Approche communicationnelle des films de fictionpar Alexandre Chirouze Université Montpellier 3 - Doctorat 2006 |
III- Les apports de la sémio-linguistique du cinéma
Au sein même de la sémiologie du cinéma, la sémio-linguitisque du cinéma est une approche qui a également permis une amélioration de la connaissance de l'objet cinéma. Comme l'écrit Odin, dans son ouvrage 27(*)consacré à cette approche : « par sémio-linguistique du cinéma, on entend l'approche qui tente de faire pour le langage cinématographique, ce que fait la linguistique pour les langues naturelles28(*) : démonter les mécanismes de production de sens, comprendre comment le film est compris » (Odin, 1990, p.11).29(*) L'analyse sémiologique des différents langages (photographie, peinture, musique, cinéma, etc.) a notamment mis en évidence, pour chaque langage, une distinction entre ses codes spécifiques et des codes généraux : les premiers permettant d'identifier un langage dans ses singularités alors que les seconds sont communs à d'autres langages. Ainsi, les codes photographiques qui régissent l'usage des grosseurs de plans se retrouvent aussi bien dans les images photographiques que dans celles du cinéma. Ce sont des codes généraux, non spécifiques à l'un ou l'autre de ces deux langages. En revanche, l'illusion du mouvement, créée par le défilement de 24 photogrammes à la seconde, n'appartient qu'au langage cinématographique. Cette distinction entre les codes spécifiques et codes généraux fut reprise par la sémiologie du cinéma et, notamment, sous l'impulsion de Christian Metz, qui distingue les codes spécifiques, qu'il nomme les codes filmiques et cinématographiques, des codes généraux, donc non spécifiques, qu'il appelle les codes filmiques et non cinématographiques. Cette distinction ne donne pas entière satisfaction dans la mesure où elle peut faire croire au recensement exhaustif des codes utilisés dans un langage. « Cette distinction a constitué longtemps un principe méthodologique ainsi qu'un axe de recherche, d'autant qu'en prétendant saisir exhaustivement son objet, elle offrait l'illusion d'une certaine scientificité. Et c'est sans doute aussi pour cette raison que l'institution scolaire et les enseignants se sont si facilement emparés des premiers résultats de ces travaux. » (Meunier et Peraya, 1993, p.63) IV- Les apports de la sémio-pragmatique du cinémaCertains auteurs ont reproché à cette approche sémio-linguistique du cinéma de ne s'intéresser qu'à la dimension langagière, et uniquement langagière, des faits filmiques. Elle délaisse donc les autres aspects des faits filmiques : sociologiques (le film comme reflet ou produit de la société), historiques (les films comme histoire d'un genre, celle d'un réalisateur, d'une période historique donnée, etc.), psychanalytiques (le film comme construction fantasmique), esthétiques (le film comme oeuvre d'art). Cette critique est, somme toute, assez injuste puisque les chercheurs qui ont adopté cette approche limitaient leur champ de recherche volontairement et en toute connaissance de causes. « Approcher le cinéma en termes sémio-linguistiques signifie que l'on négligera délibérément toute une série de problèmes qui ont eux-mêmes une grande importance pour la compréhension globale de ce qui se passe dans le champ cinématographique, mais qui ne relèvent pas de la pertinence sémio-linguistique » (Odin, 1990,p.20). Roger Odin cite alors parmi les sujets délaissés : les « problèmes économiques (le cinéma comme industrie), problèmes juridiques (le droit du cinéma), problèmes administratifs (comment fonctionnent les grands organismes qui s'occupent du cinéma, quelles sont les règles qui régissent la profession ?), problèmes technologiques (conception des caméras, des projecteurs, des pellicules), problèmes de la sociologie des publics (quelle est l'influence du cinéma sur les jeunes ou sur les adultes ? Qui va au cinéma ? etc. ». Toutefois, ce constat que fit lui-même Roger Odin l'amena, très vraisemblablement, à proposer une autre approche, amorcée en conclusion de sa thèse30(*) de doctorat, qu'il appela l'approche sémio-pragmatique. « La sémio-pragmatique est un modèle de (non-) communication qui pose qu'il n'y a jamais transmission d'un texte d'un émetteur à un récepteur mais un double processus de production textuelle : l'un dans l'espace de la réalisation et l'autre dans l'espace de la lecture. Son objectif est de fournir un cadre théorique permettant de s'interroger sur la façon dont se construisent les textes et sur les effets de cette construction » (Odin, 2000, p.10). Cette définition montre l'influence de l'approche communicationnelle mais aussi de l'approche du positionnement institutionnel du spectateur dans la naissance de ce nouveau modèle comme Roger Odin le reconnaît dans la conclusion générale de sa thèse : « nous sommes allés de la sémio-linguistique (approche en termes d'isotopie31(*)) à la l'analyse en termes de codes et de systèmes32(*), de l'approche communicationnelle33(*) à l'approche en termes de positionnement psychologique (ouverture sur la psychanalyse) et institutionnel du spectateur.» (Odin, 1982, p.686). Il insiste également, dans un esprit systémique, sur le rôle joué par les différentes institutions cinématographiques. La conséquence majeure de cette approche en termes d'institutions est que « le fonctionnement filmique dominant (production de l'effet fiction, positionnement du Destinataire sur le mode de croyance) n'apparaît plus que comme un fonctionnement parmi bien d'autres. » (Odin, 1982, p.687)34(*). Les grandes caractéristiques de l'approche sémio-pragmatique sont donc notamment le pragmatisme, le systémisme et la pluridisciplinarité.« La sémio-pragmatique sera pluri-disciplinaire ou ne sera pas » (Odin, 1982, p.689). Plus que dans toutes les autres approches précédentes, la sémio-pragmatique s'est construite sur des apports multiples et notamment sur ceux des théories de la communication que nous développerons plus loin. Toutefois, rappelons que la pragmatique du cinéma s'intéresse aux rapports du spectateur et du cinéma. Elle étudie les diverses institutions cinématographiques et leur influence sur la façon dont les films sont perçus. Autrement dit, elle prend en compte le fait que « le spectateur n'arrive pas devant le film comme en terrain vierge : la publicité, le cadre de projection, la culture cinématographique du spectateur, sa connaissance du réalisateur, etc. » (Esquenazi, 1994, p.11). C'est pourquoi, Jean-Pierre Esquenazi distingue la pragmatique du cinéma de Roger Odin et la pragmatique du film. * 27 ODIN, Roger, Cinéma et production de sens, Paris, Armand Colin, Collection « Cinéma et Audiovisuel », 1990, 287 pages * 28 Selon Odin (1990, p.16), on appelle langues naturelles, les langues comme le français, l'anglais. Elles s'opposent aux langues artificielles comme le langage informatique. Alors que la linguistique étudie les langues naturelles, la sémiologie étudie les langages qui ne sont pas des langues naturelles, telles que la peinture, la musique, la photographie et bien sûr le cinéma, etc. * 29 ODIN (1990, p.13) : « Il existe d'autres approches sémiologiques du cinéma (...). C'est par l'approche sémio-linguistique qu'a commencé la sémiologie du cinéma. On peut considérer l'article de Christian Metz : « Le cinéma : langue ou langage ? » (Communications n°4, Recherches sémiologiques, 1964, pp.52-90) comme l'article fondateur de ce courant ; ce n'est que beaucoup plus tard à une date qui correspond à la publication d'un autre numéro de Communications, le n°23 : « Psychanalyse et Cinéma » (1975) qu'est apparue l'approche sémio-psychanalytique ». * 30 ODIN, Roger, L'Analyse Sémiologique des films. Vers une sémio-pragmatique, Thèse de Doctorat ès lettres, sous la direction de Christian Metz, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1982, 3 volumes, 711 pages. * 31 A.J. Greimas, V. Vasarely, Eisenstein, Groupe Mu, U. Eco, etc. * 32 Ch. Metz, etc. * 33 Sol Worth, etc. * 34 Roger Odin (1982, p.689) : « Nous nous sentons donc légitimé à considérer que l'hétérogénéité institutionnelle du champ cinématographique est elle-même structurée. Les variations repérables dans le champ cinématographique sont donc doublement codées : a) à l'intérieur de chaque institution, le traitement filmique acceptable est déterminé par la fonction sociale de cette institution, b) une loi de co-détermination intervient entre les institutions (il est probable que le cinéma dominant joue, dans cette relation, le rôle d'un référent privilégié pour les autres institutions). Il est désormais possible de se faire une idée un peu plus précise du programme de recherche que devrait remplir une sémio-pragmatique du cinéma. On peut attendre de la sémio-pragmatique du cinéma : a) qu'elle recense les institutions qui constituent l'espace cinématographique global, b) qu'elle précise leur niveau d'intervention tant sur le l'axe diachronique que sur l'axe synchronique, c) enfin qu'elle décrive le fonctionnement de ces institutions en tenant compte de la loi de co-détermination. » |
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