Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
D- Le code des vêtementsAu cinéma, le proverbe populaire « L'habit ne fait pas le moine » semble inadapté. Le vêtement au cinéma comme au théâtre, dont il a beaucoup hérité, influe sur l'image du personnage qui le porte, sur la perception de son caractère, de son statut social par le spectateur. Il informe également de l'époque au cours de laquelle se situe l'histoire. Le choix des vêtements qui sont portés par les personnages intervient donc sur les contextes de la situation, principalement sur les contextes identitaire, temporel, des positions respectives, et ainsi crée un sens global (Mucchielli, 2001). Pour les films historiques, la créatrice ou chef costumière s'aide de documents iconographiques, se renseigne auprès d'historiens sur les coutumes de l'époque. Les détails d'un costume sont d'autant plus à soigner que les prises de vues sont effectuées en plan serré. « Le moindre faux pli ou la dentelle d'un col mal exécutée sauteront aux yeux du spectateur. C'est la grande différence entre le travail pour le cinéma et celui du théâtre » (Parillaud, 2002, p.75). Une des fonctions du vêtement est souvent négligée et pourtant essentielle à la mise en valeur du personnage par l'acteur. Elle consiste à placer le comédien dans une disposition physique et mentale conforme au rôle à jouer en l'obligeant à porter des sous-vêtements ou des accessoires d'habillement bien qu'ils ne puissent pas être vus à l'écran. Chion (1990, p.130-132) cite l'exemple de Luchino Visconti qui y tenait beaucoup pour ses films d'époque, tout comme il préférait que ses acteurs portent de vrais bijoux. « Son costumier attitré Piero Tosi y veillait, et imposa à Claudia Cardinale, dans Le Guépard (1963), de porter sous ses robes un corset d'époque qui la martyrisait ». Les vêtements portés d'une manière récurrente par un acteur vont contribuer à la création de l'image du personnage et/ou de l'acteur. Charlot est un melon et une canne. Aussi, lorsqu'un réalisateur se lance dans une série de films ou de téléfilms, il peut s'aider du vêtement pour imposer son personnage récurrent. Excepté dans les films d'époque où des règles « historiques » doivent être respectées, sachant que de nombreux cinéastes pour des raisons d'économie s'accordent quelques écarts, les costumes évoluent avec la société. Autrement dit, il n'existe pas de code costumier dès lors que les films se situent à l'époque contemporaine. Olivier Philippe (1999, p.144-145), en étudiant l'apparence vestimentaire des policiers dans les films de 1965 à 1992, a montré d'une part l'importance des vêtements dans les films, d'autre part l'évolution des costumes, mais aussi le poids de la personnalité des acteurs sur leur façon de s'habiller, enfin l'influence des habillements des acteurs-policiers sur l'habillement des véritables policiers. « Les vêtements ne sont pas sans importance dans le cadre d'un moyen d'expression essentiellement visuel comme l'est le cinéma. (...) On peut dire que l'habillement des héros policiers évolue dans le temps ». Philippe cite notamment Jacques Deray : « Le cinéma évolue, comme la police. Alors, qui pousse l'autre ? Est-ce que c'est le cinéma, est-ce la police ? Mais quand vous voyez tous les films policiers d'il y a trente ans, même dans l'action, les mecs ils étaient en costume, en imperméable, avec des chaussures. Aujourd'hui, bon, vous mettez à Belmondo dans Le Marginal un blouson, des baskets et un jean ». Pour les films qui se situent de nos jours, cette tendance au dépouillement vestimentaire est nette. Certains l'expliquent par l'exigence plus grande de naturalisme qui conduit à ne plus vouloir, surtout dans les films français, une actrice bien apprêtée. « Aujourd'hui, une femme qui se lève le matin avec un maquillage impeccable et bien coiffée, cela n'existe plus au cinéma ». (Yvonne Sassinot de Nesle, costumière, in Chion, 1990, p.131). Cette tendance est liée également au fait que les acteurs préfèrent choisir eux-mêmes leur habillement afin d'entrer plus rapidement dans la peau de leur personnage mais aussi, soyons réalistes, est la conséquence des contraintes budgétaires296(*). Pour autant, est-ce que le code des vêtements et celui des accessoires sont moins importants que le code de la narrativité ? Ou, plus généralement, existe-t-il un ordre d'importance dans les codes filmiques, spécifiques ou non ? Certains professionnels du cinéma considèreront peut-être, mais à notre avis souvent à tort, chacun dans leur métier, que leur code est le plus important. Du point de vue du spectateur, les choses sont plus incertaines encore. Comme l'écrit Louis Delluc297(*) (in Burch, 1993, p.5) : « Vous croyez peut-être que ce public s'émeut surtout du drame ou de ses péripéties feuilletonesques ? C'est à peine s'il y prend garde. Il vécut une heure de joie rien que pour les robes d'Irène Castle, l'harmonie des ameublements et la grâce remarquable des accessoires ». Mais, tandis que Delluc considère que l'expérience filmique - la sienne et celle du public populaire - ignore le sens produit par le film mais se repaît de la présence des visages, des vêtements, des paysages, de la lumière, du mouvement, de nombreux auteurs considèrent au contraire qu'un film « devrait pouvoir se réduire à une seule et unique trame narrative » (Burch, 1993, p.9). En réalité, le film étant une combinaison spécifique de codes (Garroni), c'est une erreur de vouloir le réduire en un seul élément, si important soit-il, sachant, de plus, que son degré d'importance varie d'un film à un autre, et que les effets spéciaux peuvent être absents dans un film et omniprésents dans un autre.
* 296 Chion (1990, p.132) : « Dans le meilleur des cas, le budget ne dépasse pas cinquante mille francs pour un film français moderne. Aussi beaucoup préfèrent-ils recourir au shopping, aux stocks de vêtements et aux loueurs ». * 297 Louis Delluc, «La Foule devant l'écran » in Le cinéma et les cinéastes, Ecrits cinématographiques I, Paris, Cinémathèque Française, 1985, p.73 |
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