Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
IV- Les codes non spécifiques de la bande-son
Nous étudierons les trois principales catégories de sons, classés selon leur nature : les voix, les bruits, la musique. A- Les voix et les parolesLes voix humaines sont, pour la plupart des auteurs, les éléments sonores que le spectateur sait le mieux écouter et comprendre. Au delà du contenu des paroles prononcées, analysable par des outils linguistiques, narratologiques, psychanalytiques et autres (Aumont et Marie, 2000), les voix apportent de nombreuses informations sur le locuteur, « que les mots ne disent pas directement : sexe, âge, état émotionnel, origine géographique, quand ce n'est pas le milieu socio-culturel d'appartenance. » (Jullier, 1995, p.153). La personne qui parle est, en effet, marquée par le timbre de sa voix, son rythme, son débit verbal, ses locutions favorites (tics verbaux, etc.), et autres caractéristiques qui font partie d'un code non spécifique, non cinématographique. Ainsi le timbre d'une voix peut être plus ou moins mélodieux. Une voix nous renvoie, dans certains cas, une image de son « propriétaire » : une voix de poissonnière, une voix d'adolescent en train de muer, etc. Le débit verbal varie également selon les individus et les propos tenus : une voix traînante d'un personnage calme, lymphatique, voire malade ; voix saccadée par l'excitation ; une voix hachée traduisant un malaise, un effort. L'intonation, le ton que prend l'individu en parlant modifie également le sens de la phrase prononcée. Enfin, l'accent qui est un signe d'une appartenance géographique ou sociale. Les accents sont à l'origine de stéréotypes dont la valeur est toute relative. Le Méridional est jovial et paresseux, le titi Parisien est déluré et malicieux, l'Auvergnat est près de ses sous, etc. « Même si les accents géographiques tendent aujourd'hui à s'estomper, l'accent reste le signe d'une situation sociale et l'accent des banlieues est facile à distinguer de celui des beaux quartiers » (Frechet, 1997, p.36). Ces considérations ne sont pas importantes uniquement au cinéma. Combien de jeunes de province ou de banlieue ont-ils pris des cours d'élocution pour se débarrasser de leur accent afin de se donner plus de chances de réussir un concours, un entretien de recrutement ? Au cinéma, un accent peut cantonner un acteur dans un certain type de rôles, comme Roger Hanin ou Marthe Villalonga avec leur fort accent pied-noir. Daniel Auteuil qui avait un accent provençal assez prononcé fit de gros efforts pour le perdre. Il raconte qu'il fut obligé de se replonger dans l'ambiance de sa Provence natale, quelques semaines, pour le recouvrer, afin de jouer le personnage d'Ugolin dans les deux films de Claude Berri d'après le roman de Marcel Pagnol337(*) : Jean de Florette (Berri, 1986) et Manon des Sources (Berri, 1986).
Exemples de signification des composantes de la voix D'après Jullier (1995) et Bailblé (1979)338(*)
Il est intéressant de noter, comme Vanoye (1989) et d'autres, que les omissions, les pauses, les silences, etc. dans un dialogue peuvent également produire du sens : les hésitations, les répétitions, la segmentation des énoncés par de brèves pauses ou des silences, des « fautes » dues à la rapidité de l'énonciation (Aumont et Marie, p.157). Tous les éléments vocaux que nous venons de citer ne sont pas, répétons-le, cinématographiques et sont utilisés dans bien d'autres domaines que le cinéma. En revanche, est spécifique au cinéma, le fait qu'une voix peut détourner l'attention du spectateur des images. Les voix, qui proviennent soit de dialogues, soit de commentaires, soit de monologues (intérieurs ou non), ont des effets, semble-t-il, différents. «Etant donné la tendance naturelle des paroles à s'emparer de notre attention au détriment des images, on utilise relativement peu le commentaire dans les films de fiction » (Opritescu, 1997, p.131)340(*). De même, afin que le spectateur ne se détache pas des images, on évite également les flots de paroles, notamment dans un dialogue ou un monologue, par exemple, en rédigeant les répliques d'une façon rythmée, ou en coupant une même réplique par plusieurs images différentes. On retrouve là les deux grandes fonctions que de nombreux auteurs assignent aux voix : - une fonction d'ancrage pour limiter la polysémie de l'image et orienter vers un signifié précis, généralement par un monologue ou un commentaire en voix off ; - une fonction de relais pour compléter l'image dans la production de sens, par exemple à l'aide d'un dialogue qui donne des informations pour faire avancer l'action. * 337 Marcel Pagnol, L'Eau des sources, tome 1 et tome 2. Marcel Pagnol les mit en scène au cinéma sous le seul titre de Manon des Sources en 1953. Cette version originale durait 3H20 et fut interprétée par Jacqueline Pagnol, Raymond Pellegrin et Rellys. * 338 Claude Bailblé (1979, p.53) cité par Jullier (1995) * 339 La prosodie est la musique des mots, la quantité et la mélodie des sons. * 340 Opritescu (1997, p.131) : « Le commentaire a par contre un rôle de tout premier plan dans le cinéma documentaire et les sujets de reportage où il fonctionne comme un squelette logique. » |
|