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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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C- La musique

La musique a joué un grand rôle dès l'époque du cinéma muet (Tynianov, 1924). Elle servait au début surtout à couvrir le bruit du projecteur et pour diminuer l'inconfort voire la peur des personnes supportant mal l'obscurité dans laquelle était plongée la salle de spectacle344(*).

Toutefois les musiciens accompagnateurs virent très vite que la musique pouvait souligner les effets dramatiques des images. Aussi, au lieu d'improviser345(*) ou de reprendre des airs d'opéra, les musiciens durent, dès le début du XXème siècle, se plier à la volonté des producteurs distributeurs qui ne voulaient pas lasser les spectateurs sur le plan musical. Les instrumentalistes furent contraints, dans un premier temps, de respecter des consignes écrites dans des cahiers de musique, puis, dans un deuxième, de jouer à l'aide de « véritables » partitions. Puis vint l'idée d'associer le son et l'image pré-enregistrés, de faire l'union du cinématographe et du phonographe, dans une période d'ouverture de salles en dur dans toutes les villes importantes. Charles Pathé, entrepreneur dans l'image et le son, en fit son cheval de bataille.

Mais c'est sans doute aux réalisateurs eux-mêmes que l'on doit à la musique de film son actuel statut et son importance artistique et expressive dans le cinéma.

Abel Gance fut l'un des tout premiers à voir dans la musique et sa terminologie une voie d'avenir pour le cinéma : « Un grand film doit être conçu comme une symphonie, comme une symphonie dans le temps et comme une symphonie dans l'espace. (...) Le cinéma doit devenir un orchestre visuel, aussi riche, aussi complexe, aussi monumental que ceux de nos concerts ».

Charlie Chaplin346(*), Jean Grémillon, John Carpenter ont même parfois composé la musique de leurs films. Dans Histoire de ma vie (1964), Chaplin, tout en évoquant la période charnière entre le cinéma muet et le cinéma parlant, période de tous les dangers notamment pour son personnage de Charlot, écrit : « Je m'efforçais de composer une musique élégante et romanesque pour accompagner mes comédies par contraste avec le personnage de Charlot, car une musique donnait à mes films une dimension affective. Les arrangeurs de musique le comprenaient rarement. Ils voulaient une musique drôle.. »

A l'arrivée du parlant, les réalisateurs ne manquèrent pas de s'interroger sur la manière d'utiliser la musique. Certains comme René Clair se lancèrent dans la réalisation de films chantés (Sous les toits de Paris, Le Million, A nous la liberté). D'autres délaissèrent la musique ou la suremployèrent avec une bande musicale presque ininterrompue pour augmenter l'effet d'unité du film347(*), ou encore l'utilisèrent quasi-uniquement « en situation », nombreux furent ceux qui l'exploitèrent à des fins narratives.

Le parcours d'Alfred Hitchcock348(*) est révélateur des hésitations et de l'évolution des cinéastes en matière de musique. «Pendant sa période anglaise349(*), elle est discrète et le plus souvent diégétique ou en situation (c'est-à-dire que sa source est montrée ou supposée hors champ : chanteur, musicien, radio, électrophone, etc.), elle est beaucoup plus présente dans ses films hollywoodiens » (Eugène, 2000, p.13). Hitchcock fit de multiples essais : « des essais du (presque) tout en musique à son absence totale, de l'emploi de la chanson à l'utilisation d'effectifs différents (orchestres de chambre ou symphoniques, formations de jazz...) ». Toutefois, il resta, semble-t-il, convaincu jusqu'à la fin de sa vie que la présence d'une musique doit être justifiée. Une anecdote au sujet du film Lifeboat (1943) citée par Tony Thomas350(*) est révélatrice. Hichcock ne voulait pas de musique pour ce film et proclamait à qui voulait l'entendre : « Toute l'action du film a lieu sur une barque en pleine mer. D'où pourrait venir la musique ? ». Ce à quoi David Raskin lui aurait répondu : « Demandez à M. Hitchcock d'expliquer d'où vient la caméra et j'expliquerai d'où vient la musique ».

A l'heure actuelle, la musique est utilisée diversement par les réalisateurs qui lui assignent une ou plusieurs fonctions à remplir.

La musique, en plus de sa valeur esthétique, est capable d'accomplir une fonction dramatique. Selon Mario Litwin, « ce talent dramatique de la musique peut aller très loin car, s'adressant à l'émotion plus qu'à l'intellect, elle peut imprégner l'esprit du spectateur sans exiger de lui aucune attention, et agir ainsi directement sur un plan souterrain, sur son intuition, si ce n'est sur son inconscient » (Litwin, 1992, p.14).

Plus précisément, la musique peut avoir à soutenir l'action et/ou à accompagner l'expression des sentiments et/ou à ponctuer le récit en prévenant le spectateur d'un événement imminent, d'un changement brutal et/ou à le laisser retrouver ses esprits, par exemple, après le climax.

La musique peut être employée pour renforcer l'image et les voix, dans un objectif dit de redondance. Mais elle peut, à l'inverse, être en opposition avec le sens de l'image, dans un objectif dit de contraste.

En tout cas, à l'heure actuelle, l'absence de musique se ferait remarquer tant elle a pris une place importante dans la production du sens global ainsi que dans la promotion commerciale du film, par la diffusion des bandes-annonces et la commercialisation des musiques originales du film351(*). Comme l'écrit Patrice Leconte dans la préface du livre consacré à La Musique dans les films d'Alfred Hitchcock (Eugène, 2000) : « Je serai incapable de faire un film sans musique. C'est-à-dire un film unijambiste, une sorte de facteur sans képi, de Groucho sans moustache (...) Tout simplement parce que la musique fait partie intégrante de notre travail. Au même titre que la lumière, le son ou les acteurs. D'ailleurs n'est-elle pas à sa manière, un des personnages du film ? ».

Un point de vue partagé par le compositeur Mario Litwin : « La musique est en effet un comédien sans parole, un narrateur sans texte, dont la symbiose avec l'image peut atteindre un pouvoir expressif capable de rendre tout dialogue superflu ».

Toutefois, dans sa fonction dramatique, la musique occupe généralement, pour ne pas dire toujours la seconde place. Elle doit éviter, selon la plupart des auteurs, d'éclipser les images par une présence excessive. D'autres vont plus loin encore, en affirmant que la musique ne doit pas se faire remarquer.

Certains considèrent inutile la création d'une musique trop complexe ou trop orchestrée pour un film, argumentant que le spectateur ne peut assimiler toutes les données visuelles et sonores en même temps.

De toutes ces considérations souvent divergentes, Litwin (1992, p.92-93) en tire la conclusion que le spectateur non musicien n'écoute pas la musique d'une façon attentive mais marginale: « L'écoute marginale, (celle qui ne passe pas par l'attention mais qui imprègne l'esprit du spectateur352(*)) capte paradoxalement la totalité de la structure sonore. Un décor de fond aux images floues permet de situer une scène dans un lieu déterminé même si le spectateur ne regarde que les protagonistes. Cette écoute marginale fait partie de la perception dramatique de la musique». Cette analogie avec le flou est intéressante. Elle nous renvoie à ce qu'en dit Bellour (2002, p.85) « Le flou est devenu, souvent, dans la pratique moderne et contemporaine où on en fait le plus souvent un usage relatif et partiel, un indice de réel et d'immédiat, une sorte de garant moral de l'instantané. ...Mais le flou permet aussi de mieux voir, ou plutôt de voir autrement ce qui est net. »

Mais la question est, surtout ici, de savoir quels sont ses effets sur le spectateur. Autrement dit, la musique - dont le but poursuivi par le réalisateur est souvent de « décrire » ou d' « exprimer » - a-t-elle réellement des effets sur la compréhension d'une séquence par le spectateur ou sur les émotions qu'elle provoque en lui ?

Les réponses sont incertaines et dépendent de la culture musicale du spectateur. Comme l'écrit Jullier (1995, p.146) : « s'il y a bien un domaine où les spectateurs ne se présentent pas sur un pied d'égalité, c'est bien celui-là. Il n'en va pas de même avec les autres catégories sonores, car l'interprétation des bruits se résume bien souvent à la seule identification (qui met en jeu une majorité de processus indépendants du bagage culturel et de l'humeur du moment), celle des paroles suppose certes la connaissance de la langue, mais à un niveau dont on peut légitimement penser qu'il est atteint ou dépassé par tout spectateur sachant lire. »

Il considère que dès lors que le spectateur maîtrise les codes de la musique, cette dernière peut apporter des aides aux prédictions, des pistes, bonnes ou mauvaises, pour anticiper ce qui va advenir. Il cite, notamment, comme exemple, le trémolo de cordes basses en code mineur qui, dans la culture occidentale, signale le danger, l'angoisse.

Il pense également que l'implication la plus traditionnelle de la musique se situe au niveau des sentiments. Elle est « chargée de mettre le spectateur en condition pour lire la scène selon une voie déterminée et le décourager de lire autrement. Surtout quand les images (...) ont un sens flou : la musique, alors, les asservit à la production d'un sens plus net - fonction de bonding. Par exemple, le spectateur est sommé par le léger butinage de la flûte piccolo, dans Les bourreaux meurent aussi, de se sentir joyeux au spectacle d'Heydrich au bord de la mort » (Jullier, 1995, p.151). Cet exemple est également une parfaite illustration d'une musique à objectif de contraste que nous évoquions plus haut.

Jullier va plus loin encore en se demandant si l'absence ou la présence de la musique a davantage d'importance que son contenu. Ce que Michel Chion et d'autres auteurs semblent conclure, notamment Olivier Philippe (1999) après son analyse des films policiers français (de 1965 à 1992). Les moments d'apparition et ceux de disparition de la musique sont, en effet, générateurs d'émotions et de sens. Comme l'écrit Brion (2000, p.534), au sujet du film d'Alfred Hitchcock The Birds (Les oiseaux, 1963) : « L'absence de musique et l'utilisation de sons électroniques pour accompagner l'action ont également contribué à donner au film un ton inhabituel, ambigu et très inquiétant ».

L'énumération des codes de correspondance entre figures musicales et émotions semble donc illusoire et trop sujet à caution. « Plus souvent que d'asservir une scène à un sens, il est question pour la musique simplement d'être là, afin que le spectateur se laisse aller (résurgence de l'idée pythagorienne de catharsis permise par une musique destinée à purifier l'âme). C'est l'approche psychanalytique, alors, qui peut être utile à l'analyste : on s'attache ainsi à décrire le côté « pour moi » (forme-ness) de la musique du film classique, la comparant à la voix d'un hypnotiseur attaché à faire régresser l'ego du spectateur » (Jullier, 1995, p.151)

Toutefois, ce serait une erreur de nier l'existence de ressources musicales évocatrices d'images sous prétexte que la sensibilité des spectateurs varie selon les époques, les cultures, les modes, les pays, etc. Selon Mario Litwin, il existe, en effet, un « héritage culturel permettant la pérennité de certains registres353(*) à travers les époques et les coutumes. C'est cet héritage culturel qui provoque une relative association354(*), certes au premier degré, de quelques timbres avec des registres émotionnels. » (Litwin, 1992, p.39). Ne pas nier l'existence de codes de correspondance ne signifie pas non plus en conclure en leur véracité absolue et en la nécessité de les respecter.

Quelques exemples fréquents d'utilisation des timbres instrumentaux pour l'évocation d'images et de registres émotionnels.

[D'après Mario Litwin (1992, p.39-47)]

- Violon Solo : intimité, nostalgie, noblesse, prestige

- Flûte Solo : joyeux dans les passages rapides

- Clarinette : mystérieux dans les graves

- Cor : évocation de grands espaces

- Orgue en mode majeur : liturgie, cérémonie

- Orgue en mode mineur : deuil, registre funèbre

- Harmonica en mode majeur : atmosphère Western

- Harmonica en mode mineur : nostalgie, intimité

- Harpe : évocation des climats aquatiques calmes

- etc.

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La musique influence incontestablement le spectateur comme elle influence le téléspectateur. Deux français sur trois ont reconnu que la publicité à la télévision les touchait plus quand la musique était bonne355(*). En matière de mixage, les normes pratiquées par les différentes chaînes de télévision, font l'objet de véritable charte. Ainsi, par exemple, sur la chaîne cryptée Canal+, le mixage se fait « à l'américaine » avec un même niveau sonore pour la musique et les voix, tandis que TF1 préfère un mixage qui accentue les voix et met la musique en retrait356(*). Une étude sur les téléspectateurs qui regardent la série américaine 24 diffusée sur TF1 et sur Canal+ permettrait de comparer les effets et les significations générées par ces deux types de mixage. La version sur TF1 qui permet sans doute un meilleur suivi du des dialogues convient-elle plus au public français attaché au texte que celle sur Canal+ qui mise davantage sur les émotions ? Et in fine, le sens global de 24 en est-il modifié ?

* 344 Lacombe et Porcile (1995, p.15) : « Ce 28 décembre 1895 (...) la lanterne magique n'était pas sans avoir déjà une dimension sonore. Elle cliquetait, vrombissait et résonnait du fonctionnement de ses engrenages mécaniques. Sans oublier le contrepoint sonore que représentait le public. Non contemplatif, il exprimait par la voix et des bruits divers ses émotions ou son amusement devant cette nouvelle attraction). » (...) p.16 :  « Pour l'heure, la musique est en dehors de la salle. Fanfares constituées, bateleurs ou hommes-orchestres s'efforçaient d'attirer le badaud »

* 345 Selon les genres, burlesque, dramatique, historique ou documentaire, l'instrumentaliste, généralement un pianiste, choisissait des « tempi ». « Inconsciemment, en accumulant les redites et les pléonasmes, les pianistes des circuits d'exploitation du XXème siècle créaient une sorte de répertoire. Mieux ils imposaient et codifiaient des habitudes de mise en situation musicale.. » (Lacombe et Porcile, 1995, p.26)

* 346 Bordat (1998, p.301) : « Chaplin composa dans sa vie une centaine de chansons. Beaucoup sont reprises dans les rééditions sonores de ses films (...) Le cinéaste a signé toutes les musiques de ses films à partir des Lumières de la ville, (1931) puis celles des rééditions sonores de ses oeuvres du muet. »

* 347 Aumont et Marie (2000, p.151) : « La principale fonction de la musique des films commerciaux moyens est d'accentuer l'effet d'unité recherché par ailleurs également au niveau de la narration et de l'image. D'innombrables films américains de « série B », dans les années 40 et 50, ont ainsi une bande-musique quasi ininterrompue, soulignant ici ou là tel événement ».

* 348 « Il connaît d'autant mieux les limites de l'image qu'il a été dessinateur de sous-titres pour films muets entre 1920 et 1922 avant de passer à la réalisation » (Eugène, 2000, p. 13)

* 349 1929-1938 avec des films tels que : L'Homme qui en savait trop (1934), Les Trente-neuf Marches (1935), Quatre de l'espionnage (1935)

* 350 Tony Thomas, Music for the Movies, New York, A.S. Barnes, 1973, cité par Eugène (2000, p.15)

* 351 Une musique originale définit une partition lorsqu'elle est composée spécialement pour le film. On la distingue de la musique du répertoire qui est une oeuvre musicale existante que l'on inclut dans le film et de la musique dite au mètre que certains éditeurs proposent dans leurs catalogues généralement spécialisés par genre : musiques pour l'aventure, musiques romantiques, musiques pour le sport, etc.

* 352 « Ces impressions marginales ne passent pas l'attention mais elles arrivent pourtant à son cerveau et imprègnent son esprit. Les automobilistes connaissent bien cette perception marginale qui leur permet de conduire tout en pensant à autre chose » (Litwin, 1992, p. 91-92)

* 353 Il appelle registre le caractère que la musique transmet : joie, plaisir, nostalgie, tristesse, angoisse, peur, mais aussi amour et exaltation.

* 354 Selon lui, dans une certaine mesure, la correspondance entre ces émotions et les images musicales qui les provoquent peut être expliquée par des lois musicales ou acoustiques.

* 355 Sandrine Mollet, VSD, n°1458, 3 au 9 août 2005, p.28

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote