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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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Chapitre 6 : Les codes de la bande son

Bien que la bande son ait fait l'objet de moins d'études et de recherches que la bande image, son influence sur les spectateurs est incontestable. Comme dans la bande image, il existe des codes spécifiques et d'autres qui ne sont pas uniquement cinématographiques.

Le code de la relation images-sons et le code du synchronisme sont spécifiques au langage cinématographique. D'autres codes de la bande son existent mais sont non spécifiques, non cinématographiques comme, par exemple, le code de la musique et le code linguistique des dialogues.

Exemples de codes filmiques de la bande-son

(selon Metz et Odin)

 

Bande-son

Codes non spécifiques, ou filmiques non cinématographiques

- code de la construction des dialogues

- code de la musique

Codes spécifiques, ou

filmiques cinématographiques

- code de la relation images-sons,

- code du synchronisme

- etc.

I- Les différents éléments de la bande-son

Après une assez longue histoire du cinéma muet, en 1927, sortit le premier film du cinéma parlant : Le chanteur de Jazz (Alan Crosland, 1927). Le passage du muet au parlant ne se fit pas sans résistance de la part des comédiens, dont certains virent leur carrière s'arrêter brutalement et connurent la misère car leur voix ne correspondait pas à leur physique, mais aussi de la part de certains cinéastes dont le plus illustre, Louis Lumière, qui déclara en 1935 avec franchise : « lorsque j'ai vu les tout premiers films parlants ou sonores, j'ai craint à une disproportion flagrante entre la grandeur des personnages et leur puissance vocale. J'ai bien vite reconnu qu'il n'en était rien ». Il précisa même sa pensée lors d'une autre interview qu'il accorda à un journaliste de L'Intransigeant, en mars 1935312(*), « Au début du parlant, je ne croyais pas à son succès, je l'avoue. Il me paraissait choquant que des personnages plus grands que nature sur l'écran émissent des sons qui n'étaient pas à l'échelle ».

L'un des formalistes soviétiques, Adrian Piotrovski, écrivait en 1927313(*) : « il faut passer au sonore au plus vite mais il faut se garder de se laisser enliser au niveau de la base technique (...) Il faut conserver les figures de montage (associatif, analogique, parallèle, rapide, intellectuel) et y introduire le son. Il faut trouver une photogénie du son. Il doit être traité comme un matériau expressif indépendant qu'il s'agit d'organiser selon des paramètres tels que fort/faible, loin/rapproché, analogues aux systèmes d'oppositions dans l'image du gros plan et du plan général, par exemple. »

Louis Lumière, lui-même, proposa une explication au succès du parlant, contre ses propres prévisions, par un « effet psychologique » qu'on retrouvera par la suite à chaque évolution technologique (film en couleur, en relief, en dolby stéréo, effets spéciaux numériques, etc.) : « Je constatai bien vite que l'invraisemblance ne rebute jamais l'esprit humain. Notre cerveau fait l'adaptation ».  

Toutefois, l'erreur serait de croire qu'avant cette révolution du cinéma parlant, les films étaient sans son. Au temps du muet, un bonimenteur314(*) et/ou un accompagnateur, généralement un pianiste, assuraient des sons pendant la projection. Leur présence, tout au moins au début, n'était pas uniquement pédagogique ou informative. Elle se justifiait par la nécessité de couvrir le bruit de l'appareil de projection.

Ce n'est qu'avec l'expérience que les cinéastes s'aperçurent que la musique augmentait l'effet émotionnel des images, en jouant, comme le suggérait Eisenstein notamment, sur les changements de rythme, sur les conflits, l'effet de surprise, le contrepoint audiovisuel315(*), etc. ou comme Chaplin l'a écrit sur la non-concurrence avec l'image, sur le contrepoint de charme et de grâce (pour son personnage comique de Charlot), sur l'expression de sentiments (Chaplin, 1964)316(*). Ce contrepoint est devenu par la suite multiforme (Lacombe et Porcile, 1995, p.239-240) 317(*).

Puis, de nombreuses salles s'équipèrent d'un procédé phonographique afin de diffuser de la musique, souvent à valeur dramatique ou comique. Au bruitage et/ou à la musique qui constituèrent dans un premier temps la « bande son », s'y adjoignirent les paroles en 1927 ; paroles qui n'étaient décryptables jusque là que par les malentendants sachant lire sur les lèvres318(*).

L'évolution technologique aidant, actuellement la bande-son est composée de différents éléments hétérogènes que l'on classe traditionnellement en trois catégories selon leur nature : les voix (dialogues, voix d'un éventuel narrateur)319(*), les bruits, la musique. A ces éléments, non spécifiquement cinématographiques, correspondent des codes non spécifiques que nous étudierons après avoir étudié les effets de la combinaison, spécifiquement cinématographique (ou tout au moins audiovisuelle), de la bande son et de la bande image.

* 312 In Chardère (1995, p.369)

* 313 In Albéra (1996, p.17)

* 314 Le bonimenteur commentait le film muet pour faciliter sa compréhension. Le besnhi, dans le cinéma muet japonais, allait plus loin : il improvisait les dialogues en imitant les voix des personnages.

* 315 Dès 1928, Eisenstein imaginait des rapports de non-coïncidence entre l'image et le son et prônait  « la création d'un nouveau contrepoint orchestral d'images-visions et d'images-sons ».

* 316 Pourtant Chaplin était plutôt hostile au parlant : « Le parlant ? On peut dire que je le déteste. Il signe l'arrêt de mort du plus vieux et du bel art du monde, celui de la pantomine » in Bordat (1998, p. 266) : « Chaplin, en 1929, dit tout le mal qu'il pense des talkies. ». Il pensait surtout que son personnage de Charlot n'en survivrait pas : « Le premier mot qu'il prononcerait ferait de lui quelqu'un d'autre » (Chaplin, 1964, p.361). Car, en réalité, il s'est toujours intéressé au parlant avant de l'utiliser pleinement, pour la première fois, dans son film Le Dictateur (1940). Comme l'écrit Deleuze (1983, p.336), Chaplin est de ceux qui « en ont fait un usage radical, original ».

* 317 Lacombe et Porcile (1995, p.239-240) : « Il peut être au départ de pure contradiction : « Il me semble qu'il faudrait avec les mots dire je vous aime, mettre une musique qui dise je m'en fous » a déclaré Jean Renoir. (...) De ce type de contradiction apparemment sommaire, François Truffaut fit une belle utilisation dans Tirez sur le pianiste (1966) où la voix intérieure de Charlie annonce exactement le contraire de ce qu'il va faire la seconde qui suit. Contradiction de sens qui peut s'exprimer aussi par une opposition de couleur, de timbre.(...). Contrepoint de timbre et d'intensité qui représente en fait le contre-pied des habitudes courantes en matière de musique de film. »

* 318 Boris Eikhenbaum (in Albéra, 1996, p. 44) cite « l'histoire de ces sourds muets qui, assistant à une projection en Angleterre, avaient protesté contre la teneur des dialogues prononcés qui ne correspondaient absolument pas à l'action sur l'écran. Pour eux le cinéma était un art plus « verbal » que le théâtre où, en raison des conditions du spectacle (distance entre la scène et le spectateur), ils ne pouvaient pas voir nettement les mouvements articulatoires ».

* 319 Certains auteurs préfèrent parler de paroles

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams