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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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Chapitre 2 : la réalisation d'un film en plusieurs versions

Nous avons donc suivi la démarche classique de fabrication d'un film : rédaction du scénario, découpage du film en séquences, découpage technique du film plan par plan, tournage, montage ; démarche généralement suivie par les réalisateurs et leur assistant389(*) (Othnin-Girard, 1993) mais aussi utilisée à l'envers par les praticiens de l'analyse filmique (Bessière, 2000). Nous avons opté pour un découpage technique assez précis, selon les définitions d'Othnin-Girard, sans aller jusqu'à la réalisation d'un scénarimage (storyboard).

Le découpage technique plan par plan étant réalisé en amont et les signes choisis d'une manière intentionnelle, le risque d'arbitraire dans l'analyse nous semblait réduit d'autant plus que les réunions furent entièrement retranscrites et filmées.

Nous avons longuement réfléchi avant d'opter pour un très court métrage. Au-delà des contraintes de fabrication liées à la disponibilité des « acteurs » bénévoles et du lieu de tournage en intérieur, nous ne voulions pas que les éléments filmiques (plans, images, sons, vêtements, musique, etc.) soient trop nombreux à appréhender de manière à ce que, lors de la discussion, les participants restituent le maximum de ce qu'ils avaient vu et entendu. Ceci était d'autant plus important que la comparaison entre les effets voulus par le réalisateur et les effets ressentis par les spectateurs devait se faire plan par plan, comme cela avait été prévu dans le découpage technique. Pour résumer, toutes nos contraintes méthodologiques et budgétaires ainsi que celles liées à la disponibilité des acteurs bénévoles expliquent notre choix de format. Celui-ci nous a semblé être un bon compromis sachant que la durée de notre film quoique courte est cependant plus longue que celle d'un spot publicitaire souvent pris comme objet d'étude par les analystes de films (Vanoye et Goliot-Lété, 2001, p.90-96).

Pour faciliter la restitution et la verbalisation de ce que les spectateurs avaient ressenti, nous avons décidé de couper le film en deux parties : la première, correspondant aux deux premiers actes, la deuxième au troisième et dernier acte. Entre les deux parties, nous avons prévu de lancer une discussion de groupe et de proposer un test d'histoire à compléter. Nous espérions ainsi obtenir plus d'informations et de réactions précises de la part des spectateurs afin de les classer a posteriori plus facilement plan par plan. En outre, grâce au test de l'histoire à compléter, nous souhaitions pousser les spectateurs à imaginer la suite du récit, à se projeter dans le temps. Toutefois, nous ne pouvons pas parler de technique projective stricto sensu dans la mesure où le film-stimulus ne peut pas être considéré comme un objet extérieur comprenant une faible information (Anzieu et Chabert, 1987).

Le choix du thème de notre film n'était pas simple. Dans un premier temps, nous avons consulté de nombreux ouvrages traitant des thèmes et des genres ainsi que des dictionnaires et encyclopédies du cinéma390(*) dans lesquels des synopsis ou des pitchs étaient présentés. Il nous fallait une histoire simple à raconter qui puisse faire l'objet d'interprétations différentes de la part des spectateurs, influencés ou non par la présence d'un élément filmique spécifique dans chacune des versions. Nous souhaitions également proposer un récit qui respecte en peu de temps le paradigme ternaire de Field selon lequel toute histoire doit comprendre trois actes : l'exposition ou introduction, qui s'achève sur un premier coup de théâtre (plot-point) ; le développement ou noeud avec une confrontation qui se termine sur un deuxième coup théâtre ; et, enfin, le dénouement ou conclusion391(*). Nous avons choisi l'histoire d'un mari qui à l'annonce de la mort de son épouse a plusieurs réactions possibles. Malgré son caractère émotionnel indéniable, nous avons choisi ce thème pour plusieurs raisons :

- la première est sa transversalité ; ce thème se retrouve, en effet, dans plusieurs genres cinématographiques : le drame, la comédie dramatique, le policier, le film noir, le film de guerre, etc. Or, nous ne souhaitions pas que le spectateur puisse trop tôt et facilement classer le film dans un genre particulier ; l'influence de l'appartenance à un genre cinématographique sur la perception du film étant à étudier également. Ce thème nous permettait, en outre, d'envisager de plagier un court métrage burlesque de Chaplin : Charlot, de dos, ne pleurant pas le départ de son amie mais se préparant un cocktail avec un shaker. Or, comme le dit Emir Kusturica, « Chaplin savait marier le comique et le pathétique, voire le tragique » (in Quin, 2005, p.60) et conduisait le spectateur à passer, en quelques secondes, d'une émotion à une autre, des pleurs aux rires ;

- la deuxième est son intemporalité ; ce thème est récurrent depuis l'antiquité dans la littérature, l'opéra, le théâtre ;

- le troisième est que la mort est l'un des thèmes les plus présents dans le cinéma. Elle est un des trois thèmes, avec la violence et l'amour, les plus traités dans le cinéma américain (Cieutat, 1991). Le risque d'un impact émotionnel fort sur les spectateurs nourris par le cinéma américain nous sembla faible d'autant plus que nous avons cherché à traiter la camarde, comme le font les auteurs de films américains, c'est-à-dire «comme faisant partie intégrante de la vie ». A ce sujet, Michel Cieutat ajoute : « l'Américain est trop préoccupé de vivre pour penser à la mort. A ce propos, on se souvient de Geraldine Chaplin dans A Wedding392(*) qui découvre Lillian Gish morte dans son lit, qui se signe et soudain se souvient : « Oh, mon gâteau ! » et qui se précipite aussitôt vers la cuisine ». (Cieutat, 1991, p.281-282).

Autrement dit, nous avons utilisé la mort comme premier coup de théâtre (plot-point) d'un récit en trois actes. « Et lorsque Hollywood met en scène l'au-delà, la mort ne peut alors en toute logique que faire place une fois de plus à la vie » (Cieutat, 1991, p.284).

I- Les scénarii

Le thème général du film fut choisi pour permettre plusieurs versions différentes.

Il s'agit d'un homme d'affaires qui apprend la mort de sa femme.

4 scénarii numérotés furent rédigés autour de ce thème avec des différences minimes de mise en scène mais avec pour objectif de sens de montrer le mari sous 4 aspects :

- le mari effondré

- le mari commanditaire

- le mari volage

- le mari intéressé

Scénario 1 : Le mari effondré

Plan 1 :

Intérieur nuit. Un bureau d'un homme d'affaires.

Plan de demi-ensemble : Monsieur Dupond, brillant homme d'affaires, travaille, assis à son bureau. Il reçoit un coup de téléphone.

Plan 2 : Gros plan sur le téléphone qui sonne. La main de M. Dupond décroche le combiné du téléphone.

Plan 3 : Plan rapproché poitrine sur M. Dupond.

M. Dupond : « oui ! »

Interlocuteur en voix off, avec bruitage de fond d'un hôpital : « Monsieur Dupond, je vous téléphone pour vous annoncer que votre femme est décédée. Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».

Plan 4 : Gros plan sur M. Dupond, visage fermé (en plongée). Silence de quelques secondes

Plan 5 : Plan rapproché sur M. Dupond.

M. Dupond : « Merci de m'avoir prévenu ».

M. Dupond raccroche le combiné et se lève. Il marche quelques pas et regarde par la fenêtre de son bureau.

Plan 6 : Plan rapproché de profil de M. Dupond. Silence.

Plan 7 : Fondu. Flash Back. Plan en noir et blanc de sa femme qui s'éloigne au bord d'une plage. Prise de dos.

Plan 8 : Plan américain. M. Dupond traverse son bureau pour regarder le portrait de sa femme accroché au mur (ou posé sur un meuble). A mi-chemin, il s'arrête pour ouvrir son mini-bar.

Plan 9 : Gros plan sur la porte du mini-bar. On entend des bruits de verres et de bouteilles.

Plan 10 : Plan rapproché de dos. M. Dupond s'avance vers le portrait de sa femme.

Plan 11 : Travelling avant vers le portrait de Mme Dupond.

Plan 12 : Plan rapproché poitrine de dos de M. Dupond. M. Dupond, au bord des larmes, est pris de soubresauts.

Plan 13 : Gros plan sur le portrait de Mme Dupond.

Fondu au noir.

* 389 Othnin-Girard (1993, p.17-32) : « Le scénario est un traitement du sujet dans sa continuité (...) Le découpage fournit en principe des indications précises sur le traitement cinématographique des diverses séquences du film. Il peut revêtir différents aspects. Le découpage technique précis, comportant pour chaque séquence, plan par plan, la description des positions de caméra, des tailles de plans (plan général, plan américain, etc.), des mouvements de caméra (travelling, panoramique, grue, etc.). Le découpage sous forme de story board, constitué de dessins reproduisant les plans et mouvements de caméra souhaités par le réalisateur », etc.

* 390 Notamment : Cieutat (1991), Linder (1994), Pinel (1995), Rapp et Lamy (1999), etc.

* 391 Sidney Field, Screenplay, The foundations of screenwriter's handbook, A step-by-step guide, Delta Book, Dell Publishing Co, New York, 1979 in Chion (1985)

* 392 Un mariage de Robert Altman, 1978

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore