Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
B- La lumière et l'éclairageDéjà en 1927, Evguéni Mikhaïlov et Andréi Moskovine280(*) écrivaient : « La lumière qui, tout comme la musique, exerce une forte action sur le psychisme de l'homme, a trouvé une application pratique ». Ils regrettaient cependant, à l'époque, que « ses lois aient été peu étudiées ». Depuis, de nombreuses recherches ont confirmé les propos de ces deux opérateurs du cinéma soviétique. Il est, en effet, admis que la lumière peut mettre le spectateur dans un état psychosociologique particulier qui influera sur l'interprétation qu'il fera des images. La lumière participe à l'ambiance, à l'atmosphère, au ton de la scène. C'est sans doute la raison pour laquelle certains auteurs la considèrent comme un élément de la mise en scène281(*). La difficulté est que, comme pour les couleurs, la perception et l'interprétation de l'état de la lumière sont culturelles et renvoient le spectateur à son expérience du monde. Par ailleurs, la lumière est à tort confondue avec l'extérieur/jour d'un scénario alors que la lumière peut être artificielle. En outre, même à l'extérieur, le jour, des éclairages artificiels peuvent être employés282(*). En extérieur, le réalisateur est dépendant des conditions météorologiques. Il est possible toutefois de jouer avec la lumière naturelle en utilisant des ombres naturelles (arbres, immeubles, etc.) ou d'en créer avec des ombrelles. Lorsque la luminosité n'est pas adéquate, un éclairage artificiel, éventuellement renforcé par des réflecteurs283(*), est souvent mis en place. Les règles pratiques relatives à l'éclairage sont connues. Parmi elles : - Les visages éclairés par un fort soleil sont généralement inesthétiques en raison d'une part des ombres fortes sur le visage qui masquent les yeux, d'autre part des grimaces que ne peut s'empêcher de faire l'acteur. En plus de cela, les détails de la peau sont renforcés ce qui accentue le moindre défaut (ride, bouton, rougeur, etc.). En conclusion, l'acteur n'est pas mis en valeur et donne de lui une image sombre et agressive. - A l'ombre, les visages sont éclairés uniformément. Les yeux de l'acteur sont visibles, les détails de sa peau gommés mais le relief de son visage est estompé. Pour le remettre en valeur, en tout ou partie, des réflecteurs peuvent être utilisés afin de renvoyer le flux nécessaire de lumière, venant du soleil ou d'un projecteur. Cette technique est, bien entendu, utilisable pour tout objet, ou détail d'un objet. « Dans son livre Des lumières et des ombres284(*), Henri Alekan considère que la lumière est perçue optiquement et vécue psychiquement » (Joly, p.105). La lumière du jour évoque souvent l'optimisme et l'énergie. On l'oppose souvent à l'obscurité, à la tombée de la nuit, signes de danger et de mort. Alekan, en directeur de la photographie averti, suggère de distinguer la lumière artificielle et la lumière naturelle car, selon lui, le fait de reconnaître l'une ou l'autre n'est pas indifférent pour la signification de l'image. Il propose également de distinguer deux types d'éclairage : l'éclairage directionnel et l'éclairage diffus. - L'éclairage unidirectionnel est, selon lui, une lumière partisane qui « en modelant formes et contours désigne l'objet, insiste, sépare, tranche, cisèle et souligne l'essentiel des formes, repoussant le secondaire en moindre valeur. » Aussi, est-ce une lumière hiérarchisante, classificatrice : une lumière engagée. Elle donne souvent l'impression que l'image est éclairée par une source de lumière hors champ qui intensifie les couleurs des parties éclairées et accentue le mystère des autres parties de l'image. Mais le plus important, peut-être, est qu'elle dirige le parcours visuel du spectateur. « Le regard parcourt d'abord les zones éclairées pour ensuite explorer les zones intermédiaires de clair-obscur et éventuellement percer le secret des zones d'ombre » (Joly, 1994, p.105). Par un éclairage directionnel, le réalisateur tente donc, souvent, d'imposer un sens de lecture au spectateur285(*). L'éclairage directionnel naturel, généralement nécessitant l'emploi de réflecteurs, ajoute une information de temps. « Il temporalise la représentation que l'on situera un matin, un soir ou un après-midi ce qui, là encore, influencera notre lecture et notre interprétation » (Joly, 1994, p.106). - Quant à l'éclairage diffus, il « noie le principal en le mêlant au secondaire. » La multiplicité de ses flux fait qu'elle enrobe l'objet de toutes parts. « La lumière ne souligne plus, elle amalgame, elle estompe, elle associe ». Elle atténue le relief, uniformise les matériaux, adoucit les couleurs, détemporalise l'action. C'est pourquoi, Alekan la considère comme une lumière troublante, une lumière annihilante, (Alekan, 1991, p.33-34). Martine Joly ajoute qu' «une sorte d'intemporalité lui est attachée, plus propice à l'hésitation et au rêve. » D'un point de vue plus technique, l'éclairage d'une scène utilisant généralement trois sources différentes, on distingue le décrochage (lumière placée derrière les sujets filmés), la lumière principale (dite également lumière d'attaque ou d'effet, la plus vive), la lumière d'appoint (nommée aussi lumière d'ambiance ou de bouchage) beaucoup moins intense que la précédente que l'on utilise pour équilibrer les effets de la lumière d'attaque et adoucir les ombres trop noires. A cet éclairage « trois points » classique peut être préféré un éclairage créant davantage de contrastes comme le Low key286(*) qui créé de fortes oppositions entre les zones claires et les zones sombres de l'image afin de rendre les ombres plus profondes. Des effets sont également recherchés en jouant sur la direction de l'éclairage. Ainsi, plutôt que d'utiliser un éclairage frontal (dirigé ver le sujet d'un point proche de la caméra), il est préférable pour créer une impression de volume ou pour faire ressortir les reliefs d'une surface, d'un décor par exemple, d'opter en faveur d'une lumière latérale que certains appellent également une lumière rasante : il suffit que l'éclairage vienne de côté sur le personnage ou l'objet. En revanche, pour souligner les parties supérieures d'un sujet, ou pour le détacher du fond, un éclairage zénithal, c'est-à-dire venant du dessus du personnage ou de l'objet, sera adapté. L'importance de l'éclairage est souvent sous-estimée par les non-professionnels. Il est pourtant avec le gros plan - dont l'invention est, selon Jean-Luc Godard, liée à l'apparition de stars - un moyen de mettre en valeur les acteurs. « Les chefs opérateurs ou les réalisateurs ont sculpté le visage et le corps des stars par la lumière et les ombres tamisées ou adoucies parfois à l'aide de tulles ou de trame287(*). Tout ce travail, pour rehausser la personne (actrice, acteur) jouant les émotions et les passions terrestres deux tons au-dessus de la norme » (Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p.42). Aussi n'est-il pas étonnant que des auteurs de différents courants (avant-gardistes, hollywoodiens, etc.) se retrouvent pour considérer que l'éclairage est un élément primordial, avec le gros plan, le ralenti, le choix d'acteurs photogéniques - c'est-à-dire des comédiens qui accrochent bien la lumière - pour augmenter la réalité et la poésie (Delluc, Epstein). En conséquence, les réalisateurs choisissent leurs acteurs pour leur photogénie et les magnifient par des gros plans et des jeux de lumière. Ainsi, pour représenter ses stars féminines, le cinéma hollywoodien utilise souvent le backlight, un éclairage en contre-jour en direction de la caméra, un éclairage derrière l'actrice à filmer pour qu'elle apparaisse nimbée de lumière.. * 280 Evguéni Mikhaïlov et Andréi Moskovine, « Le rôle de l'opérateur de cinéma dans l'élaboration du film », in Albèra (1996, p.163-174) : « une lumière fade, plate, pauvre en contrastes dégage une impression d'ennui et de médiocrité. Une lumière douce, riche et tout en demi-tons produit une impression de quiétude. Une lumière contrastée, avec des éclats vifs et des ombres épaisses provoque un sentiment de trouble, etc. (...) Calculée et étudiée à l'avance, la lumière, élément inséparable du film, renforcerait l'action exercée sur le spectateur ». * 281 Bordwell et Thompson (2000, p. 586) définissent la mise en scène comme : « Tout ce qui concerne les éléments se trouvant devant la caméra pour être filmés : le décor et les accessoires, la lumière, les costumes et les maquillages, le jeu des acteurs. » * 282 Dans un scénario : - Le terme INTERIEUR est une indication de lieu toujours écrit en premier et mis en opposition avec le terme EXTERIEUR. - Le terme APPARTEMENT est aussi une indication de lieu, plus précise que la précédente. - Le terme NUIT est une indication de temps précise qui vient toujours en 3ème position après les deux indications de lieu. Cette indication (JOUR/NUIT) peut varier et être plus précise en utilisant des termes comme : AUBE, SOIREE, MATIN, APRES-MIDI ou encore CREPUSCULE. Toute indication temporelle précise nécessitera un travail particulier en matière d'éclairage. Pour plus de détails voir Parent-Altier (2001, p.18-20) * 283 Surface brillante qui renvoie la lumière produite par les projecteurs ou éventuellement par le soleil vers le champ, pour compenser la déperdition de lumière. * 284 Henri Alekan, Des lumières et des ombres, Paris, La librairie du collectionneur, 1991 * 285 Selon Martine Joly (1994, p.106), l'éclairage directionnel « sensualise la représentation dans la mesure où la lumière réagit aux matériaux qu'elle rencontre : réfléchie par certains, réfractée par d'autres ou encore absorbée ou rasante, elle fait vibrer les textures diverses et sollicite le toucher, au-delà de la vue. » * 286 Dans ce cas, la lumière d'appoint n'est pas utilisée ou très faiblement puisque son but est de rééquilibrer. * 287 ou de diffuseurs ou de filtres diffuseurs (comme le spun, un tissu en fibre de verre) qui servent à renvoyer la lumière dans différentes directions et permettent ainsi d'obtenir une lumière beaucoup plus douce. |
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