Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
E- Le code des effets spéciauxContrairement à un sentiment largement partagé dans le public, les effets spéciaux ne sont pas nés avec l'informatique. Les trucages, illusions et autres simulacres sont apparus, selon Pascal Pinteau (2003), dès l'aube de l'humanité. Des traces d'effets spéciaux insolites remontant à l'Antiquité égyptienne ont été retrouvées. Vers le 2ème siècle (après Jésus Christ), les propriétés détonantes de la « poudre noire » sont utilisées en Chine à des fins artistiques. A la pyrotechnie s'ajoutent les systèmes de machinerie, dont les premiers sont apparus dès l'Antiquité, qui prennent au cours de la Renaissance, grâce à de grands artistes et inventeurs tels que Léonard de Vinci, une autre dimension. De Vinci influença également beaucoup l'apparition des automates qui connurent leur véritable essor au début du XVIIIème siècle avec l'utilisation des mécanismes d'horlogerie et leur apogée avec le magicien et fabricant d'automates Robert Houdin (1805-1871). Les lanternes magiques et même le cinéma primitif298(*) - par l'illusion du mouvement et, donc, de la réalité qu'il créait par le défilement de photographies - furent considérés par beaucoup comme des effets spéciaux à part entière : « N'oublions pas que le cinéma fut à ses origines traité comme un effet spécial en lui-même : le simple fait de voir avancer vers la salle une puissante locomotive, ou de voir bouger des photographies, apparaissait comme un tour de magie » (Chion, 1990, p.206). Puis, se développèrent des effets spéciaux spécifiquement cinématographiques. Les premiers seraient dûs au hasard. Selon une anecdote célèbre, Georges Méliès299(*) découvrit son premier truc à la suite d'un incident technique : sa caméra se bloqua tandis qu'il filmait la place de l'Opéra. Méliès coupa le morceau de pellicule abîmé et colla les deux bouts de la pellicule en état, puis poursuivit le tournage comme si de rien n'était. A la diffusion, il fut stupéfait de découvrir un omnibus se transformer brutalement en corbillard. Entre le moment de l'incident qui arrêta la prise de vues et la reprise du tournage, un corbillard s'était, en effet, placé là où se trouvait quelques instants plus tôt l'omnibus, d'où un effet spécial surprenant. Méliès venait de découvrir l'intérêt de ce trucage par substitution. Il le développa, le perfectionna, inventa la surimpression, c'est-à-dire les expositions multiples de la même portion de pellicule, ayant pour résultat de mélanger plusieurs images en une seule, mais aussi le cache300(*), notamment pour faire disparaître et réapparaître les acteurs ou les objets, qu'il utilisa par exemple dans son premier film à trucage, L'Escamotage d'une dame chez Robert Houdin (1896). De cette époque à la nôtre, les inventions de Georges Méliès furent souvent à l'origine de nouvelles techniques telles que les peintures sur verre (1907), la transparence ou rétroprojection301(*) (1930), la projection frontale ( 1932), le Scotchlite302(*) (1940), les écrans-puzzles 303(*)( 1980), le procédé Zoptics 304(*)(1978), l'introvision 305(*)(1981), etc. Aussi, les effets spéciaux désignent-ils en plus des grandes machineries, des automates, des poupées, des déguisements, des effets pyrotechniques, des masques et autres maquillages, « différentes manipulations photographiques permettant de créer des relations spatiales fictives au sein d'un même plan, par exemple, la surimpression, le plan composite306(*) et la transparence » (Bordwell et Thompson, 2002). Autrement dit, les effets spéciaux regroupent toutes les techniques qui permettent « de simuler à l'écran un événement qu'il n'est pas possible, pour une raison ou une autre, de filmer en vrai. Cela va de la fumée dans une tasse de café à la destruction d'une planète entière » (Allorge, 2003, p.331). Les spécialistes des effets spéciaux, à la fois artistes et techniciens, sont constamment à la recherche de nouveautés, de moyens de manipuler la réalité, soit pour construire un monde irréel (par exemple, dans les films de science-fiction et d'horreur, dans les films fantastiques), soit pour reconstituer un monde réel disparu (par exemple, dans les films historiques) ou un monde que des contraintes techniques et/ou budgétaires et/ou politiques interdisent de filmer, soit pour amplifier le réalisme de certaines scènes307(*). En conséquence, il est, une fois de plus, difficile de conclure en l'existence d'un véritable code des effets spéciaux. La créativité, l'inventivité, l'appropriation des nouvelles technologies (informatique, matériaux de synthèse, images de synthèse, en 3 dimensions, etc.) font constamment évoluer les techniques utilisées, les rendant vite obsolètes. Comme l'écrit Chion (2002, p.208) : « Les effets spéciaux sont restés un art d'habileté pratique où ne règne aucune routine, et qui souvent fait éclater les barrières entre les métiers ». L'informatique fut dans un premier temps utilisée pour déplacer les caméras, comme ce fut le cas lors du tournage de La Guerre des Etoiles - Star Wars (George Lucas, 1977). Ce n'est qu'à partir des années 80 que les images de synthèse intéressèrent les cinéastes (du cinéma autre qu'expérimental). Le film de science-fiction Tron (Steven Lisberger, 1982) est le premier à montrer des scènes de cinéma en images de synthèse 3D : motos, tanks, paysages, etc. Mais il faudra attendre 1991 pour qu'après plus de soixante ans d'utilisation de trucages optiques, le premier film à effets spéciaux uniquement composés numériquement sorte. Il s'agit du film de science-fiction de James Cameron dont la première partie sortit en 1984 : Terminator 2 : Le jugement dernier (1991). Depuis, la plupart des films à succès ont utilisé les effets numériques. Le développement du numérique permit au cinéma français de renouer avec les effets spéciaux. Grâce à ce saut technologique, en effet, « la France est revenue dans le wagon de tête » comme le dit, dans une entretien (in Pinteau, 2003, p.188-199), Pitof, le réalisateur de Vidocq (2000) premier film au monde tourné en numérique haute définition. * 298 Egalement appelé cinéma des premiers temps ou, en anglais, early cinema, le cinéma primitif est le cinéma des années 1895 (invention du cinéma) à 1914 (début de la première guerre mondiale). * 299 Scénariste et réalisateur français (1861-1938). Illusionniste, il dirigea le théâtre Robert-Houdin. « Créateur de la mise en scène cinématographique, inventeur d'ingénieux trucages, constructeur des premiers studios de cinéma (à Montreuil) » (Rey, 1996, p.1356) * 300 Ecran opaque placé devant la caméra ou la tireuse qui masque une partie du photogramme et modifie la forme de la partie impressionnée de l'image. La zone masquée est généralement noire à l'écran, mais elle peut aussi être blanche ou colorée. * 301 La transparence ou rétropojection est une technique permettant de combiner sur une même image une action se déroulant en fond de plan filmée antérieurement. Le premier plan est filmé en studio devant un écran sur lequel est projetée, par derrière, l'image représentant l'action de l'arrière-plan. La transparence est l'inverse de la projection frontale qui est un procédé complexe - avec un miroir concave et un miroir semi-transparent - où les images censées représenter le décor au fond d'un plan sont projetées frontalement sur un écran ; les personnages et les objets situés au premier plan sont devant l'écran filmés suivant le même axe. La fabrication d'un grand miroir concave nécessitant un budget énorme, des améliorations techniques furent réalisées à partir des années quarante, notamment avec le Scotchlite. * 302 Matériau réfléchissant recouvert de milliards de micro-billes, breveté par la société 3M, qui permet la projection frontale à moindre coût mais dont la fragilité fut critiquée * 303 Ecran composé de tuiles triangulaires en Scotchlite collées sur une toile de Dacron et recouverte d'une pellicule de Mylar, donc moins fragile que le grand écran en bandes de Scotchlite. * 304 Système qui permet de synchroniser les mouvements de deux zooms montés sur la caméra et sur le projecteur d'un équipement de projection frontale. Il fut utilisé pour le tournage de Superman (Richard Lester, 1978). * 305 Double projection frontale sur un écran géant d'une part et sur un écran de plus petite taille d'autre part. Ce procédé fut utilisé notamment dans le film Outland (Peter Hyams, 1981). * 306Le plan composite (ou image composite) est un truquage où les différentes parties d'une image (généralement les acteurs et le décor) sont filmées séparément et associées en laboratoire, notamment grâce aux procédés cache-contrecache, connus des photographes dès 1850. * 307 On retrouve cette typologie des effets recherchés dans l'oeuvre de Georges Méliès. Sur les quelque 500 films qu'il tourna entre 1896 et 1913, trois thèmes généraux se dégagent : la féerie (Cendrillon, Le Palais des Mille et Une Nuits, La Fée Libellule), la fiction scientifique (Le Voyage dans la Lune, Le Voyage à travers l'impossible, 20 000 lieues sous les mers, La Conquête du pôle), l'histoire (L'Affaire Dreyfus, La Civilisation à travers les âges). . |
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