage présentait un intérêt méthodologique : sa faible durée nous permettait, en effet, d'espérer que les participants aux interviews de groupe pourraient avoir à la fois un souvenir des détails des unités successives (plan par plan, séquence par séquence) et une interprétation du sens global du film. Après visionnage de nombreux courts métrages, nous en avons retenu deux : - le premier, La Vis, réalisé en 1993 par Didier Flamand, d'une durée de 20 minutes386(*) - le second, Les pinces à linge, réalisé en 1997 par Joël Brisse, d'une durée de 22 minutes387(*). Cette pré-sélection était motivée par le fait qu'en plus de leur qualité intrinsèque, ces deux films avaient fait l'objet d'une analyse détaillée, de surcroît, commentée par le réalisateur lui-même. Cela nous permettait d'envisager une comparaison entre le sens souhaité par le réalisateur - la manière dont il traduit une idée, des caractères, des rapports entre les personnages en images et en sons - le sens perçu par l'analyste et, grâce à nos interviews de groupe, le sens perçu par les spectateurs. Ces deux courts métrages étaient proposés, le premier par Edouard Bessière dans son lexique du langage cinématographique publié par le CNED, en 2000 ; le deuxième par l'Association « Sauve Qui Peut le Court Métrage », organisatrice du Festival de Clermont Ferrand, et le CRDP d'Auvergne388(*). Cependant, ces deux courts métrages bénéficiant d'une protection légale, il nous fallait obtenir l'autorisation des auteurs et/ou de leur éditeur pour les utiliser dans le cadre de notre recherche. Nous avons longuement étudié cette piste méthodologique avant de l'abandonner. Le court métrage « La Vis » présentait plusieurs inconvénients : d'une part, il était en noir et blanc, d'autre part l'un des rôles était interprété par Jean Réno. Deux éléments forts qui pouvaient, à notre avis, estomper les autres éléments filmiques. En outre, ces deux courts métrages ne nous permettaient pas de proposer à l'interprétation des spectateurs plusieurs versions d'une même histoire. C'est la raison pour laquelle, nous avons finalement décidé de réaliser nous-mêmes un court métrage en plusieurs versions. Ce choix signifiait que nous allions être, à la fois, le « cinéaste », l'animateur des interviews de groupe et l'analyste. Dans le cadre d'une thèse, il paraissait, en effet, difficile de « sous-traiter » l'une des ces tâches. Conscient de cette limite méthodologique qui fit l'objet de discussions au sein du CERIC, nous avons, pour limiter les risques, une fois les scénarii rédigés, procéder à un découpage technique détaillé, que nous avons respecté à la lettre lors du tournage. De plus, pour chaque plan, nous avons écrit à la fin du montage ce qu'en tant que réalisateur nous souhaitions évoquer, générer comme sens. * 384 « Puis à la libération, des ciné-clubs d'adultes ont fonctionné (...) Nous avons présenté des films, tous les mois. Beaucoup de gens venaient : des étudiants, des professeurs, des avocats, des médecins. Tout le monde parlait : c'était l'anarchie de joutes verbales subjectives ; la notion de ciné-club structuré, méthodique et pédagogique, n'avait pas cours. » * 385 http://enfa.mip.educagri.fr/agri-culture/Ressources/document/image-mouvement.html * 386 Ce film, en 35 millimètres, est en noir et blanc et a dans sa distribution artistique : Jean Réno, Maïté Nhayr et Vernon Dobdtcheff. Les dialogues sont en volapük : langage international composé d'éléments de différentes langues. Selon Bessière (2000, p.4), « ces dialogues en volapük traduisent chez Didier Flamand un désir bien venu de travailler la notion de langage en général ». * 387 Ce court métrage fut primé dans de nombreuses manifestations en France et à l'étranger (Prix SACD en 1998, nominé aux Césars en 1999) * 388 ARMANDET, Yves, AUCOUTURIER, Annie, BRISSE, Joël, et al., Apprendre à lire les images en mouvement, CD Rom et cassette vidéo du court métrage Les pinces à linge de Joël Brisse, Clermont-Ferrand, Sauve Qui Peut le Court Métrage, CRDP d'Auvergne, 2000 |
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