Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
Dans cet esprit, certains cinéastes considèrent que le genre est une sorte de charte de création dans lequel ils doivent s'inscrire avant de réaliser un film.Ainsi, Wong Kar Wai (in Tirard, p.163) déclare que : « La seule chose que je détermine de façon décisive dès la conception du film, c'est le genre dans lequel il s'inscrit. En tant que spectateur, et plus particulièrement quand j'étais enfant, j'ai toujours été fasciné par le cinéma de genre : les westerns, les péplums, les films de guerre ou d'action, les films d'horreur...Et chaque fois que je me lance dans un nouveau projet, j'essaye de le faire rentrer dans un genre bien précis, avec tous les codes que cela implique ». Prenant pour exemple son film In the mood for love (2000), il explicite son processus de création : « je savais que je voulais traiter d'une liaison impossible entre deux personnes, mais je ne voulais pas aller vers l'histoire d'amour classique ou le mélo, car je savais que cela pourrait facilement devenir ennuyeux. Alors j'ai décidé d'approcher ce film comme un thriller, un film à suspense. Pour moi, le film démarre sur deux personnes qui ont été victimes d'un crime, et qui se lancent dans une enquête pour comprendre comment et pourquoi les choses sont arrivées. Le film est structuré comme ça, avec des scènes très courtes et une volonté de maintenir une sorte de mystère et de tension. »Pour le spectateur, la connaissance des conventions lui permet d'entrer plus facilement dans le film. Les conventions sont comme des repères qui permettent au film de genre de communiquer des informations rapidement et avec une certaine économie de moyens. La question qui se pose souvent est alors de savoir pourquoi les spectateurs vont voir des films du même genre, aux mêmes conventions, sans être apparemment lassés. Bordwell et Tompson (2000, p.80) expliquent ce paradoxe comme de nombreux spécialistes de cinéma par le fait que : « les genres sont des drames réglés comme des rites (au sens anthropologique du terme), comparables aux célébrations des jours fériés - des cérémonies qui nous satisfont parce qu'elles perpétuent des valeurs culturelles avec un minimum de variations. Tout comme l'on peut considérer que ces cérémonies permettent à leurs participants d'oublier les aspects les plus désagréables de leur vie, les intrigues et les personnages familiers des genres peuvent servir à distraire le public des vrais problèmes de la société ». Toutefois, un film peut modifier ou transgresser les conventions et les codes associés à son genre. Dans 2001 : l'Odyssée de l'espace (1968) Stanley Kubrick viole plusieurs conventions des films de science-fiction, et cela dès le début du film en l'amorçant par une longue séquence située dans des temps préhistoriques, donc très éloignée du XXIème siècle, et en associant une musique classique aux vols de vaisseaux spatiaux. C'est que le spectateur, comme tout consommateur de biens culturels ou non, attend d'un film de genre qu'il leur soit familier tout en proposant des nouveautés, parfois inattendues et basées sur le mélange de genres375(*). « Le réalisateur peut concevoir un film légèrement ou radicalement différent, il restera fondé sur une tradition. Le jeu réciproque de la convention et de l'innovation, du familier et du nouveau, est la principale caractéristique d'un film de genre » Bordwell et Thompson, 2000, p.79). La production de films de genre nécessite donc à la fois la répétition de traits caractéristiques et une variation, un positionnement par rapport aux autres films du même genre. Autrement dit, elle s'inscrit dans la dialectique standardisation-différenciation de Laurent Creton : « standardisation et différenciation sont simultanément nécessaires à la production comme à la réception de l'oeuvre cinématographique » (Creton, 2001, pp.40-49). IV- L'information donnée aux spectateurs : les indicateurs de genre Nous venons de voir que les genres sont des catégories que les spectateurs et les cinéastes connaissent et acceptent volontiers. Ils sont fondés sur un accord tacite entre publics et réalisateurs, accord dont les deux parties tirent profit. Pour les réalisateurs et leur producteur, le genre est un garde-fou, une sorte de garantie contre l'échec commercial. Pour les spectateurs, l'existence de genres leur facilite le choix du film à aller voir. Les genres les préparent également à ce qu'ils vont voir et entendre. Ils guident leurs réactions et les conduisent à donner certaines significations au film. L'appartenance d'un film à un genre génère donc un sens ou, comme l'écrit Moine, le genre a une fonction communicationnelle. « Si rapporter un film à un genre, c'est classer le film, c'est aussi le lire et l'interpréter. La conscience de l'identité générique d'un film permet à son spectateur qui reconnaît « une formule de communication établie » « d'organiser son système d'attente » pour reprendre les termes de Casetti. » (Moine, 2002, p.79) Pour ce faire, il faut bien entendu que le spectateur ait une connaissance du genre, même partielle, et qu'il soit averti du genre du film avant son visionnage, faute de quoi il ne pourrait pas construire ses attentes et sa lecture du film. L'avertissement, pour ne pas dire la publicité, du genre est une sorte de promesse de ce que le spectateur va voir, un contrat de lecture qui en cas de non-respect affectera le spectateur. « L'horizon d'attente générique d'un film est déterminé par deux régimes de généricité, un régime auctorial (les producteurs) qui propose et un régime spectatoriel (les spectateurs) qui dispose. Il arrive donc que le régime spectatoriel ne rencontre pas le régime auctoriel. Dans ce cas les attentes génériques, déçues, rendent impossible l'interprétation du film, si elles ne sont pas relayées par un autre système d'interprétation ». (Moine, 2002, p.83)376(*) Les moyens d'informer le spectateur du genre d'un film sont divers. Ils peuvent être classés en deux catégories : les moyens avant le visionnement et les moyens utilisés avant les premières véritables images de la fiction. « Le film de genre propose (ou impose) des indicateurs de genre à son spectateur, que celui-ci reçoit et active, en les rapportant à sa mémoire générique. Ces indicateurs balisent aussi, avant même le visionnement, la communication du film : les critiques, les discours de promotion du film vont orienter ainsi, non seulement le choix, mais l'attitude du spectateur. Les bandes-annonces, les affiches du film, les jaquettes des cassettes vidéo jouent le rôle d'indicateur. » (Moine, 2002, p.81). A cette liste, il est possible d'ajouter le type de salle - certaines salles étant dédiées à un genre particulier : films pornographiques, films d'arts martiaux, etc. - les horaires des projections - certains distributeurs proposant, à certaines heures, des films destinés à un public particulier, les enfants, par exemple, le mercredi matin ou tôt dans l'après-midi, etc. Parmi les indicateurs de genre avant les premières véritables images de la fiction, le principal est, sans conteste, le générique de début377(*) mais on pourrait détailler en distinguant les différents paramètres d'un générique de film tels que la musique du générique, le nom du réalisateur, les noms des principaux acteurs, le nom du romancier dont le livre a été adapté, etc. Un film réalisé par Gérard Oury porte, à tort ou à raison, a priori, l'empreinte du genre comique. Le générique a un contenu qui lui donne une fonction d'ouverture du film : - les motifs musicaux ou sonores, - les motifs visuels comme indicateurs : « de genre (film noir, western, comédie, etc.) ; de contenu narratif ou dramatique » (Vanoye et Goliot-Lété, 2001, p.80-81)378(*). Ainsi, Mario Litwin (1992, p.104) considère que « la fonction du générique est d'être la page de présentation du film. Sa finalité est de plonger le spectateur dans l'ambiance dès l'extinction des éclairages de la salle afin de l'introduire graduellement dans l'histoire. » En tant que musicien, il va plus loin encore en estimant que « d'un point de vue musical, le temps du générique est le plus important. Nous trouvons dans le générique une nouvelle opportunité où le compositeur a le droit d'oublier les contraintes dramatiques du récit et se concentrer sur la valeur esthétique de sa partition. C'est souvent la musique du générique qui informe le public du film que l'on va voir. » Et reprenant la pensée de Robert Bresson selon lequel, au cinéma, le parlant avait inventé le silence, thèse largement reprise par Alfred Hitchcock (Eugène, 2000, p.162-163)379(*), Litwin n'exclut pas l'absence de musique dans le générique de début. « L'absence de musique durant le générique est déterminée par un choix spécifique. Ce silence est dramatiquement intense. Il annonce que « ce que l'on va voir est de nature grave » ! » (Litwin, 1992, p.105). Dans le générique, figurent en bonne place le titre du film et le nom du réalisateur. Ce dernier aura un rôle important dans le comportement du spectateur face au choix d'une offre de films abondante, notamment si le réalisateur a son propre style. V- Le style : son influence sur les spectateurs et son analyse Les techniques cinématographiques sont tellement nombreuses et variées qu'aucun film ne peut à lui seul toutes les employer. Des choix sont donc réalisés par le réalisateur et son équipe, des choix qui créeront le style du film, voire celui de son réalisateur ou d'un groupe de réalisateurs si, à chaque film, les mêmes décisions sont prises qui le différencient des autres cinéastes. Le style est un emploi répété et identifiable de certaines techniques cinématographiques, propre à un seul film ou à un ensemble de films du même réalisateur ou d'un groupe de cinéastes partageant les mêmes idées. Ainsi, parle-t-on du style de Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain (Jeunet, 2001), du style de Jean Renoir, de celui de Robert Bresson, de celui des comédies américaines d'Ernst Lubitsch (Thiéry, 2000), de celui de François Truffaut mais aussi du style de l'école soviétique (1924-1930), de celui du néoréalisme italien (1942-1951), de la nouvelle vague française (1959-1964) ou encore de celui des réalisateurs signataires du Dogme 1995380(*). Depuis l'origine du cinéma, les styles n'arrêtent pas d'évoluer avec la technologie cinématographique mais aussi avec l'expérience des spectateurs et celle des cinéastes. Le style expressionniste allemand (1919-1926) ou celui des surréalistes (1918-1930) ne bénéficiaient pas des procédés techniques d'aujourd'hui ; certains spectateurs ne le supportent pas et vont jusqu'à refuser de regarder les classiques du cinéma. Les réalisateurs ayant plus de possibilités techniques sont moins limités d'un point de vue créatif mais d'aucuns tombent alors dans la facilité, ce qui est préjudiciable au processus créatif. Cet effet pervers explique l'apparition de certains mouvements, comme celui du Dogme 95 : « Je me disais qu'en m'imposant des règles, des choses nouvelles allaient sortir de mon travail, et c'est exactement ce qui s'est passé. Parce que le processus artistique est basé sur l'idée de la contrainte » (Lars Von Trier, in Tirard, p.155). Nous avons vu que l'appartenance d'un film à un genre cinématographique a une influence sur les spectateurs. C'est le cas également lorsqu'un film est qualifié d'un certain style. Comme l'écrivent Bordwell et Thompson (2000, p.432-434)) : « Le spectateur a un rapport au style. Bien que nous en soyons rarement conscients, nous avons tendance à avoir certaines attentes relatives au style du film (...) Comme les autres types d'attentes, les attentes stylistiques découlent à la fois de notre expérience générale du monde et de notre expérience du cinéma et d'autres moyens d'expression. Le style particulier du film peut confirmer nos attentes, les modifier, les tromper ou les remettre en question (...) Si le style n'est pas toujours consciemment remarqué par le spectateur, il n'en contribue pas moins aux effets et à la signification globale du film ». Mais ils notent également que si les spectateurs sont sensibles aux effets du style d'un film, ils le remarquent rarement : « Si nous voulons comprendre comment ces effets sont produits, il faut regarder et écouter plus soigneusement qu'à l'habitude »381(*). * 375 Bordwell et Thompson (2000, p. 77) : « Le mélange de genres est courant dans les films populaires. Il y a des westerns musicaux (les films de Roy Rogers, avec leurs cowboys chanteurs), des mélodrames musicaux (Yentl, Barbra Streisand, 1983), des films d'horreur musicaux, etc. Alien est une combinaison de films d'horreur, de film de science-fiction et de thriller (Alien, Ridley Scott, 1979). » * 376 Moine (2002, p.83) : « Il arrive donc que le régime spectatoriel ne rencontre pas le régime auctoriel. Dans ce cas les attentes génériques, déçues, rendent impossible l'interprétation du film, si elles ne sont pas relayées par un autre système d'interprétation : par exemple, un certain nombre de spectateurs de La ligne rouge (Terence Mallick, 1998), qui est sorti sur les écrans peu de temps après le succès du film de guerre Il faut sauver le soldat Ryan ( Spielberg, 1998), s'attendaient, à cause de cette proximité temporelle et parce que l'affiche et le thème du film ne pouvaient le laisser penser, à voir un film de genre - un film de guerre. Comme j'ai pu moi même en juger par les réactions mécontentes et impatientes de la salle (l'action attendue ne venait pas), suivies de nombreux départs, le réglage des régimes auctorial et spectatoriel, qui était inadéquat, n'a pu se faire par la suite. » * 377 Sachant que le générique peut être sur fond d'image(s) fixe(s) ou mouvante(s) ; qu'il peut également être placé quelques instants après le début du film. * 378 Vanoye et Goliot-Lété proposent, dans un encadré, une sorte de grille d'analyse d'un générique de film. * 379 Eugène (2000, p.163-163) : « Pour Hitchcock la musique doit se justifier (...) Certaines séquences où le silence nous surprend parce qu'un autre cinéaste et son compositeur auraient mis de la musique, là où le silence presque total au point devenir ...assourdissant crée le suspense que le maître recherchait ». * 380 Même si l'un de ses rédacteurs, Lars Von Trier, considère que le Dogme est avant tout une liste écrite de règles : « je pense que tout cinéaste, consciemment ou non, travaille avec ses propres règles. Disons que moi j'appelle ça des règles, et que d'autres appellent ça ...un style. » (Lars Von Trier, in Tirard, 2004, p.155). * 381 Bordwell et Thompson proposent une méthodologie d'analyse de style en quatre étapes principales : voir annexe I.
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