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Approche communicationnelle des films de fiction


par Alexandre Chirouze
Université Montpellier 3 - Doctorat 2006
  

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F- Les règles pratiques de montage

Ces règles, pour la plupart empiriques - pour ne pas dire artisanales - ne sont pas immuables. Elles sont, en outre, la conséquence d'un choix esthétique et/ou narratif de la part du réalisateur entre deux positions extrêmes : rendre imperceptible le changement de plan ou, au contraire, choquer le spectateur par une certaine brutalité. Par ailleurs, les progrès technologiques, les phénomènes de mode au sein du milieu cinématographique, la volonté de certains réalisateurs de déroger aux règles dans un but créatif mais aussi l'évolution de l'expérience, de la culture audiovisuelle, de la perception des spectateurs peuvent les modifier voire les rendre caduques, comme de nombreux exemples le montrent dans l'histoire du cinéma.

L'intérêt des règles que nous allons présenter réside dans leur simplicité, ce qui peut d'ailleurs devenir un piège...

1. La règle d'un changement important de la valeur de plan 

« Si le changement de valeur de plan n'est pas suffisamment important, la sensation de champ visuel neuf donné en pâture à la perception du spectateur n'est pas suffisamment forte et il ressent alors une impression de saute (défaut mécanique) à l'intérieur d'une même image » (Opritescu, 1997, p.69). Concrètement, cela signifie - contrairement à ce que l'on pourrait croire - qu'il vaut mieux passer d'un plan d'ensemble à un gros plan que de glisser doucement d'un plan américain à un premier plan.

Toutefois, pour les tenants de la continuité sans rupture brutale, cette règle du changement important de la valeur de plan est une erreur à moins qu'elle soit appliquée avec l'intention de provoquer un certain choc chez le spectateur à des fins dramatiques (Wyn, 1972, p.262).

2. Le principe du champ-contrechamp

Il est intéressant de remarquer qu'il préconise l'inverse de la règle précédente mais dans un but bien précis. Le champ-contrechamp est utile pour montrer une alternance des plans visuellement opposés, notamment lors d'un dialogue entre deux personnes, d'un échange de regards, d'un affrontement dramatique, etc. Son respect permet d'éviter de donner au spectateur « l'impression que les protagonistes ont changé de place si ce n'est pas le cas. Tout à tour positionnée près d'un des intervenants, la caméra adopte ainsi peu ou prou le point de vue de chacun en introduisant une forte subjectivité. Les personnes peuvent être debout ou assises, se tenir côte à côte (voiture par exemple) ou face à face. Parfois à des hauteurs différentes ou l'un derrière l'autre (cheval, moto). La technique s'applique aussi à un combat ou à un duel. » (Gales, 2003, p.44-46)

Il existe deux types de contrechamp : le contrechamp interne et le contrechamp externe. Ils respectent l'un comme l'autre « la règle instaurée il y a un demi-siècle (...) de filmer les personnages s'affrontant dans deux angles opposés, dans deux valeurs de cadre rigoureusement identiques » (Opritescu, op cit, p.69), c'est-à-dire le contraire de la règle précédente qui prône le changement important de la valeur de plan.

o Le contrechamp externe est le moyen le plus simple, il consiste pour découper une discussion à alterner des plans montrant à chaque fois les deux sujets. Généralement, le cadrage est rapproché de manière à ce que l'on voit la tête du plus proche en amorce de dos et celle du plus éloigné en entier de face259(*). Mais, il est possible, si le recul est suffisant, de cadrer aussi en plan moyen260(*). Dans les deux cas, le spectateur conserve en permanence la spacialisation globale de la scène.

o Le contrechamp interne revient à ne montrer qu'un des personnages. Il est souvent choisi soit en raison de l'indisponibilité provisoire d'un acteur, ce qui nécessite de tourner le dialogue en plusieurs étapes, soit parce que des contraintes de décor imposent de filmer le champ dans un lieu différent du contrechamp. Le contrechamp interne présente un autre intérêt : « le regard du spectateur n'est plus pollué par la présence du sujet en amorce et se concentre sur la personne de face, psychologiquement fortifiée par le gros plan. La subjectivité est ainsi maximale. » (Gales, 2003, p.44-46) « Mais dans le cas d'un long dialogue avec des mouvements, le spectateur risque de perdre la spatialisation réciproque des intervenants et la référence au décor qui les entoure ». C'est pourquoi, il est parfois intéressant de combiner l'externe et l'interne.261(*) Pour accentuer le rapport de force entre les deux personnages, il est également possible d'utiliser des plongées et des contre-plongées dans les champs-contrechamps.

3. La règle des 180°

Elle s'applique aussi bien aux affrontements dramatiques, aux discussions, etc. qu'au déplacement d'un personnage. Autrement dit, c'est une règle à respecter notamment en cas de champ-contrechamp ou de travelling latéral. Elle consiste à tracer mentalement une droite, en fonction de la position des sujets ou du sens du déplacement du personnage. Cet axe virtuel reliant les têtes des deux personnages dialoguant ou le départ et l'arrivée d'un sujet en déplacement est appelé ligne d'intérêt. Elle est parfois verticale lorsque les deux points de la droite sont l'un au dessus de l'autre. La règle des 180° consiste à choisir un côté de la ligne et à faire en sorte (si possible, lors de la prise de vue) que les personnages ne la franchissent pas et restent donc dans un rayon maximum de 180°262(*). Dans le cas contraire, le non-respect de cette règle provoque, la plupart du temps, de graves confusions : le spectateur a la sensation que les personnages se tournent brusquement le dos, que les indiens qui poursuivaient la diligence sont d'un seul coup en face d'elle, que les personnages qui dialoguent ont un sens de regards inversé, que le personnage visible dans le plan semble avoir subitement tourné la tête, etc. Des erreurs que les professionnels appellent des sauts d'axe.

Toutefois, Odile Bächler (2001) en se situant dans la perspective du spectateur et en prenant en considération le travail mental opéré par le spectateur pour construire l'espace cinématographique a montré « l'inanité d'un certain nombre d'idées reçues : il n'est pas vrai que la violation de la règle des 180° produise toujours un effet d'incohérence spatiale ; il peut y avoir identification sans que celle-ci s'effectue à la caméra ou au personnage ; certains trucages peuvent être perçus comme tels sans que cela menace l'illusion de réalité (cela peut même servir la fiction).

D'une façon générale, les analyses d'Odile Bächler prouvent que le spectateur est beaucoup plus actif qu'on ne le présuppose généralement et qu'il est capable d'une gymnastique mentale très complexe lorsqu'il s'agit de préserver une relation de « bon objet » avec le film » (Odin, in Bächler, 2001, p.8-9).

4. La règle des 30 degrés, ou du changement d'angle important

La règle ou loi des 30° repose sur le même principe que la règle d'un changement important de la valeur de plan. Pour assurer la fluidité mentale chez le spectateur, il faut une certaine violence dans le changement d'angle. Autrement dit, l'angle de la prise de vues doit varier d'un plan à un autre de plus de 30° (de moins de 180°) pour renouveler et maintenir au plus haut l'attention du spectateur. En cas de non-respect de cette règle des 30°, la faible différence entre les deux images, lors du passage de l'une à l'autre, donnera au spectateur la sensation d'un à-coup désagréable, éventuellement même l'illusion d'un problème technique, comme si des images manquaient ou que la caméra avait bougé involontairement (Allorge, 2003, p.157).

Ces règles de montage permettent, en réalité, d'opposer deux systèmes de montage : le montage par continuité et le montage par discontinuité.

- Le montage par continuité est un système de montage qui permet d'assurer, dans un contexte narratif, le déroulement clair et continu de l'action. Il « repose sur une stricte corrélation des directions des mouvements, des positions dans l'espace et des relations temporelles entre les plans » (Bordwell et Thompson, 2000, p. 586) et s'appuie sur des techniques telles que la règle des 180° (ou de l'axe de jeu), le champ-contrechamp, le montage alterné, le plan d'ensemble (ou de situation), le raccord dans l'axe, le raccord mouvement, le raccord regard, etc. que nous avons présentés ci-dessus.

- Le montage par discontinuité est un système de montage alternatif qui contrevient aux principes du montage par continuité. Il consiste donc à transgresser les règles telles que la règle du 180°, à bouleverser les relations spatiales et temporelles par exemple par un Jump cut263(*), un montage elliptique264(*), un montage intellectuel265(*), un insert extradiégétique266(*).

Bien qu'opposés, un réalisateur peut parfaitement conjuguer ces deux systèmes de montage dans un même film en changeant de système selon les séquences. L'histoire du cinéma est pleine de ces oppositions qui l'ont placé au rang de 7ème Art.

* 259 Tous les plans montrant le premier personnage de face dans le montage sont considérés comme des champs. Tous les plans montrant le second personnage de face sont des contrechamps.

* 260Un truc de professionnel : Les deux protagonistes figurant dans le cadre, il est conseillé pour rendre l'image plus harmonieuse que la pointe du nez du personnage en amorce ne dépasse pas de la bordure du visage.

* 261 Généralement, dans ce cas, on commence le premier plan (champ) en externe puis on prend le contrechamp en interne, et on inverse au fur et à mesure de l'avancée de la discussion. Pour resituer la scène dans son décor, il peut être nécessaire de revenir de temps en temps à un plan d'ensemble.

* 262 Dans la majorité des cas, il faut considérer l'autre côté de la ligne imaginaire comme une zone interdite. Pour connaître des moyens de correction lors du montage, voir Gérard Galès, Tout sauver au montage. Inverser le sens d'un plan, Caméra, N°176, novembre 2003, p.36

* 263 Le Jump cut est un raccord elliptique qui donne l'impression d'une simple interruption dans un même plan. Par exemple, les acteurs changent instantanément de place et le fond reste le même, ou c'est le fond qui change alors que les acteurs ne bougent pas.

* 264 Un montage elliptique élimine une partie d'une action lors du passage entre deux plans, ce qui produit une ellipse dans le temps du récit.

* 265 Un montage intellectuel est une juxtaposition d'une série d'images sans lien apparent, ce qui génère une idée abstraite

* 266 Un insert extradiégétique est un ou plusieurs plans insérés dans une séquence montrant des objets ou des personnages ne faisant pas partie de l'espace du récit.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery