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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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III- Les sons synchrones et les sons post-synchronisés

Les sons d'un film sont enregistrés soit après le montage des images, soit en prise directe sur site, c'est-à-dire sur le lieu du tournage dans un studio ou en extérieur, soit éventuellement en combinant ces deux moyens. Dans le premier cas, on parlera de sons post-synchronisés. Dans le deuxième, de sons synchrones (Wyn, 1972).

Dans les deux cas, les sons filmiques sont enregistrés et leur écoute est, selon Odin (1990, p.239) à la fois relayée, par des hauts parleurs, et acousmatique - c'est-à-dire que le spectateur ne voit pas la source première du son qu'il entend. « Ainsi, le spectateur ne voit-il pas les sources premières des sons filmiques qu'il perçoit : l'orchestre a enregistré la musique du film, les acteurs en chair et en os qui ont joué les personnages, etc. ; le son est toujours relayé par des hauts parleurs. L'une des conséquences majeures de cette situation est qu'il est parfois difficile d'identifier avec certitude l'origine des sons. »

Ces caractéristiques du son filmique permettent aux réalisateurs qui le souhaitent d'utiliser la bande-son pour contribuer au jeu de conflits préconisé par Eisenstein.

Pour montrer la différence entre percevoir un son et identifier sa source et sur le parti qu'un réalisateur peut en tirer pour produire des effets de surprise, Odin cite un exemple proposé par Belà Balazs : « Nous sommes en Afrique, la nuit. Dans le noir, nous entendons soudain un sifflement. Un serpent ? Sur l'écran, un personnage se tourne horrifié vers la source et le spectateur s'accroche à son siège. Mais bientôt la caméra panoramique vers la source du son : la bouilloire sur le réchaud à gaz... »329(*).

Comparés aux sons post-synchronisés, les sons synchrones sont souvent considérés comme plus à même à créer un effet de « vérité ». C'est la raison pour laquelle, ils furent défendus par les cinéastes et théoriciens de La Nouvelle Vague. Certains professionnels soutiennent encore que chaque lieu a un parfum sonore inimitable et donc irremplaçable. Leur défaut est que la qualité sonore laisse parfois à désirer : les sons paraissent souvent brouillés, diffus, « mal enregistrés » (Bessière, 2000, p.57).

C'est l'une des raisons pour laquelle, avec celle de la production de versions dans d'autres langues que celle de la version originale, de nombreux réalisateurs ont tendance à lui préférer un son de meilleur qualité grâce à une postsynchronisation330(*), autrement dit par une addition des sons après le tournage du film.

Les défenseurs du son post-synchronisé revendiquent la modernité, la qualité sonore, la commodité et l'excellence des techniques actuelles de mixage331(*). D'autres insisteront sur les bruits perturbateurs que la prise directe ne peut éviter.

La postsynchronisation inclut donc le bruitage - dont nous avons déjà parlé - et le doublage des acteurs, et cela quelle que soit la langue utilisée dans le film. Le doublage consiste, en effet, à enregistrer en tout ou partie, dans un studio, les voix des acteurs ou de leur doublure dans une langue étrangère. Dans les deux cas, toute la difficulté réside dans la nécessaire synchronisation avec les images tournées. Il faut que les textes soient dits de manière à ce que les mouvements des lèvres des acteurs à l'écran concordent avec les paroles que le spectateur entend. Toutefois, l'acteur ne pouvant jouer deux fois une même scène d'une manière identique, il existe toujours un écart sonore, si minime soit-il.

Le spectateur ne se rendra pas compte de cet a-synchronisme sons/image en raison de trois principes physiologiques et/ou psychologiques relatifs à l'image : la fugacité des images, la persistance rétinienne, l'oubli rapide des détails d'une image.

Ces principes physiologiques expliquent que le doublage d'un acteur étranger par une voix française soit, dans l'ensemble, bien acceptée par le public français. Ce que le public américain accepte moins bien, semble-t-il, à moins que ce soit une façon «élégante » pour le cinéma américain de protéger leur marché intérieur.

Une anecdote historique est intéressante pour bien comprendre que l'écart sonore, l'a-synchronisme sons/images est moins important que le décalage, le hiatus entre le personnage à jouer et l'acteur qui le joue. Dans les années trente, le doublage n'étant pas encore au point, les cinéastes américains eurent alors l'idée de différencier leur offre filmique en tournant des films dans la langue de chacun des publics nationaux visés. « La MGM, la Warner ou la Fox le faisaient en attirant à Hollywood acteurs et réalisateurs français, allemands, espagnols, suédois, etc. et réalisèrent ainsi dans les studios californiens environ 35 films « français », tournés dans notre langue avec des acteurs français ou francophones. Ces oeuvres étaient de simples décalques de films américains dont les originaux restaient inconnus hors des Etats-Unis, comme Le Procès de Mary Dugan (1931) ou La Piste des géants (1931), western de Raoul Walsh où John Wayne était remplacé par un certain Gaston Glass, pour le public français.. » (d'Hugues, 1999, p.27-28)332(*). Les résultats furent généralement désastreux, le public bouda ces films qui sonnaient faux et les critiques les tournèrent en dérision...

En ce qui concerne la musique, l'obsession du synchronisme a prévalu jusque dans les années 50-60. La raison est à la fois historique et technique :

- historique, parce que la musique a longtemps eu une vocation incidentale. Notamment, pendant la période du cinéma muet, elle marquait, elle signalait l'événement ;

- technique, parce que la maîtrise de l'enregistrement sonore n'a pas été immédiate. Lacombe et Porcile (1995, p.233-234) montrent bien « que le captage comme la reproduction correcte des bruits ont longtemps posé problème aux ingénieurs du son néophytes. Un exemple caricatural en est offert dans Chantons sous la pluie, quand le tremblement des perles d'un collier se traduit en un raclement de chaîne d'ancre ». Longtemps, donc, un compositeur de films fut jugé à son habileté à synchroniser sa musique aux images. Et tout a-synchronisme était considéré comme une marque de médiocrité. Il fallut le courage de réalisateurs tels que Jean Renoir et Jean Cocteau pour combattre ces idées reçues, ces règles, ce code dirait certains. Jean Cocteau déclarait, dès 1938, « Une paresse, fille de l'habitude, empêche d'établir un jeu entre l'oeil et l'oreille et d'en tirer des gags et des surprises »333(*).

Depuis, les choses ont fort heureusement changé. Aussi, certains auteurs préfèrent parler de correspondance plutôt que de synchronisme. Le synchronisme, à leurs yeux, convient pour des événements ponctuels qui ne peuvent se manifester que de façon synchrone. Par exemple, une image montrant la chute d'un corps et le bruit du corps qui s'écrase à terre. Mais, lorsque l'événement est de plus longue durée, par exemple une scène romantique appuyée par une illustration musicale, on ne peut pas parler de synchronisme mais de correspondance. « La différence entre correspondance et synchronisme se réfère à l'étendue dans le temps de l'événement à illustrer. Il y a synchronisme entre événements ponctuels ou instantanés mais il y a correspondance entre événements ayant une certaine durée. Dans une bagarre, il y a correspondance entre la partition musicale illustrant la violence pendant toute sa durée et synchronisme entre les coups de poing et leurs bruitages » (Litwin, 1992, p.113). La conséquence pratique de cette distinction est que le synchronisme supporte mal les écarts image-son - bien que le chronométrage et l'exactitude ne soit pas nécessaires sauf peut-être dans les dessins animés (traitement « Mickey-mousing334(*) » de chaque action des personnages) - alors que la correspondance peut être appuyée par un léger retard de la musique (parfois une légère avance) par rapport aux images.335(*)

En réalité, quelle que soit la terminologie employée, ce qui importe ce n'est pas le synchronisme parfait, c'est que les sons et les images se combinent bien, que de cette combinaison surgisse un sens. Comme le disait Robert Bresson336(*) : « C'est le montage qui crée soudain, quand les images et sons s'ajustent les uns aux autres. La vie surgit (...) Ce qui est mort sur le papier renaît au tournage, et l'image morte renaît au montage ».

Or, dans la combinaison audiovisuelle, une perception influence l'autre et la transforme. De ce constat, Michel Chion propose le concept de valeur ajoutée : « Par valeur ajoutée, nous désignons la valeur expressive et informative dont un son enrichit une image donnée, jusqu'à donner à croire (...) que cette information ou cette expression se dégage naturellement de ce qu'on voit et est déjà contenue dans l'image seule. Et jusqu'à procurer l'impression, éminemment injuste, que le son est inutile, et qu'il redouble un sens qu'en réalité il amène et crée, soit de toutes pièces, soit par sa différence même avec ce qu'on voit » (Chion, 2000, p.8-9).

* 329 Belà Balazs, Theory of the Film, Dover Publication, 1970, p.212, cité par Odin (1990, p.239-240)

* 330 ajout de sons après le montage des images : doublage des voix, musique diégétique et bruits. La postsynchronisation est l'inverse du son direct qui est un son enregistré en même temps que sa source est filmée.

* 331 Le mixage consiste à regrouper divers éléments, sons et images, sur un même canal : bande magnétique, fichier vidéo type AVI ou, pour les films cinématographiques, un support celluloïd

* 332 d'Hugues (1999, p.27-28) : « La Paramount préféra opérer sur place, en choisissant de s'implanter dans la banlieue parisienne et en engageant, à grands frais, ce qu'elle pensait être les meilleures équipes françaises du moment : scénariste, réalisateurs, comédiens et techniciens....La Paramount française s'installa à la hâte dès 1930 à Joinville-le-Pont, pour exploiter au plus vite la vogue immédiate et irrésistible du cinéma parlant. ...

Chaque film était réalisé en deux ou trois versions, au minimum, et souvent, en une demi-douzaine, les équipes de chaque nationalité se succédant sur le plateau à un rythme accéléré. »

* 333 Jean Cocteau, Ce soir, 12 juillet 1938, cité par Lacombe et Porcile (1995, p.235)

* 334 Type de synchronisation entre d'une part la musique et les voix des personnages de films d'animation , d'autre part leurs mouvements, dont le but est d'atteindre une coordination parfaite, qui fut développé par Walt Disney dans les années trente.

* 335 Litwin (2002, p.187) : « Glossaire. Correspondance : Mise en rapport d'un événement musical et d'un événement cinématographique pour illustrer ou appuyer dramatiquement ce dernier. Lorsque les deux passages exigent un suivi à la seconde près ou qu'ils présentent des événements ponctuels ou instantanés, la correspondance devient synchronisme ».

* 336 interrogé par Ciment (2003, p.30)

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon